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Pourquoi désirer ce qui n'est pas nécessaire ?

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« [Introduction] Dans sa Lettre à Ménécée, le philosophe antique Épicure propose de faire la distinction entre des désirs nécessaires et des désirs non nécessaires, afin que nous puissions limiter nos désirs à l'essentiel et ne pas passer à côté du bonheur en les laissant se multiplier à l'infini.

Il pense ainsi que nous pouvons atteindre l'ataraxie, l'absence de troubles, de passions, de perturbations, d'envies, etc.

et donc le bonheur. Néanmoins, le désir humain est-il facile à discipliner? Et d'ailleurs, comment estimer ce qui est « nécessaire » et ce qui ne l'est pas? Si nous nous en tenons aux strictes nécessités vitales, l'homme n'a besoin que de très peu de choses.

Pourtant, il désire aussi bien un bel avenir, le grand amour, la beauté artistique, la connaissance, l'immortalité...

Ne pouvons-nous pas vivre sans cela? Et pourquoi désirer ce qui n'est pas nécessaire? Une telle question nous amène à réfléchir à la notion de nécessité, difficile à déterminer: à partir de quand une chose est-elle nécessaire ou cesse-t-elle de l'être? Et le désir porte-t-il sur ce qui est nécessaire ou justement sur ce qui ne l'est pas? Par ailleurs, comme nous engage à le contester Épicure, des désirs qui porteraient sur des choses non nécessaires seraient-ils raisonnables? Ne devons-nous pas limiter nos désirs à la stricte nécessité? Cependant, si l'essence même du désir était de dépasser toute limite, comment éviter cet écueil? Ne faut-il pas affronter cette obscure tension du désir qui pousse l'homme hors de lui-même? Et n'est-ce pas précisément cela qui le conduit à la plus haute humanité? [I.

Le désir ne réside pas dans la nécessité du besoin ni dans celle de l'utilité] [ 1.

Désirs et nécessités biologiques et sociaux] Il est d'abord important de préciser le sens du mot « désir », en lien avec la notion de « nécessité » (ou du moins certaines de ses significations, puisque ce mot est extrêmement polysémique).

Lorsque nous sommes soumis à des besoins « naturels », associés à notre corps, nous dépendons des lois de la nature: on parle de déterminisme biologique.

Tous les êtres vivants y sont soumis et l'homme n'y fait pas exception : il a besoin d'une certaine quantité de nourriture et de certains aliments diversifiés, de repos, d'exercice physique et subit les exigences naturelles de l'accouplement, destiné à la reproduction de l'espèce.

Lorsque nos envies se limitent à cela, nous ne différons pas des animaux et il vaut mieux parler de besoins.

En effet, le désir apparaît au moment où l'homme ne se contente plus de ces besoins mais recherche autre chose: une nourriture élaborée, voire raffinée ; des exercices physiques compliqués, risqués ou encore conviviaux (sports collectifs) ; des relations sentimentales et intellectuelles avec l'autre, etc.

De même lorsque nous sommes soumis à la logique de l'utilité sociale: travailler, se divertir pour pouvoir retourner ensuite au travail, être propriétaire pour s'assurer un logement stable, épargner, etc., nous subissons un autre type de déterminisme, cette fois-ci social.

Là encore il n'y a pas véritablement de désir, du moins jusqu'à ce qu'au-delà du travail nous recherchions la réalisation de soi, au-delà du divertissement le partage avec d'autres et l'enrichissement mutuel, au-delà de la propriété une manière d'habiter le monde qui nous soit propre, audelà de l'épargne la possibilité de réaliser les projets les plus fous. [2.

Le désir est d'ordre symbolique] Le désir proprement dit n'est donc pas lié à la nécessité d'une chose mais à ce qu'elle représente pour nous.

Par là, le désir n'est pas lié à la dimension matérielle des objets ou au physique d'une personne mais à ce qu'ils « symbolisent », à leur dimension symbolique et signifiante.

Il fait appel à notre histoire personnelle, à notre vécu, ainsi qu'à l'univers culturel dans lequel nous vivons, autrement dit à notre subjectivité.

Il n'y a pas de désir « naturel », ni de désir purement conditionné socialement.

Le désir est une réalité complexe qui passe par le langage et les sentiments, qui circule entre soi et la société, soi et ses parents, etc.

La psychanalyste Françoise Dolto le montre très bien dans un article de L'École des parents, d'avril 1985.

Elle évoque la situation où un enfant demanderait un bonbon à ses parents et elle précise combien il est important, pour que l'enfant prenne conscience de la dimension proprement humaine de son désir, que ses parents l'amènent à parler et à retarder le moment de la consommation de la confiserie.

« En entrant en communication avec lui à propos de ce qu'il désire, on lui ouvre le monde: un monde de représentations, de langage, de vocabulaire et de promesses de plaisir.

Une fois qu'il a son bonbon [...], les parents ont peut-être la paix, mais l'enfant ne parle pas, n'observe rien, il est centré sur son tube digestif.

» Ainsi le désir humain naît-il à partir du moment où nous prenons de la distance par rapport à nos envies immédiates, que nous les mettons en perspective avec des mots et que nous nous projetons dans l'avenir.

Tout ceci repose sur une dimension symbolique, c'est-à-dire à la fois sur l'abstraction, la capacité à faire varier mentalement les possibles en utilisant les mots du langage, l'imagination. [3.

Le désir est autant don qu'appropriation] Par ailleurs, dans le besoin ou l'utilité, nous cherchons à tirer profit de la situation, à prendre, à consommer, à garder pour soi.

L'enfant qui mange son bonbon tout de suite reste comme enfermé en lui-même, il s'autosatisfait et ne va pas plus loin.

Dès lors qu'il dialogue avec ses parents, leur décrit le type de bonbons qu'il aimerait bien manger, qui lui offrira, où il ira les acheter, etc., il prend plaisir (et ses parents aussi) à cet échange mutuel: chacun se donne quelque chose, les parents leur affection et leur attention, l'enfant offre ses efforts à mettre en forme avec des mots qui ne lui sont pas familiers au premier abord, il offre aussi une part de son imagination.

Qu'en sera-til lorsqu'il comprendra qu'il peut offrir ce bonbon à une petite amie, pour prendre plaisir au plaisir pris par celle-ci? Il sera entré pleinement dans la logique du désir humain, qui consiste notamment à donner, et à prendre plaisir à ce. »

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