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Pouvons-nous dire vraiment n'importe quoi, n'importe comment

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« Pouvons-nous vraiment dire n'importe quoi, n'importe comment? INTRODUCTION O n affirme fréquemment que le langage nous offre la possibilité de formuler une infinité d e m e s s a g e s .

Par ailleurs, l'usage littéraire (poétique) de la langue paraît parfois surprenant, sinon aberrant, et, lorsque Éluard affirme que «la terre est bleue comme une orange », un lecteur peut réagir en accusant le poète d e dire « n'importe quoi ».

Mais est-il vraiment possible de dire n'importe quoi n'importe comment? Le langage n'impose-t-il pas des contraintes formelles ou structurelle& à l'expression? Les rapports entre la pensée et le langage ne déterminent-ils pas un cadre qui limite notre faculté d'invention? I.

CAPACITÉS D'INVENTION DU LANGAGE — Déjà Descartes signalait qu'il y a dans le langage humain la capacité d'inventer à l'infini des m e s s a g e s nouveaux.

Et par ailleurs, c o m m e il le souligne également, ce que nous disons est indépendant des situations et des stimuli actuels (cf.

la possibilité du mensonge). — Cette créativité d e la langue est confirmée par la linguistique: la langue s e définit comme un système d'unités en nombre fini permettant d'élaborer une infinité de messages. — Mais les conditions de la communication (c'est-à-dire de la compréhension, par autrui, de ce que nous formulons) limitent évidemment notre liberté d'invention '(tout vocabulaire est collectif et ainsi « imposé » au locuteur, et une simple accumulation de mots en désordre ne fait pas sens). II.

LES «CENSURES» — Tout discours n'est p a s licite : il existe des conventions sociales (historiquement variables) qui autorisent ou interdisent certains énoncés (cf.

accusations de grossièreté, d'obscénité, etc.).

Ces conventions, relativement à une même langue, sont caractéristiques des groupes sociaux: ce qui peut se dire en patois, ou avec un accent prononcé dans certains groupes, sera entendu c o m m e formulé « n'importe comment » par d'autres groupes. — Les structures grammaticales de la langue, même affaiblies au maximum, signalent une limite au « n'importe quoi ». • Dans l'écriture automatique des surréalistes — et alors même qu'il s'agit d'y fixer la «dictée de l'inconscient» — on constate un respect de la forme grammaticale minimale (ce qui pose d'ailleurs de graves problèmes d'interprétation de cet automatisme).

La pulsion brute paraît hors-langage (un peu à la façon dont l'acte authentiquement violent supprime momentanément la formulation linguistique). — Toute image poétique paraît d'abord surprenante — particulièrement dans la poésie contemporaine.

Cf.

sa définition par Reverdy ou Breton: il s'agit de juxtaposer des «réalités» habituellement distinctes, et plus le rapprochement paraît d'abord arbitraire, plus l'image est forte (cf.

les «beau c o m m e » d e Lautréamont).

Mais cet apparent et temporaire «n'importe quoi » constitue en fait une exploration nouvelle de l'existence et finit par transformer notre conception du «réel» (lorsque les images se banalisent par un usage de plus en plus commun: que la passion soit «brûlante» ou «dévorante» ne surprend plus grand monde...). — Parallèlement, lorsque des mots font défaut (dans un domaine scientifique par exemple), on a toujours la possibilité d'en constituer de nouveaux, pour désigner des aspects inédits du monde (c'est ce qui justifie aussi l'existence d'un vocabulaire technique de la philosophie: un terme nouveau suppose un concept également nouveau, dont la nécessité se fait sentir pour évoquer une démarche ou une analyse singulière.

Ex.: la différance de Derrida). III.

L'IMPOSSIBILITÉ DE «DIRE» — Qu'il soit usuel, poétique ou technique, le langage nous offre ainsi des possibilités de dire ce que l'on prétend énoncer. Mais ce dire suppose toujours un rapport au sens: • soit déjà constitué (langage utilitaire, et majoritaire); • soit ouvert, à découvrir (langage poétique); • soit radicalement nouveau (langages techniques); et donc l'intention de mettre en circulation du sens et sa possibilité.

La circulation du sens implique la présence d'un interlocuteur (au moins potentiel). — Lorsque cet interlocuteur est «nié», le « n'importe quoi » ou le « n'importe comment» restent possibles (c'est même alors qu'ils prennent l'aspect le plus brutal du n'importe quoi ou n'importe comment authentiques, c'est-à-dire de l'incompréhensible), mais ils n'établissent plus aucune communication: • cas du délire pathologique, entièrement régi par des lois singulières, et qui reste hermétique pour autrui. • Ne pas confondre une telle rupture du sens et de la communication avec des ruptures voulues et calculées (monologue de Lucky dans En attendant Godot, p o è m e s dadaïstes), qui correspondent à u n e intention d e communiquer l'absence ou la suspension du sens par la construction (rigoureuse chez Beckett, aléatoire — du moins en principe— chez les dadaïstes) d'un n'importe comment apparent. — Si ce qui est dit travaille dialectiquement avec ce qui est conçu (avant ou après le dire), l'irruption d'un n'importe quoi réel correspondrait à un langage privé d e toute relation avec des concepts.

Cas déjà évoqués d e la violence ou d e la folie.

À l'inverse, l'incapacité de conception mène à ne rien pouvoir dire: en ce sens, la mort reste « indicible» et apparaît comme l'ultime obstacle au désir de dire n'importe quoi. CONCLUSION L'être humain produit du sens.

Celui-ci peut être inhabituel ou incongru, présent ou simplement futur — l'indicible n'est que social ou historique, il n'est pas à proprement parler déterminé par les conditions de l'expression linguistique.

Seul l'effondrement d e la raison (folie) ou son silence (devant la mort) lui imposent un terme. AUTRE SOLUTION — Comprendre «dire n'importe quoi» par rapport aux critiques (de Nietzsche ou Bergson) de la langue: nos concepts, collectifs, seraient incapables de prendre en charge la singularité — dont tout discours serait une aliénation immédiate. — Se demander alors si le «n'importe comment» apparent — le style qui rompt avec le langage utilitaire — ne nous offre pas les moyens de dire ce n'importe quoi que le langage ordinaire refoule.

Question classique de l'indicible. (On peut signaler la critique hégélienne de cette «notion».) — On constate alors que ce n'importe comment, c'est la poésie au sens large, c'est-à-dire: • privilège de la métaphore sur le concept; • glissement des signifiés sous un même signifiant (Lacan) cf.

l'usage par Nietzsche de la voie poétique dans Ainsi parlait Zarathoustra. Dès lors, le «n'importe comment désigne simplement l'éloignement relativement a u x normes d e la prose et d e la communication quotidiennes. — Ne pas oublier la question de la «folie» comme rupture de la communication.. »

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