Quel rapport existe-t-il entre moi et autrui ?
Extrait du document
«
Nous avons retenu du solipsisme cartésien l'idée que le moi est plus certain que le monde : il y a d'abord le moi,
puis ensuite seulement le monde et autrui ; avec Descartes, la conscience devient une substance qui saisit sa pure
mêmeté dans l'acte du cogito.
Selon Descartes en effet, je n'ai pas besoin d'autrui pour avoir conscience de moi ;
mais tout seul, puis-je avoir conscience d'exister ?
Husserl va montrer que la conscience n'est pas une substance, mais une ouverture à l'altérité : je n'ai pas d'abord
conscience de moi, puis d'autrui et du monde, parce que ma conscience est d'emblée rapport au monde et à autrui.
Le monde dont je suis conscient n'est pas un désert vide, car je peux deviner la trace d'autrui derrière les choses :
le champ n'existerait pas sans autrui pour le cultiver ; de même, le chemin sur lequel je marche n'a pas été tracé par
mes seuls pas.
Je pense donc je suis (Descartes).
Cette phrase apparaît au début de la quatrième partie du « Discours de la
méthode », qui présente rapidement la métaphysique de Descartes.
On a
donc tort de dire « Cogito ergo sum », puisque ce texte est le premier
ouvrage philosophique important écrit en français.
Pour bien comprendre cette citation, il est nécessaire de restituer le contexte
dans lequel elle s'insère.
Le « Discours de la méthode » présente
l'autobiographie intellectuelle de Descartes, qui se fait le porte-parole de sa
génération.
Descartes y décrit une véritable crise de l'éducation, laquelle ne
tient pas ses promesses ; faire « acquérir une connaissance claire & assurée
de tout ce qui est utile à la vie ».
En fait, Descartes est le contemporain & le promoteur d'une véritable
révolution scientifique, inaugurée par Galilée, qui remet en cause tous les
fondements du savoir et fait de la Terre, jusqu'ici considérée comme le centre
d'un univers fini, une planète comme les autres.
L'homme est désormais jeté
dans un univers infini, sans repère fixe dans la nature, en proie au doute sur
sa place et sa fonction dans un univers livré aux lois de la mécanique.
Or,
Descartes va entreprendre à la fois de justifier la science nouvelle et
révolutionnaire qu'il pratique, et de redéfinir la place de l'homme dans le
monde.
Pour accomplir cette tâche, il faut d'abord prendre la mesure des erreurs du passé, des erreurs enracinées en soimême.
En clair, il faut remettre en cause le pseudo savoir dont on a hérité et commencer par le doute :
« Je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui avaient pu s'y glisser auparavant.
Non que j'imitasse
en cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter ; car, au contraire, tout mon dessein ne tendait qu'à
m'assurer, et à rejeter la terre mouvante & le sable, pour trouver le roc & l'argile.
» (« Discours de la méthode »,
3ième partie).
Ce qu'on appelle métaphysique est justement la discipline qui recherche les fondements du savoir & des choses, qui
tente de trouver « les premiers principes & les premières causes ».
Descartes, dans ce temps d'incertitude et de
soupçon généralisé, cherche la vérité, quelque chose dont on ne puisse en aucun cas douter, qui résiste à l'examen
le plus impitoyable.
Cherchant quelque chose d''absolument certain, il va commencer par rejeter comme faux tout ce
qui peut paraître douteux.
« Parce qu'alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu'il fallait [...] que je rejetasse
comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne resterait point
après cela quelque chose [...] qui fut entièrement indubitable.
»
Le doute de Descartes est provisoire et a pour but de trouver une certitude entière & irrécusable.
Or il est sûr que les sens nous trompent parfois.
Les illusions d'optique en témoignent assez.
Je dois donc rejeter
comme faux & illusoire tout ce que les sens me fournissent.
Le principe est aussi facile à comprendre que difficile à
admettre, car comment saurais-je alors que le monde existe, que les autres m'entourent, que j'ai un corps ? En
toute rigueur, je dois temporairement considérer tout cela comme faux.
A ceux qui prétendent que cette attitude est pure folie, Descartes réplique par l'argument du rêve.
Pendant que je
rêve, je suis persuadé que ce que je vois et sens est vrai & réel, et pourtant ce n'est qu'illusion.
Le sentiment que
j'ai pendant la veille que tout ce qui m'entoure est vrai & réel n'est donc pas une preuve suffisante de la réalité du
monde, puisque ce sentiment est tout aussi fort durant mes rêves.
Par suite je dois, si je cherche la vérité : «
feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plus vraies que l'illusion des
songes ».
Mais le doute de Descartes va bien plus loin dans la mesure où il rejette aussi les évidences intellectuelles, les
vérités mathématiques.
« Je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour
démonstrations.
»
Nous voilà perdu dans ce que Descartes appelle « l'océan du doute ».
Je dois feindre que tout ce qui m'entoure
n'est qu'illusion, que mon corps n'existe pas, et que tout ce que je pense, imagine, sens, me remémore est faux.
Ce
doute est radical, total, exorbitant.
Quelque chose peut-il résister ? Vais-je me noyer dans cet océan ? Où trouver
« le roc ou l'argile » sur quoi tout reconstruire ? On mesure ici les exigences de rigueur et de radicalité de notre
auteur, et à quel point il a pris acte de la suspicion que la révolution galiléenne avait jetée sur les sens (qui nous
ont assuré que le soleil tournait autour de la Terre) et sur ce que la science avait cru pouvoir démontrer.
« Mais aussitôt après je pris garde que, cependant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait
nécessairement que moi, qui pensais, fusse quelque chose.
Et remarquant que cette vérité : je pense donc je suis,.
»
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