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Saint Augustin: D'où vient le mal ?

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« Dans le voisinage de nos vignes était un poirier chargé de fruits qui n'avaient aucun attrait de saveur ou de beauté. Nous allâmes, une troupe de jeunes vauriens, secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongé nos jeux jusqu'à cette heure, selon notre détestable habitude, et nous en rapportâmes de grandes charges, non pour en faire régal, si toutefois nous y goûtâmes, mais ne fût-ce que pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui était défendu. L'âme devient adultère, lorsque, détournée de vous, elle cherche hors de vous ce qu'elle ne trouve, pur et sans mélange, qu'en revenant à vous. Ceux-là vous imitent avec perversité, qui s'éloignent de vous, qui s'élèvent contre vous. Et toutefois, en vous imitant ainsi, ils montrent que vous êtes le créateur de l'univers, et que vous ne laissez aucune place où l'on puisse se retirer entièrement de vous. Et moi, qu'ai-je donc aimé dans ce larcin ? En quoi ai-je imité mon Dieu ? Faux et criminel imitateur ! Ai-je pris plaisir à enfreindre la loi par la ruse, au défaut de la puissance ; et, sous les liens de la servitude, affectant une liberté boiteuse, ai-je trouvé dans la faculté de violer impunément la justice une ténébreuse image de la Toute-puissance ? C'est l'esclave qui fuit son maître et n'atteint qu'une ombre ! O corruption ! Ô monstre de vie ! Ô abîme de mort ! Ce qui était illicite a-t-il pu me plaire, et par cela seul qu'il était illicite ? » Saint Augustin, Les Confessions, Livre II Chapitres 4 et 6
HTML clipboardD’où vient le mal ? Dans cet extrait de ses « Confessions », longue méditation qui a pour thème sa propre vie, Augustin d’Hippone tente de trouver une réponse en examinant plus particulièrement un épisode de son enfance à Thagaste, près de Carthage, au cours duquel il est entraîné à voler des poires par un groupe d’amis. Sachant que Dieu a par définition créé toutes les choses bonnes, le mal ne peut avoir qu’une origine humaine. Mais l’homme peut-il vouloir commettre le mal ? Et si oui, le fait-il selon l’adage socratique « par ignorance » ou peut-il vouloir le mal pour le mal ? C’est cette dernière hypothèse qu’Augustin d’Hippone examine ici. 

« « Dans le voisinage de nos vignes était un poirier chargé de fruits qui n'avaient aucun attrait de saveur ou de beauté. Nous allâmes, une troupe de jeunes vauriens, secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongé nos jeux jusqu'à cette heure, selon notre détestable habitude, et nous en rapportâmes de grandes charges, non pour en faire régal, si toutefois nous y goûtâmes, mais ne fût-ce que pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui était défendu. L'âme devient adultère, lorsque, détournée de vous, elle cherche hors de vous ce qu'elle ne trouve, pur et sans mélange, qu'en revenant à vous.

Ceux-là vous imitent avec perversité, qui s'éloignent de vous, qui s'élèvent contre vous.

Et toutefois, en vous imitant ainsi, ils montrent que vous êtes le créateur de l'univers, et que vous ne laissez aucune place où l'on puisse se retirer entièrement de vous.

Et moi, qu'ai-je donc aimé dans ce larcin ? En quoi ai-je imité mon Dieu ? Faux et criminel imitateur ! Ai-je pris plaisir à enfreindre la loi par la ruse, au défaut de la puissance ; et, sous les liens de la servitude, affectant une liberté boiteuse, ai-je trouvé dans la faculté de violer impunément la justice une ténébreuse image de la Toute-puissance ? C'est l'esclave qui fuit son maître et n'atteint qu'une ombre ! O corruption ! Ô monstre de vie ! Ô abîme de mort ! Ce qui était illicite a-t-il pu me plaire, et par cela seul qu'il était illicite ?» Saint Augustin, Les Confessions, Livre II Chapitres 4 et 6 Introduction D'où vient le mal ? Dans cet extrait de ses « Confessions », longue méditation qui a pour thème sa propre vie, Augustin d'Hippone tente de trouver une réponse en examinant plus particulièrement un épisode de son enfance à Thagaste, près de Carthage, au cours duquel il est entraîné à voler des poires par un groupe d'amis.

Sachant que Dieu a par définition créé toutes les choses bonnes, le mal ne peut avoir qu'une origine humaine.

Mais l'homme peut-il vouloir commettre le mal ? Et si oui, le fait-il selon l'adage socratique « par ignorance » ou peut-il vouloir le mal pour le mal ? C'est cette dernière hypothèse qu'Augustin d'Hippone examine ici. Mouvement du texte Dans le 1er §, Augustin d'Hippone confesse qu'il a fait le mal pour le mal.

Le vol des poires est dépourvu de tout motif.

Les enfants ont volé sans être poussé par la faim ou la misère, sans désir de quoi que ce soit, mais simplement pour le plaisir de braver l'interdit.

Les poires n'étaient pas belles et d'ailleurs ils les ont données aux cochons.

Le vol des poires est donc une énigme pour la raison. Dans le 2nd §, Augustin d'Hippone pose la thèse que dans tout mal, il y a la recherche secrète d'un bien, par essence divin, et que les vices sont donc des imitations des perfections de Dieu.

L'homme cherchant dans le péché ce qu'il ne peut trouver qu'en Dieu, ce qu'Augustin a cherché dans le vol des poires c'est l'affirmation d'une liberté sans contrainte.

Ce faisant il a parodié la liberté de Dieu.

A l'instar d'Adam qui en mangeant le fruit de l'arbre de la connaissance a voulu s'arroger le privilège divin de pouvoir former un jugement, Augustin d'Hippone a transgressé la Loi pour affirmer sa liberté.

A toutes les perfections divines (la gloire, la crainte, le savoir, la simplicité, le repos, la magnificence, la prééminence…) correspondent en effet, lorsqu'elles sont parodiées, des défauts humains (l'ambition, la tyrannie, la curiosité, l'ignorance, la paresse, le luxe, l'envie…). Conclusion La liberté est pour Augustin correspondance entre la volonté humaine et la volonté divine ; elle n'est donc pas un choix, mais une sorte de nécessité à se conformer à l'ordre divin.

Il existe toutefois deux sortes de liberté : la liberté parfaite qui précède la chute où l'homme est libre entièrement, parce qu'il fait de lui-même le bien, qu'il est ce bien qu'il réalise ; une liberté imparfaite, après la chute, qui témoigne de la corruption de la nature humaine, autrement dit de la mauvaise utilisation de sa volonté, car parodie de la perfection divine. Intérêt philosophique Augustin d'Hippone réfute, comme Aristote, la thèse socratique selon laquelle nul n'est méchant de son plein gré.

Bien au contraire il affirme que Dieu ayant par définition créé toutes les choses bonnes, le mal a une origine humaine, qui est dans l'imitation par l'homme des perfections divines.

De la même façon Augustin réfute la thèse des manichéens selon laquelle il y aurait 2 natures en nous (le Bien et le Mal) car elle ôte à l'homme la responsabilité de ses actes. Pour Augustin d'Hippone seul Dieu n'est soumis à aucune loi extérieure à lui.

L'homme lui est soumis à la Loi.

Cette Loi est de nature verticale et consiste avant tout à obéir aux commandements de Dieu, à la volonté divine.

Notons toutefois que, pour Augustin d'Hippone, si l'homme suit le chemin que Dieu a tracé pour lui en vue de parvenir à la béatitude, s'il pratique notamment la charité, c'est-à-dire l'amour en Dieu ou amour agapique, il se libère de la Loi (« Aime et fais ce que tu veux »), c'est l'esprit des évangiles.

De la même façon que la morale libère de la politesse en l'accomplissant (l'homme vertueux n'a plus à agir comme s'il l'était), l'amour (en Dieu) libère de la morale (celui qui aime n'a plus à agir comme s'il aimait). La réflexion d'Augustin d'Hippone sur l'origine du mal sera poursuivie par Leibniz au 17ième siècle.

Pour lui, le monde est issu d'un calcul infini sur la maximalisation du bien, et nous ne pouvons pas effectuer ce calcul et vérifier les comptes de Dieu car nous ne voyons qu'une toute petite partie de l'univers.

Or qui ne verrait qu'une toute petite partie d'un tableau admirable, n'y trouverait qu'un amas informe de peinture.

C'est pourquoi nous ne devons pas considérer l'existence du mal comme une raison de ne pas croire en Dieu mais bien plutôt comme un élément de la logique cosmologique et arithmétique de Dieu.

Sans le mal la liberté de l'homme par exemple pourrait apparaître comme impossible et nous ne serions pas alors dans le meilleur des mondes possibles.. »

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