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Pourquoi punit-on ?

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« Le terme à creuser est celui de punition.

Et la première chose à faire, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un concept philosophique mais d'une notion courante, est de classer et interroger les cas concrets d'usage du mot ou de la chose même.

Le problème ne se dégagera pas avant cette analyse.

La punition ne s'arrête pas à son acception juridique : la punition éducative donnée par les parents est à prendre en compte également.

Comment se distinguent-elles ? Y aurait-il dans la punition éducative une sorte d'espoir qu'il n'y aurait plus dans la punition juridique : si je punis un enfant pour avoir été impoli, j'espère qu'il intériorisera la contrainte et deviendra spontanément poli.

Quand on condamne quelqu'un pour injures, violences, etc., quelle sera l'efficacité du jugement ? Condamne-t-on seulement pour assurer la tranquillité de tous sans changer l'être même de celui qui est puni ? Il y a aussi le cas de la punition qui vise à la protection du puni lui- même : voir le cas des enfants (on punit un enfant pour s'être mis en danger) ; mais c'est plus problématique dans le cas des adultes, qui sont censés être responsables de leurs actes (exemple courant : la ceinture de sécurité).

Pourquoi punit-on ? Quel est le rapport à la liberté : ne reconnaît-on celle-ci que pour avoir le droit d'inculper et de punir (Nietzsche) ? On peut faire jouer les sens de pourquoi : quelle est la cause ? quelle est la justification (raison) ? quel est le but, conscient ou inconscient ? L'énoncé comporte deux dimensions : 1.

Quels sont les motifs de la punition, ce qui peut recouvrir d'autres problèmes du type " qui punit-on ? ", et " qu'est-ce qui mérite d'être puni ? " 2.

A quoi sert la punition, quel est son objectif ? La punition est un élément constitutif des sociétés dites démocratiques.

Elle permet d'établir, de faire respecter la supériorité d'un pouvoir, et elle est définie par la loi.

La punition a valeur d'exemple, et son objectif est de lutter contre la récidive (c'est-ce que veut dire Foucault lorsqu'il déclare : " à la limite, un crime dont on serait sûr qu'il est le dernier mériterait de ne pas être puni ").

On met ici le doigt sur toute une conception du crime et de la criminalité, envisagée comme une maladie contagieuse que l'on doit bannir du coeur de la société.

Sur ce point, on pourra se référer à Surveiller et punir de Michel Foucault : l'auteur y retrace l'historique de la punition, montre comment on est passé au fil du temps du châtiment corporel à l'enfermement.

Il explique comment ces revirements correspondent à une évolution économique et politique de la société, la conduisant à modifier ses critères de définition du crime, à recentrer les objectifs de la punition en fonction de ses nouvelles raisons de punir, enfin à modifier la nature des punitions pour les ajuster à ces nouveaux objectifs.

On peut également envisager l'énoncé sous un autre angle : 1.

en prenant acte d'une réalité : on punit, il y a de la punition (le pronom indéfini " on " marque fortement le caractère anonyme, mécanique et universel de la punition.

On punit partout : à l'école, en famille, au travail, à l'armée, en prison...) ; 2.

et puisqu'on demande " pourquoi on punit ", pour quelles raisons, c'est que l'on suppose un sens à la punition.

Le sujet postule donc qu'on ne punit pas pour rien, qu'il y a un sens.

C'est ce postulat qui est à discuter, en distinguant l'utilité pratique évidente (dresser l'enfant, mater le peuple, dompter les corps, éduquer à la moralité des moeurs...) de la signification de ces processus (pourquoi dompter, dresser..., quels avantages ?).

Il faudra aussi remettre en question l'efficacité de ces processus : la punition carcérale empêche-telle la récidive ou la favorise-t-elle ? Autres pistes de lecture : l'Émile de Rousseau et la Généalogie de la morale de Nietzsche. I.

L'homme a-t-il le droit de punir l'homme ? Le problème apparaît avec une évidence saisissante quand il s'agit de la peine de mort, car enfin, en tuant le criminel il semble que la justice s'arroge un privilège véritablement divin. L'homme ne crée pas la vie, il la reçoit : il ne lui appartiendrait pas, en conséquence, de la supprimer. II.

Sans même penser à la peine de mort et sans faire intervenir l'argument théologique, on aperçoit le paradoxe de toute sanction.

La sanction imite ce qu'elle entend sanctionner.

Toute sanction est une violence, et par là une atteinte à la personne humaine.

La sanction a pour but de châtier les violents mais elle ne les châtie qu'en introduisant une nouvelle violence dans le monde.

La peine capitale, qui tue le meurtrier, l'imite, loin de ressusciter la victime ; au bout du compte on a deux morts au lieu d'un (le marquis de Sade disait que la justice n'a même pas l'excuse - comme les meurtriers qu'elle punit - de tuer par passion, elle tue à froid, par méthode et délibérément). III.

Un moyen très simple, pourtant, de justifier les sanctions consiste à invoquer l'utilité sociale.

La société a le droit de protéger ses membres sains et d'empêcher de nuire ses brebis galeuses.

A la limite on supprimera le monstre moral comme on supprime un serpent venimeux ; c'est la sanction éliminatrice.

Ou bien on punira pour faire un exemple, pour effrayer l'imitateur éventuel : sanction intimidatrice.

En Angleterre, jusqu'au milieu du XIX siècle, les jours de pendaison étaient chômés, pour que tout le monde assiste au spectacle, afin qu'ainsi les meurtriers en puissance soient épouvantés (et aussi peut-être donnent à leur goût de la violence, par ce spectacle horrible, une sorte de satisfaction substitutive). IV.

Cette théorie utilitaire de la sanction peut être critiquée tout d'abord à partir de ses propres principes.

La sanction intimidatrice manque souvent son but.

Aussi étrange que cela puisse paraître, on sait aujourd'hui que la peine de mort encourage certains délinquants plus qu'elle ne les décourage (parce qu'elle marque le coupable d'un sceau tragique et lui donne une sorte de gloire ; dans les prisons, les condamnés à mort sont révérés comme des héros).

Les sanctions poussent souvent à la révolte plus qu'au repentir.

Les prisons ont été parfois de vraies écoles du crime (maison de correction = maison de corruption). V.

Mais quand bien même la sanction réussirait son effet d'intimidation (Benoist Méchin raconte qu'au pays d'Ibn Seoud où les voleurs ont la main coupée, on peut laisser un sac d'or dans le désert et le retrouver intact un an après !), elle ne serait pas pour autant moralement justifiée.

L'instinct défensif de la société qui se protège n'est pas un mobile moral.

Faire son devoir par intérêt n'est pas moral ; punir par intérêt non plus.

Comme dit Janet : « si les punitions n'étaient de la part de la société que des moyens de défense, ce serait des coups, ce ne serait pas des punitions.

». »

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