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Se connaître est-ce douter de soi ?

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« La recherche philosophique, dans sa continuelle enquête, fait route au bord d'un abîme : la folie du doute.

Quotidien philosophique, mais aussi état mental que chacun en son for intérieur connaît, dans différentes configurations : de la rumination sans fin de problèmes métaphysiques à la crainte tétanisante des microbes, des accidents, et ce jusqu'aux inévitables questions « qui suis-je ? » et « que dois-je faire ? ».

Douter des choses du monde et, à plus forte raison, douter de soi, peut apparaître comme un défaut, une inutilité dangereuse.

Mais dans l'impératif d'exercer son jugement et d'assurer à soi certaines réalités, le doute peut être envisagé comme un outil de travail.

Entreprendre de douter de soi place ainsi le sujet dans une position mal assurée, problématique.

La célèbre injonction de Socrate « connais-toi toi-même » est autant un but à atteindre (le savoir humain), qu'une exigence méthodologique et morale à pratiquer (la sagesse).

Mais le sujet peut-il vivre ensemble ces deux attitudes ? La nécessité d'agir au quotidien laisse-t-elle au sujet le loisir de douter de son être ? Existe-t-il une voie moyenne, où la réponse du « qui suis-je ? » permet de répondre à « que dois-je faire ? » ? I.

L'exercice du doute est nécessaire à l'établissement d'un savoir certain -La radicalité de l'attitude philosophique se fonde sur une pratique impérative du doute.

Pour les Anciens, bien que traité différemment selon les écoles, il est omniprésent.

L'attitude dubitative des Sceptiques est définitive dans le rapport de l'individu au monde, chez les Stoïciens le doute est surmonté par la résolution dans l'action, et la maïeutique de Socrate repose sur l'épreuve forcée du doute dans le dialogue.

S'il apparaît comme nécessaire pour vaincre certains préjugés, le doute se projette néanmoins sur les réalités les plus sensibles, et pousse à une profonde remise en question de la réalité de soi dans la réalité du monde. -Avec le doute méthodique, Descartes instaure la pratique du doute comme une exigence méthodologique.

Pour fonder la science, il faut pouvoir être certain.

En soumettant chacune des réalités données par les sens au doute jusqu'à s'y soumettre soi-même, Descartes donne la première des certitudes : « Je pense donc je suis.

» ( Discours de la méthode, IV).

Ce doute méthodique permet, en s'assurant de son être comme réalité première, de fonder une science déductive certaine, à même de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Mais ce doute porté à son mode « hyperbolique » ( Méditations Métaphysiques, II ) implique une vertigineuse suspension de jugement, où rien n'est assuré, ce qui peut engager une paralysie de la volonté, et une inaptitude à l'action. II.

Une morale de l'action efficace ne peut souffrir le doute -Douter de soi, du point de vue de l'action, est une erreur.

En généralisant le doute, l'être devient problématique, et dans l'action le sujet n'est qu'irrésolution et indécision.

Que faire si l'on n'est sûr de rien ? Descartes insiste donc sur la nécessité temporaire du doute hyperbolique, qui ne doit pas interférer avec la nécessité d'agir, et propose comme pratique la morale par provision.

La seconde et la troisième maxime de cette morale révèlent ce besoin de pallier à l'incertitude du moment : « Etre le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais » et « changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde » ( Discours de la méthode, III).

Il s'agit d'agir en quelque sorte en méconnaissance de la situation, mais de porter la certitude sur sa décision et sa résolution à agir, et non pas sur l'issue de l'action, qui nous échappe du fait de son inscription dans un ordre du monde inaccessible. - Cette morale, d'inspiration stoïcienne (Manuel d'Epictète), permet l'action dans l'entreprise du doute.

Mais la troisième maxime reste ambiguë.

Devons-nous abandonner notre connaissance du monde, pour être sûr de soi ? Devons-nous choisir entre la certitude de l'action et la certitude de notre être ? L'exercice du doute ne doit pas conclure à une résignation, un abandon de la connaissance au profit de l'action, de même qu'il ne peut s'exercer au point d'interdire toute action à un sujet écrasé par l'irrésolution.

C'est dans l'alliance dosée de l'exercice du doute sur soi et de la résolution que le doute permet la révélation du soi dans l'action. III.

L'exercice contrôlé du doute permet l'affirmation de soi -Exigence méthodologique de la science moderne, le doute est aussi l'étape nécessaire de l'affirmation de l'ego.

L'ego cartésien est le fondement de la subjectivité, en ce sens il est l'affirmation de l'unicité de chaque individu.

C'est en doutant, en suspendant son jugement, que l'on permet aux autres facultés intellectuelles (volonté, imagination, mémoire) d'être créatrices et législatrices de leur création, d'être véritablement sources d'invention.

Être par le doute, c'est être par soi-même, c'est s'engager dans la voie de l'autonomie et de la création, objectif que se donne l'individu philosophe. - Le doute, exercé dans une étape préliminaire à une connaissance certaine du monde par la subjectivité, ne gêne pas l'action, mais permet au contraire de la porter à un niveau supérieur, dans la mesure où c'est suite aux conclusions de l'exercice qu'elle se décide. En effet, le doute permet l'élaboration personnelle de principes de conduite, et c'est dans le respect de soi et de ses principes que l'action se révèle comme juste. Conclusion -Douter de soi, comme douter de toutes les autres choses sensibles, est nécessaire à la fondation de la connaissance certaine. -Mais ce doute, dans sa forme hyperbolique, contraint le sujet à l'incertitude et à l'irrésolution dans l'action. - Faut-il donc douter de soi ? Oui, mais dans la mesure où c'est un exercice maîtrisé visant l'accession à la connaissance et à la sagesse, et permettant l'affirmation de sa subjectivité dans l'action.

Le doute renseigne sur « qui suis-je ? », et donne des clés pour savoir « que faire ».. »

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