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Saint Augustin et le démon

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« Quand, du fond le plus intérieur, ma pensée eut retiré et amassé toute ma misère devant les yeux de mon coeur, il s'y éleva un affreux orage, chargé d'une pluie de larmes. Et pour les répandre avec tous mes soupirs, je me levai [...] et j'allai m'étendre, je ne sais comment, sous un figuier, et je lâchai les rênes à mes larmes, et les sources de mes yeux ruisselèrent, comme le sang d'un sacrifice agréable. Et je vous parlai, non pas en ces termes, mais en ce sens : « Eh ! Jusques à quand, Seigneur ? Jusques à quand, Seigneur, serez-vous irrité ? Ne gardez pas souvenir de mes iniquités passées. » Car je sentais qu'elles me retenaient encore. Et je m'écriais en sanglots : Jusques à quand ? Jusques à quand ? Demain ?... demain ?... Pourquoi pas à l'instant ; pourquoi pas sur l'heure en finir avec ma honte ? Le démon tenait dans sa main mon vouloir, et il m'en avait fait une chaîne, et il m'en avait lié. Car la volonté pervertie fait la passion ; l'asservissement à la passion fait la coutume ; le défaut de résistance à la coutume fait la nécessité. Et ces noeuds d'iniquité étaient comme les anneaux de cette chaîne dont m'enlaçait le plus dur esclavage. Cette volonté nouvelle qui se levait en moi de vous servir sans intérêt, de jouir de vous, mon Dieu, seule joie véritable, cette volonté était trop faible pour vaincre la force invétérée de l'autre. Ainsi deux volontés en moi, une vieille, une nouvelle, l'une charnelle, l'autre spirituelle, étaient aux prises, et cette lutte brisait mon âme. » Saint Augustin, Les Confessions, livre VIII Chapitres 5 et 12

HTML clipboardDans le 1er §, Augustin d’Hippone montre que sa faiblesse n’est pas une hésitation, une indécision de la volonté entre plusieurs partis qui paralyserait sa volonté. Augustin sait ce qu’il veut, il n’est pas confronté à un dilemme, à la nécessité de faire un choix tragique. Sa crise n’est pas un problème de choix, ni un problème de faiblesse vis-à-vis d’autres puissances comme celles des désirs charnels par exemple. Il sait qu’il veut mener une vie chrétienne, mais ne peut renoncer à son ancienne vie, ce qui se traduit dans son corps par une crise de larmes. Notons que le figuier sous lequel s’étend Augustin nous ramène au paradis perdu, car lorsqu'ils eurent goûté au fruit défendu, Adam et Ève ont voilé leur nudité avec des feuilles de figuier.  

« « Quand, du fond le plus intérieur, ma pensée eut retiré et amassé toute ma misère devant les yeux de mon cœur, il s'y éleva un affreux orage, chargé d'une pluie de larmes.

Et pour les répandre avec tous mes soupirs, je me levai […] et j'allai m'étendre, je ne sais comment, sous un figuier, et je lâchai les rênes à mes larmes, et les sources de mes yeux ruisselèrent, comme le sang d'un sacrifice agréable.

Et je vous parlai, non pas en ces termes, mais en ce sens : « Eh ! Jusques à quand, Seigneur ? Jusques à quand, Seigneur, serez-vous irrité ? Ne gardez pas souvenir de mes iniquités passées.

» Car je sentais qu'elles me retenaient encore.

Et je m'écriais en sanglots : Jusques à quand ? Jusques à quand ? Demain ?… demain ?...

Pourquoi pas à l'instant ; pourquoi pas sur l'heure en finir avec ma honte ? Le démon tenait dans sa main mon vouloir, et il m'en avait fait une chaîne, et il m'en avait lié.

Car la volonté pervertie fait la passion ; l'asservissement à la passion fait la coutume ; le défaut de résistance à la coutume fait la nécessité.

Et ces noeuds d'iniquité étaient comme les anneaux de cette chaîne dont m'enlaçait le plus dur esclavage.

Cette volonté nouvelle qui se levait en moi de vous servir sans intérêt, de jouir de vous, mon Dieu, seule joie véritable, cette volonté était trop faible pour vaincre la force invétérée de l'autre.

Ainsi deux volontés en moi, une vieille, une nouvelle, l'une charnelle, l'autre spirituelle, étaient aux prises, et cette lutte brisait mon âme.

» Saint Augustin, Les Confessions, livre VIII Chapitres 5 et 12 Introduction Comment peut-on faire le mal alors que l'on connaît le bien ? Dans cet extrait de ses « Confessions », longue méditation qui a pour thème sa propre vie, Augustin d'Hippone relate la crise ultime à laquelle l'a mené une longue suite d'errements moraux.

Il est désormais certain que la religion chrétienne est vraie, il veut donc renoncer à la chair et au monde pour adopter un mode de vie orienté par sa foi religieuse, mais il ne le peut pas.

La volonté n'est-elle pas entièrement en notre pouvoir ? Comment peut-on se révéler incapable de renoncer à une vie de plaisirs et d'honneurs ? C'est ce qu'Augustin d'Hippone va examiner ici. Mouvement du texte Dans le 1er §, Augustin d'Hippone montre que sa faiblesse n'est pas une hésitation, une indécision de la volonté entre plusieurs partis qui paralyserait sa volonté.

Augustin sait ce qu'il veut, il n'est pas confronté à un dilemme, à la nécessité de faire un choix tragique.

Sa crise n'est pas un problème de choix, ni un problème de faiblesse vis-à-vis d'autres puissances comme celles des désirs charnels par exemple. Il sait qu'il veut mener une vie chrétienne, mais ne peut renoncer à son ancienne vie, ce qui se traduit dans son corps par une crise de larmes.

Notons que le figuier sous lequel s'étend Augustin nous ramène au paradis perdu, car lorsqu'ils eurent goûté au fruit défendu, Adam et Ève ont voilé leur nudité avec des feuilles de figuier. Dans le 2nd §, Augustin pose sa thèse que toute lutte intérieure est la conséquence de mauvaises habitudes de vie.

L'emprise des désirs charnels est le fruit de l'habitude, c'est-à-dire de la répétition d'actes libres.

L'homme est prisonnier d'habitudes qui proviennent de l'exercice perverti de sa liberté.

Pour Augustin d'Hippone la volonté ne peut se posséder toute entière dans le présent, car le temps oppose la volonté à elle-même sous la forme de l'habitude.

La crise du jardin résulte d'un conflit intérieur qui oppose une volonté présente à une volonté passée qui a créé des habitudes, un moi actuel et un moi passé.

Cette crise prend un caractère physique car le corps est le réceptacle de la volonté antérieure.

Il a été façonné par nos désirs et nos actions passées.

La volonté ancienne s'y est sédimentée.

Pour Augustin d'Hippone, le corps n'est pas mauvais en soi, et c'est par de nouvelles habitudes que la volonté présente fera du corps un serviteur fidèle. Conclusion Augustin veut montrer que l'on ne devient pas croyant par ses propres forces, mais par la grâce de Dieu.

Le salut ne dépend ni des efforts ni des mérites de l'homme, mais seulement de la grâce de Dieu.

Pour lui, la volonté humaine n'a en effet pas la pleine maîtrise d'ellemême puisqu'elle dépend largement de son passé, et la liberté humaine n'est parfaite que lorsque la volonté humaine concorde avec la volonté divine.

L'homme n'est en effet libre que lorsqu'il fait de lui-même le bien, lorsqu'il est ce bien qu'il réalise.

Ce fût le cas avant le péché originel, d'où la référence au figuier dans le jardin de Milan. Intérêt philosophique Tout d'abord, Augustin réfute la thèse stoïcienne selon laquelle la volonté est le lieu de la liberté suprême, le destin n'organisant que les choses extérieures.

Ainsi pour les stoïciens, le fait de se retrouver dans telle ou telle situation est une cause auxiliaire, qui ne dépend pas de l'homme, alors qu'accepter telle ou telle chose, dans telle ou telle situation est une cause principale, qui demeure en son pouvoir. Augustin réfute également la thèse des manichéens selon laquelle il y aurait 2 natures en nous (le Bien et le Mal) car elle ôte à l'homme la responsabilité de ses actes.

Pour lui c'est notre passé qui explique pourquoi nous pouvons entrer en contradiction avec nous-même. L'opposition à soi a son origine dans l'histoire et non dans l'existence d'une double nature. Ensuite, en faisant de l'habitude « une autre nature » Augustin développe une thèse symétrique à celle d'Aristote, sur l'habitude siège de la vertu.

Pour Aristote, en effet, la vertu s'apprend par la pratique, elle n'est pas une science, mais le produit de l'exercice et de l'habitude.

C'est en pratiquant les actions justes, que l'on devient juste, et en pratiquant les actions courageuses que l'on devient courageux.

C'est en imitant la vertu que l'on devient vertueux.

Cette pratique est d'abord pure politesse, car agir poliment c'est agir comme si on était vertueux, puis morale, car agir moralement c'est agir comme si on aimait, et enfin amitié vertueuse.

Comme la morale libère de la politesse en l'accomplissant (l'homme vertueux n'a plus à agir comme s'il l'était), la bienveillance réciproque libère de la morale (celui qui aime n'a plus à agir comme s'il aimait).

Pour Augustin, c'est l'esprit même des évangiles : le Christ nous libère de la Loi (« Aime et fais ce que tu veux »). Enfin l'idée que « le moi n'est pas toujours le maître dans sa propre maison » sera développée au 19ième siècle par Freud.

Pour lui, la volonté passée ne se sédimente pas dans le corps mais dans l'inconscient c'est à dire la partie de l'âme, faite de désirs, de pulsions, de tendances, dont on ne peut disposer car elle échappe à la connaissance.

Refoulées hors du champ de la conscience par une puissance de contrôle que Freud appelle la «censure», les forces inconscientes arrivent cependant à se manifester dans les «actes manqués» de la vie quotidienne (oublis, pertes d'objet, lapsus), dans les rêves ou les troubles du comportement (bégaiements, blocages,...).

La crise dite « du jardin » d'Augustin peut en ce sens être interprétée comme le produit d'un refoulement.. »

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