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Platon

Extrait du document

Vois-tu, bienheureux Simmias, il est à craindre que ce ne soit pas là, par rapport à la vertu, le mode correct d'échange : celui qui consiste à échanger des plaisirs contre des plaisirs, des peines contre des peines, une peur contre une peur, une plus grande quantité contre une plus petite, comme si c'était de la monnaie ! que cette monnaie ne soit seule de bon aloi et contre quoi doivent s'échanger toutes ces choses : la pensée ! que ce soit là ce que, toutes, elles valent, et le prix dont réellement s'achètent et se vendent courage, tempérance, justice : la vertu vraie dans son ensemble, accompagnée de la pensée, et que s'y joignent ou s'en disjoignent plaisirs ou peur, avec tout ce qu'encore il y a du même ordre ! à craindre, dis-je, que tout cela, pris à part de la pensée et comme matière d'un mutuel échange, ne constitue cette sorte de vertu qui est une peinture en trompe-l'oeil : vertu réellement servile et qui n'aurait rien de sain, rien non plus de vrai ; et que le vrai d'autre part, ce ne soit une purification à l'égard de tout ce qui ressemble à ces états, bref, la tempérance, la justice, le courage, la pensée étant elle-même un moyen de purification !Ils risquent fort, enfin, de n'être pas des gens méprisables, ceux qui, chez nous, ont institué ces initiations, mais bien plutôt, ces grands hommes, de réellement nous donner à mots couverts de longue date, cet enseignement : quiconque, disent-ils, arrivera chez Hadès sans avoir été initié ni purifié, aura sa place dans le Bourbier, tandis que celui qui aura été purifié et initié, celui-là, une fois arrivé là bas, aura sa résidence auprès des dieux. C'est bien vrai que, en effet, selon les paroles de ceux qui parlent des initiations : « Nombreux sont les porteurs du thyrse et rares les Bacchants ! ». Or, ceux-ci, selon mon opinion, ne se distinguent pas de ceux qui, au sens droit du terme, s'occupent à philosopher. Pour être de ces derniers, je n'ai certes, pour ma part et dans la mesure au moins du possible, rien négligé dans ma vie ; de toute manière, au contraire, mon zèle s'y est employé. Si maintenant c'est à bon droit que j'y ai mis tout mon zèle et si cela nous a conduit à quelque chose, c'est un point sur lequel, puisque nous partons là-bas, nous saurons, Dieu le veuille ! un peu plus tard, c'est là mon opinion, ce qu'il y a de certain. Voilà en somme, dit-il, comment je justifie, Simmias et Cébès, mon bon droit à vous abandonner, vous, et mes Maîtres d'ici, sans que cela me soit pénible à supporter, et sans que je m'en irrite, étant persuadé que non moins qu'ici je rencontrerai de bons maîtres comme de bons camarades ; mais la foule manifeste là dessus son incrédulité ! Ainsi donc, ce serait parfait que devant vous j'eusse été plus persuasif dans ma défense que je ne l'ai été devant les juges du peuple d'Athènes ! Platon

« "Vois-tu, bienheureux Simmias, il est à craindre que ce ne soit pas là, par rapport à la vertu, le mode correct d'échange : celui qui consiste à échanger des plaisirs contre des plaisirs, des peines contre des peines, une peur contre une peur, une plus grande quantité contre une plus petite, comme si c'était de la monnaie ! que cette monnaie ne soit seule de bon aloi et contre quoi doivent s'échanger toutes ces choses : (b) la pensée ! que ce soit là ce que, toutes, elles valent, et le prix dont réellement s'achètent et se vendent courage, tempérance, justice : la vertu vraie dans son ensemble, accompagnée de la pensée, et que s'y joignent ou s'en disjoignent plaisirs ou peur, avec tout ce qu'encore il y a du même ordre ! à craindre, dis-je, que tout cela, pris à part de la pensée et comme matière d'un mutuel échange, ne constitue cette sorte de vertu qui est une peinture en trompel'oeil : vertu réellement servile et qui n'aurait rien de sain, rien non plus de vrai ; et que le vrai d'autre part, ce ne soit une purification à l'égard de tout ce qui ressemble à ces états, (c) bref, la tempérance, la justice, le courage, la pensée étant elle-même un moyen de purification !Ils risquent fort, enfin, de n'être pas des gens méprisables, ceux qui, chez nous, ont institué ces initiations, mais bien plutôt, ces grands hommes, de réellement nous donner à mots couverts de longue date, cet enseignement : quiconque, disent-ils, arrivera chez Hadès sans avoir été initié ni purifié, aura sa place dans le Bourbier, tandis que celui qui aura été purifié et initié, celui-là, une fois arrivé là bas, aura sa résidence auprès des dieux.

C'est bien vrai que, en effet, selon les paroles de ceux qui parlent des initiations : « Nombreux sont les porteurs du thyrse et rares les Bacchants ! » (d).

Or, ceux-ci, selon mon opinion, ne se distinguent pas de ceux qui, au sens droit du terme, s'occupent à philosopher.

Pour être de ces derniers, je n'ai certes, pour ma part et dans la mesure au moins du possible, rien négligé dans ma vie ; de toute manière, au contraire, mon zèle s'y est employé.

Si maintenant c'est à bon droit que j'y ai mis tout mon zèle et si cela nous a conduit à quelque chose, c'est un point sur lequel, puisque nous partons là-bas, nous saurons, Dieu le veuille ! un peu plus tard, c'est là mon opinion, ce qu'il y a de certain. Voilà en somme, dit-il, comment je justifie, Simmias et Cébès, mon bon droit à vous abandonner, vous, et mes Maîtres d'ici, sans que cela me soit pénible à supporter, et sans que je m'en irrite, étant persuadé que non moins qu'ici je rencontrerai de bons maîtres comme de bons camarades ; mais la foule manifeste là dessus son incrédulité ! Ainsi donc, ce serait parfait que devant vous j'eusse été plus persuasif dans ma défense que je ne l'ai été devant les juges du peuple d'Athènes ! " PLATON Il n'est donc pas difficile de remarquer que si Socrate oppose la vie selon l'excellence des philosophes à celle dont rêve la foule, c'est qu'il a en vue de démarquer - à relire le passage - deux vertus ou deux sagesses, l'une mêlée et l'autre sans prix, purifiée.

Or, cette distinction permet à Socrate de revendiquer, en dépit de l'objection de la mort, le prix d'une vie consacrée à la recherche de la vérité.

Ainsi sommes-nous en mesure de comprendre ce que le début du texte pouvait avoir de légèrement obscur.

« Vois-tu, bienheureux Simmias, il est à craindre que ce ne soit pas là, par rapport à la vertu, le mode correct d'échange : celui qui consiste à échanger des plaisirs contre des plaisirs, des peines contre des peines, une peur contre une peur, une plus grande quantité contre une plus petite, comme si c'était de la monnaie ! que cette monnaie ne soit seule de bon aloi et contre quoi doivent s'échanger toutes ces choses : (b) la pensée ! La vertu que la foule prend pour modèle de vie n'est autre que celle qui échange des passions contre d'autres, des plaisirs contre d'autres plus intenses, et des peines pour de moindres, il arrive par exemple qu'on devienne courageux par la crainte d'un mal plus grand, et donc que, loin d'une certaine fermeté d'âme, ce soit la peur qui nous anime.

Ainsi l'homme tempérant entretiendra-t-il un rapport secret avec l'intempérance.

Une telle sagesse est mêlée à la fois d'un peu de raison et pour beaucoup de cette partie concupiscible de l'âme.

Elle peut certes faire illusion aux yeux de la foule ignorante, surtout dans les affaires courantes de la vie, mais il faut croire qu'étant mortels nous sommes dans l'obligation de passer à un autre type de relation autrement plus radicale.

Ce n'est pas à ce prix, en effet, que se gagnera la sérénité du sage devant la mort, puisque celle-ci ruine d'un coup l'économie précaire que l'ignorant instaure entre ses passions contraires.

La vertu vraie s'accompagne de pensée.

Pourquoi la pensée ? La pensée est l'intuition des essences, ou sur le mode dialectique, l'épreuve du vrai.

Elle se définit par conséquent comme l'autre alternative au jugement d'opinion.

Le corps et tout ce qui se rattache (ses besoins et donc sa vision axiologique) faussent la perception du vrai.

C'est ce qui viendra justifier par Socrate, la référence à l'orphisme lequel tient le corps pour le tombeau de l'âme. En 69 d-e, le discours de Socrate s'infléchit, il est subitement intéressé à sa personne et à son sort.

« Pour être de ces derniers, je n'ai certes pour ma part, et dans la mesure au moins du possible, rien négligé dans ma vie ; de toute manière, au contraire, mon zèle s'y est employé.

» Par l'affirmation de l'excellence de la vie selon la philosophie, Socrate entreprend de justifier le sens même de ce que fut le pari de sa vie selon la vérité.

C'est qu'il faut autant que possible garder présent à l'esprit l'objection de la foule et son sempiternel « à quoi bon ? ».

La philosophie n'a peutêtre rien tant à redouter, plus que l'ignorance elle-même, qu'une sorte de cynisme corrosif et sûr de soi. Socrate ne sait rien d'une vie après la mort, avons-nous vu, mais l'argument qu'il pose, en attente de la question de Cébès, a quelque chose de probant et d'émouvant.

De mes raisons à philosopher toujours je n'ai pas d'autre témoignage à rendre, semble-t-il vouloir nous dire, que celui de ma vie et de mon ardeur à penser.

À première vue, l'argument ne saurait convaincre, sinon peut-être que s'étant à soi-même adressé le pari de penser toujours, Socrate attestait déjà, au moins à titre d'exigence, la possibilité du vrai.

Il faut bien que la pensée soit quelque chose, et que son objet, la vérité, existe préalablement à toute vie proprement vertueuse, pour qu'on puisse ne plus regarder une. »

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