Qu'attendons-nous pour être heureux ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
Heureux, heureuse: Qui jouit du bonheur, qui est durablement content de son sort.
Le présupposé de la question : "Qu'attendons-nous pour être heureux ?", c'est que nous ne sommes pas heureux
pour l'instant, et que nous ne serions pas près de l'être.
Ce présupposé est-il légitime ? Pourquoi ne peut-on pas se
déclarer heureux dans le présent ? Quelles peuvent être nos résistances au bonheur ? Pourquoi y en a-t-il, et sontelles si puissantes qu'elles nous empêchent inévitablement d'être heureux ? En tant qu'"idéal de l'imagination" (Kant),
le bonheur ne peut-il être que repoussé ?
Le philosophe allemand KANT a déjà rédigé son premier grand livre de métaphysique
(ou plus exactement de critique de la métaphysique), « Critique de la raison pure » (1781),
lorsqu'il entreprend une première approche de la morale avec les « Fondements de la
métaphysique des moeurs » (1785) qui précéderont de trois ans son grand ouvrage sur la morale :
« Critique de la raison pratique » (1788).
On connaît le résultat de cette critique de la métaphysique : sur les
questions de l'âme (le sujet profond de notre expérience interne), du monde
(le tout complet de la réalité, objet de notre expérience externe), et de Dieu
(considéré comme fondement suprême de la totalité des êtres), nous ne
pouvons que nous livrer à des spéculations métaphysiques qui dépassent les
limites de l'expérience effective possible.
Un savoir métaphysique
transcendant, portant sur la réalité non sensible (les noumènes), est
impossible.
Voilà ce que révèle la démarche critique, qui s'interroge sur les
conditions a priori de possibilité de la connaissance.
Une fois ce travail
accompli, KANT cherche à appliquer cette même méthode critique à la
morale, en s'interrogeant cette fois sur les conditions de possibilité de l'action
morale.
C'est cette investigation qui fait le contenu des « Fondements de la
métaphysique ».
Et passant en revue les thèmes traditionnels de la
philosophie morale, KANT ne manque pas de rencontrer la question du
bonheur et, dans la deuxième section de l'ouvrage (« Passage de la philosophie morale populaire à la
métaphysique des moeurs »), de mettre fortement en question cette notion en la rattachant non à la raison ,
mais seulement à l'imagination : « Il n'y a pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot,
de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé
uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par
laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie.
»
« Un impératif qui puisse commander...
» Ceci ne prend pleinement sens qu'à l'intérieur du système de KANT.
On
sait que pour lui, dans la nature, toute chose agit d'après des lois.
Mais notre monde humain n'est pas seulement
celui de la nature, il est bien plus spécifiquement celui de la culture.
Les hommes ne sont pas des choses, mais des
êtres raisonnables, qui n'agissent pas tellement sous la pression des contraintes de la nature mais bien plutôt selon
leur volonté.
Autrement dit, dans leurs actions, les hommes ont la capacité d'agir selon des principes, selon la
représentation qu'ils se font de ce qui est raisonnable.
Eux aussi (comme les choses de la nature) obéissent à des
lois, mais en tant qu'êtres de culture ils obéissent consciemment à des lois qu'ils se sont données eux-mêmes et qui
sont conformes à la raison.
Le malheur de l'homme tient à ce qu'il n'est pas entièrement un être raisonnable, qu'il
n'est pas totalement déterminé dans ses actions par la représentation objective du bien.
Entre la loi et lui (cad son
vouloir) doit s'interposer le devoir qui s'exprime par des impératifs.
Mais KANT opère la distinction entre des impératifs hypothétiques et des impératifs catégoriques.
A chaque fois,
il s'agit de l'homme conçu comme un sujet capable d'être déterminé pratiquement par la raison, et se posant la
question de savoir si l'action qu'il va entreprendre est bonne ou non.
Ou bien cette action est bonne comme un
moyen obligé pour obtenir quelque chose d'autre, et l'impératif (qui est la formule par laquelle est déterminé l'action)
est un impératif hypothétique.
Ou bien l'action qui doit être accomplie est bonne « en soi », elle est nécessaire par
elle-même, elle est sans rapport avec un autre but, et l'impératif qui la commande est catégorique.
Le détour par cette grille conceptuelle est nécessaire pour comprendre ce qu'il en est du bonheur dans le
système de KANT.
Il faut savoir aussi que KANT distingue, parmi les impératifs hypothétiques, ceux qu'il appelle
« problématiques » (se rapportant à une fin seulement possible) et ceux qu'il appelle « assertorique » (se rapportant
à une fin réelle).
En effet ,il dit : « Il y a une fin que l'on peut supposer réelle chez tous les êtres raisonnables, [...]
un but qui n'est pas pour eux une simple possibilité, mais dont on peut certainement admettre que tous se le
proposent effectivement en vertu d'une nécessité naturelle, et ce but est le bonheur.
L'impératif hypothétique qui
représente la nécessité pratique de l'action comme moyen d'arriver au bonheur est ASSERTORIQUE.
»
L'impératif qui commande les actions à accomplir pour atteindre le bonheur n'est pas un impératif catégorique, mais
seulement un impératif hypothétique : « L'impératif qui se rapporte au choix des moyens en vue de notre bonheur
propre, cad la prescription de la prudence, n'est toujours qu'hypothétique ; l'action est commandée, non pas
absolument, mais seulement comme moyen pour un autre but.
».
»
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