Quel pouvoir avons-nous sur nos passions ?
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«
Quel pouvoir avons-nous sur nos passions?
Observation.
— Préciser le sens du terme : il s'agit évidemment ici des passions au sens moderne.
Montrer la
difficulté du problème en s'appuyant sur la psychologie de la passion.
Position de la question.
On appelait autrefois passions tous les états affectifs.
Aujourd'hui on réserve ce nom à
des états affectifs fort complexes qui présentent à la fois l'exaltation de l'émotion et la durée du sentiment.
Il est
nécessaire de rappeler brièvement quelques-uns des traits caractéristiques de ces états afin de mieux voir comment
se pose le problème de leur maîtrise.
I.
Ce que sont les passions.
A la base de la passion, il y a toujours une tendance ou un désir qui s'exagère au point de devenir le « centre de
tout » dans l'âme du sujet et qui transforme ainsi la personnalité tout entière.
A.
— Par suite de l'intervention de l'imagination (cristallisation), la passion transforme la représentation de son objet
en idée fixe : elle subjugue l'intelligence et fausse le raisonnement, désormais asservi à sa justification.
B.
— Elle exalte l'affectivité, mais l'oriente en un sens unique et souvent ferme le coeur à tout ce qui ne touche pas
à son objet.
C.
— Elle est source d'énergie, mais c'est une énergie dont le sujet n'est plus maître et qui déborde sa volonté.
—
En un mot, le passionné est, comme le dit RIBOT, « confisqué tout entier par sa passion ».
Cette rapide analyse nous montre à la fois : 1° combien il importerait que nous puissions maîtriser nos passions; —
2° combien cette maîtrise est difficile, puisque précisément le passionné ne s'appartient plus.
II.
La prophylaxie de la passion.
Le mieux serait évidemment de se tenir en garde contre les passions de façon à les éviter et à maintenir nos désirs
dans de justes limites.
P.
JANET a remarqué que la passion prend généralement naissance dans des périodes de
dépression morale, d'ennui ou d'oisiveté.
A ce stade, il nous est possible de nous ressaisir en évitant de telles
abdications de la volonté.
III.
La lutte contre la passion.
Mais ces remarques ne résolvent pas la question.
Le véritable — et le plus difficile — problème est de savoir
comment, la passion une fois constituée, nous pouvons nous en délivrer.
A.
— Ne nous dissimulons pas qu'alors notre pouvoir est assez restreint.
La caractéristique de la passion est, nous l'avons dit, qu'elle transforme notre personnalité, qu'elle fausse notre
intelligence, altère notre sensibilité, subjugue notre volonté normale.
Comment obtenir d'un sujet dont toute la vie
psychique se trouve ainsi comme « polarisée », qu'il veuille se libérer de sa passion qui, le plus souvent, l'enchante,
qui est toute sa vie et qui lui fait voir le monde et ses propres actes sous un jour trompeur? — Fort heureusement
cependant, il arrive que des incidents extérieurs : attitude de l'entourage, constatations des conséquences des
erreurs commises, ou des scrupules moraux, viennent, au moins pour un moment, ouvrir les yeux du passionné.
B.
— Même en ce cas, il est difficile — peut-être même dangereux — de chercher à lutter contre la passion
directement.
On ne ferait bien souvent que la renforcer.
C.
— Il faut donc lutter contre la passion indirectement.
— 1° Notre vrai pouvoir sur elle est de chercher à nous
distraire, à échapper à l'univers dans lequel elle nous enferme.
Partir, voyager, « changer d'air », comme on dit
familièrement, est souvent le meilleur remède.
Il arrive alors que la passion s'évanouisse tout à coup : une
décristallisation soudaine se produit; le sujet se trouve comme brusquement dégrisé.
Un romancier contemporain
(Michel BUTOR, La modification) a montré comment la passion peut tomber d'elle-même quand le sujet se rend
compte que l'atmosphère dans laquelle elle s'était développée ne peut plus être retrouvée.
— 2° On peut aussi
essayer, puisque la passion est un déséquilibre, de rétablir l'équilibre en se contraignant à des activités (physiques,
de préférence : sport, etc.) n'ayant aucun rapport avec elle.
— 3° N'oublions pas enfin que, chez un sujet ayant
une forte éducation morale ou religieuse, ces forces spirituelles peuvent, en dépit de la « polarisation » dont nous
avons parlé, triompher de la passion.
Encore faudra-t-il, même en ce cas, ne pas dédaigner les adjuvants extérieurs
: il faut, comme disait PASCAL, « ployer la machine ».
Conclusion.
Notre pouvoir sur nos passions est donc assez restreint; mais il n'est pas nul..
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