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Quelle valeur accorder à l'expression« Petites causes, grands effets » ?

Extrait du document

« INTRODUCTION.

— L'homme ne se contente pas de connaître les faits : il veut les comprendre et il les comprend en déterminant leurs causes.

Mais parfois il constate une telle disproportion entre l'antécédent reconnu comme cause et le fait à expliquer qu'on ne peut pas s'empêcher, à la réflexion, de marquer une certaine surprise.

Le vulgaire, il est vrai, s'habitue vite à ce contraste : « petites causes, grands effets », se contente-t-il de remarquer d'un ton sentencieux.

Mais le savant et le philosophe sont plus difficiles à satisfaire : cette formule les heurte et il ne semble pas qu'ils puissent l'accepter au sens que lui donne le vulgaire.

C'est à déterminer en quel sens on peut légitimement dire : « petites causes, grands effets » que sont consacrées ces lignes. A.

Les faits.

— Ils sont innombrables, dans tous les domaines, les exemples d'événements minimes entraînant des conséquences très importantes. a) Dans le monde physique, nous sommes fréquemment témoins de graves sinistres provoqués par une négligence insignifiante, de transformations que déclenche la simple pression d'un bouton : une allumette qu'un fumeur jette enflammée est souvent à l'origine d'incendies qui dévorent des centaines ou des milliers d'hectares; c'est en relevant ou en abaissant une manette qu'un agent de l'Électricité de France plonge son secteur dans l'obscurité, arrête moteurs et appareils de chauffage ou, au contraire, redonne lumière, force et chaleur. b) Dans le monde vivant, c'est un principe général qu'il n'y a pas de proportion entre l'excitant et la puissance de la réaction que l'excitation provoque. c) Enfin le monde historique semble nous montrer une disproportion plus générale encore, car les événements qui le constituent dépendent de conditions physiques et de conditions biologiques et de plus de conditions psychologiques : les bouleversements politiques résultent de changements dans l'opinion populaire et des passions de la masse; les décisions qui modifient l'orientation de tout un pays dépendent de quelques chefs qui ne sont pas toujours ceux qui occupent les postes officiels.

Or, rien de moins rationnel, apparemment, que les réactions psychiques de l'homme : une maladresse suffit à le révolter tandis qu'avec une petite attention on le gagne à ses idées.

Le résultat s'amplifie quand on a affaire à un conducteur de peuples : suivant qu'un ambassadeur lui plaît ou lui déplaît, suivant qu'il aura bien ou mal digéré, que l'infusion prise à son coucher lui a procuré un sommeil paisible ou l'a empêché de dormir, on aura !a paix ou la guerre.

« Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, la face !u monde en eût été changée » : c'est là un exemple entre une infinité d'autres et non une exception.

En histoire, petites causes, grands effets. ANECDOTE: Si le nez de Cléopâtre avait été plus court, écrit Pascal, toute la face de la Terre aurait changé.

Que voulait-il dire par là ? Si Marc-Antoine, amoureux de la reine d'Égypte, avait préparé son combat contre Octave au lieu de compter fleurette à la belle, il serait devenu empereur à la place de son rival.

En changeant de chef, Rome aurait changé le monde.

Ainsi, l'histoire tient-elle à des riens, à des hasards insignifiants que Pascal s'empresse de rallier afin de faire une apologie du Dieu du christianisme. Comment comprendre cette formule pour pouvoir l'accepter ? B.

Signification à rejeter.

— Si nous comprenons par cause l'antécédent qui produit un événement, la formule « petites causes, grands effets » est évidemment fausse. a) Sa fausseté peut se démontrer à priori car il doit y avoir au moins autant dans la cause que dans l'effet sous peine de violer une loi essentielle de l'esprit, le principe de raison suffisante. b) De plus, l'expérience nous montre que si rien ne se perd, rien ne se crée : dans le domaine matériel, seul susceptible de mesure et pour lequel seuls les qualificatifs de « grand » et de « petit » ont leur signification propre, il n'y a que des transformations répétées de substances dont la quantité reste identique. c) Enfin, si les faits qu'on invoque, aussi nombreux et aussi frappants soient-ils, semblent justifier la formule : « petites causes, grands effets », c'est qu'on voit la cause là où elle n'est pas.

Ainsi, l'allumette jetée par le fumeur n'a mis le feu qu'aux brins d'herbe près desquels elle est tombée; le feu s'est ensuite propagé do brin d'herbe en brin d'herbe, de haie en haie, d'arbre en arbre, de pinède en pinède, mais ce n'est pas l'allumette qui l'y a apporté.

De môme, dans les êtres vivants, l'excitation déclenche la libération d'énergies accumulées dans les centres nerveux : ce n'est pas l'excitation qui produit les contractions musculaires résultant de ce déclenchement.

Enfin si les amours d'un grand chef ont des conséquences mondiales, c'est parce qu'elles l'amènent à ne plus s'intéresser à la bataille ou à se laisser influencer par de nouveaux conseillers : ce changement est proportionné avec sa cause, de même que les changements dans la conduite de la guerre, au niveau des chefs subalternes, reste proportionné à sa cause, à savoir aux ordres reçus. C.

Signification à retenir.

— La formule « petites causes, grands effets » n'est donc acceptable que si on prend le mot « cause » dans un sens large pour désigner tout antécédent qui conditionne ou occasionne les changements observés. a) Le plus souvent la petite cause à laquelle on attribue de grands effets n'est que la condition, c'est-à-dire ce qui permet à la cause de produire son effet.

Ainsi c'est le courant électrique qui fait tourner les moteurs, porte à l'incandescence le filament de nos lampes, chauffe les résistances de notre radiateur; en abaissant la manette qui ferme le circuit, l'agent ne fait que rendre possible le passage du courant.

De même, le servant d'artillerie qui, au. »

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