Que manque-t-il à qui manque la parole ?
Extrait du document
«
C'est souvent par anthropomorphisme que l'homme arrive à penser que la seule chose qui le différencie de l'animal
est la parole.
Comme si l'animal était capable de penser mais incapable de s'exprimer, capable de ressentir des
émotions mais ne possédant pas la capacité de s'exprimer.
Il s'agit de se demander ce qui différencie vraiment
l'homme de l'animal, et ce qui peut prêter à confusion qu'à l'existence d'une âme humaine.
1) La réalité humaine.
Suffit-il, pour situer l'homme, de le placer, simplement, en tête de la lignée des mammifères supérieurs, en lui
accordant cette primauté parce qu'il se trouve doté d'un caractère, d'une « différence spécifique », qui le distingue
de tous les autres membres de cette lignée, proches et lointains : la rationalité ? La fameuse définition que donne
de lui Aristote : l'homme est un animal doué de raison et donc de parole, équivaut sans doute à une réponse
affirmative.
Et telle est aussi la portée des classifications que dresse l'arbre de Porphyre.
Il importe peu, dès lors,
que cette différence spécifique soit conçue comme la résultante finale d'une évolution continue qui, au cours des
siècles, mène l'homme de l'état simplement animal à l'état proprement humain, en passant par les anthropoïdes ; ou
que, au contraire, on estime, par opposition à la thèse évolutionniste, que le caractère distinctif de l'humanité soit
apparu par quelque mutation soudaine, créatrice d'une nouvelle espèce animale appelée par l'intelligence à dominer
toutes les autres.
L'homme, dans l'un et l'autre cas, se limite à être un animal raisonnable qui demeure en parfaite
continuité avec la nature.
Aussi l'anthropologue Boas écrit en 1911 dans le chapitre intitulé « Universalité des traits
de la culture » de son livre The Mind of Primitive Man.
« C'est alors la possession du langage et de la culture qui fut
estimée être la caractéristique exclusive de l'homme.
» De même selon Levi- Strauss dans Structure de la parenté a
culture est donc fondée sur l'échange réglé et mutuel : des femmes, des mots, des biens.
La culture se manifeste et
s'épanouit selon des modalités multiples.
Elle est, d'une certaine manière, la totalité de la société et de ses
institutions : logique, langage, droit, art, religion ; manières de table et de lit ; vêtements, parures, techniques
corporelles, formes de politesse.
Une culture est un système de parenté, qui fournit à l'individu généalogie et
identité.
Et aussi bien des lois coutumières que des modalités d'échange économique, des outillages, des
techniques, des modes de production et de consommation.
La caractéristique commune de ces manifestations est
de constituer un « système analysable dans les termes d'un système plus général » (1960)
2) Le langage différencie l'homme de l'animal.
Descartes dans la cinquième partie du Discours de la Méthode évoque l'idée
que les animaux ne sont que des machines fort complexes.
L'homme est une
machine faite des mains de Dieu beaucoup plus perfectionnée que celle
fabriquée par les hommes.
Allant même plus, il fait remarquer qu'on pourrait
distinguer une machine construite parfaitement d'un animal.
Il se débarrasse
par là de l'âme sensitive de l'école.
Il récuse même que les animaux agisse
grâce à une quelconque âme.
Les animaux sont des automates qui agissent
par ressort.
Ce passage du discours de la Méthode vaut mieux que de longues
explications sur la différence de l'homme et de l'animal : « Or, par ces deux
mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les
hommes et les bêtes.
Car c'est une chose bien remarquable qu'il n'y a point
d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés,
qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en
composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu'au
contraire il n'y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né
qu'il puisse être, qui fasse le semblable.
Ce qui n'arrive pas de ce qu'ils ont
faute d'organes : car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer
des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous,
c'est-à-dire en témoignant qu'ils pensent ce qu'ils lisent ; au lieu que les
hommes qui étant nés sourds et muets sont privés des organes qui servent
aux autres pour parler,- autant ou plus que les bêtes, ont coutume
d'inventer d'eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à
ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d'apprendre leur langue Et ceci ne témoigne pas seulement que les
bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout : car on voit qu'il n'en faut que fort
peu pour savoir parler ; et d'autant qu'on remarque de l'inégalité entre les animaux d'une même espèce, aussi bien
qu'entre les hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n'est pas croyable qu'un singe ou
un perroquet qui serait des plus parfait.
De son espèce n'égalât en cela un enfant des plus stupides, ou du moins
un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n'était d'une nature toute différente de la nôtre.
Et on ne doit
pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent les passions, et peuvent être imités par
des machines aussi bien que par les animaux ; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que
nous n'entendions pas leur langage.
Car s'il était vrai, puisqu'elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux
nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu'à leurs semblables.
C'est aussi une chose fort
remarquable que, bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie que nous en quelques unes de
leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en beaucoup d'autres : de façon que
ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de
[189] nous et feraient mieux en toute autre chose ; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et que c'est la nature qui agit
en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu'on voit qu'un horloge, qui n'est composé que de roues et de.
»
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