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Pourquoi est-il si difficile de décrire un sentiment qu'un objet physique ?

Extrait du document

« INTRODUCTION.

— Le psychologue, a-t-on dit, atteint son objet propre beaucoup plus directement que le physicien n'atteint l'objet de la physique.

Il n'en reste pas moins que le jeu de notre vie psychique semble plus mystérieux et plus confus que celui du monde extérieur et que la description d'un sentiment est plus difficile que celle d'un objet physique.

Pourquoi ? La question ne semble viser que les objets concrets et individuels qui seuls peuvent être décrits.

Mais comme, à proprement parler, on ne peut.

pas faire la « description » d'un sentiment mais seulement son analyse, nous pourrions, donnant au verbe « décrire » la signification plus générale de « faire connaître », entendre la question des types généraux dont la science détermine les caractéristiques essentielles.

Nous nous placerons successivement aux deux points de vue. Prise dans le premier sens, la question peut, à l'aide d'exemples, se formuler ainsi : pourquoi la tristesse, la joie, la peur, la jalousie sont-elles plus difficiles à décrire que la chaux ou le charbon, la fleur ou le vertébré P Il pourrait nous sembler à première vue que les sentiments comportent une variété beaucoup plus grande que les objets physiques.

Mais cette impression est peut-être trompeuse et l'impression contraire plus exacte : « si on n'observe pas une plus grande variété dans les types de sympathie que dans les espèces de charbon, il parait indiscutable que les fleurs présentent une diversité bien plus grande que les sentiments. On pourrait aussi attribuer au langage la difficulté spéciale que présente la description des sentiments.

Au sens propre, en effet, nos mots désignent des réalités ou des qualités physiques .

« sentiment » nous renvoie en définitive à l'organe sensoriel dont l'excitation conditionne la mise en jeu de l'activité psychique; l'émotion, est un mouvement; lorsque nous parlons de la profondeur, de la chaleur, de la couleur de nos sentiments, nous faisons appel à des données extérieures.

Ces descriptions qui doivent en quelque sorte recourir à des matériaux étrangers à la réalité décrite doivent, semblé-t-il, être plus difficiles que les descriptions directes duc monde extérieur, tout comme le langage symbolique est d'une utilisation plus difficile que le langage naturel.

Mais cette explication, elle aussi, n'est qu'apparente.

Si à l'origine les mots du vocabulaire affectif désignaient un objet extérieur, ce n'est plus une image de la réalité extérieure qu'ils évoquent maintenant à notre esprit, ou si elles l'évoquent, ce n'est qu'à titre d'accompagnement et pour éclairer leur signification psychique : ainsi, en entendant le mot « tendresse », nous ne songeons pas au bois dans lequel notre canif fait sans effort de profondes entailles ou à' la viande qui fond en quelque sorte sous la dent, car ce terme a pris une acception purement affective; si le qualificatif de « froid » me fuit songer à la température d'hiver qui arrête toute vie, ce ne sera pas hors de propos, car c'est bien.

un arrêt de mon expansion vitale que provoque en moi la froideur de ceux dont je désire la sympathie. Ainsi, les termes affectifs désignent clairement leur objet, et cet objet est aussi précis que celui du physicien. C'est pourquoi la description des sentiments ne présente pas de difficulté spéciale.

On pourrait même, prenant le contre-pied du présupposé qu'implique la question à laquelle nous avons à répondre, dire que la physique nous présente des objets plus difficiles à décrire que la psychologie affective.

De nombre d'entre eux, en effet — qu'on songe à la fleur, au germe, etc.

— on ne peut que donner une idée en termes abstraits indiquant une fonction ou une propriété essentielle.

Les sentiments, au contraire, grâce à la possibilité de l'expérience interne, peuvent être caractérisés en peu de mots qui donnent l'impression du réel et équivalent à une description fidèle. Il n'est donc pas vrai, si nous prenons les termes dans leur acception générale et non dan; leur acception particulière, qu'un sentiment soit plus difficile à décrire qu'un objet physique.

Sans doute, l'homme de la rue sera plus embarrassé par la description de ta pitié ou de la tendresse que par celle d'un cheval ou d'une bicyclette.

C'est que, habitué à regarder au dehors et à traiter avec ses semblables de choses matérielles, les objets du monde physique et les termes qui les désignent lui sont plus familiers.

La difficulté tient au sujet plus qu'à l'objet. Mais c'est seulement pour déblayer le terrain que, interprétant la question posée dans un sens qui n'était pas évident, sinon à contresens, nous avons comparé.

du point de vue de la difficulté de les décrire, les types généraux de sentiments et Tes types généraux d'objets physiques.

La question, en effet, vise, non pas les types généraux, mais les réalités singulières, car on analyse les notions générales, on ne les décrit pas; la description n'a pour objet que des êtres ou des faits concrets et individuels.

Nous devons donc reprendre la question et nous demander pourquoi, par exemple, un sentiment comme l'insatisfaction que me laissent les pages que je viens de rédiger est plus difficile à décrire qu'un objet matériel comme mon stylo ou ma montre. Une première difficulté de la description d'un sentiment concret est sa complexité qui résulte principalement de l'unité de la vie psychique, bien mise en relief par les psychologues contemporains. Sans doute, tout objet individuel est complexe; il y a tant à dire de lui qu'on n'en peut venir à bout : omne individuum ineffable.

S'ils nous paraissent simples, c'est que nous ne les observons pas dans leur, réalité totale, nous considérons de préférence les produits de l'industrie humaine présentant des formes régulières faciles à reconnaître, tels un crayon, un marteau, une pièce de monnaie, une aiguille, c'est la forme .qui seule retient notre attention : ou encore nous nous contentons d'en connaître l'usage pratique et l'impression qu'ils font sur nous.

S'il nous fallait décrire une motte de terre ou un bloc de rocher, il ne nous serait pas facile d'en donner à nos lecteurs une vision mentale. Néanmoins, nous devons le reconnaître, un sentiment est plus complexe encore parce qu'il tient à toute notre vie et à toute notre histoire.

Pour connaître et décrire un caillou, je n'ai pas à remonter à ses origines ni à chercher ses rapports avec ses alentours : il me suffit de l'observer en lui-même dans son présent.

Un sentiment, au contraire, est lié avec tout te psychisme de celui qui l'éprouve : il ne fait qu'un avec ses. »

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