Peut-on vouloir supprimer le travail ?
Extrait du document
«
Introduction
Le travail est le plus souvent considéré comme une contrainte avant d'être perçu comme étant une activité
libératrice ou plaisante.
Cela peut-être parce que le travail est pour l'homme une nécessité, et non un choix
volontaire.
Mais il apparaît que beaucoup aime travailler pour améliorer leur vie, comme le bricoleur qui se plait à
élaborer ou à réparer plusieurs petites choses.
Mais bricolage et travail peuvent être distingués, comme l'affirme C.
Lévi-Strauss, puisque le bricolage serait plus un vagabondage de l'esprit.
Et le travail, au contraire, reste surtout
une transformation de l'immédiateté du réel par l'intelligence.
La nature se trouve ainsi transformée par le travail au
profit d'un produit humain.
L'homme a des besoins, et seul le travail peut lui procurer la satisfaction ; comment
penser alors la volonté de le supprimer s'il est la condition de l'épanouissement des désirs humains ?
I.
Malédiction ou bénédiction du travail ?
a.
Les Grecs montraient déjà que le travail assujettissait l'homme, dans la mesure où travailler c'est aliéner sa
liberté au service de la matière ou d'autrui, alors que sa nature devrait porter l'homme à s'en affranchir pour
commander à l'une ou à l'autre.
Aristote lui-même, comme l'indique H.
Arendt, « refusait de donner le nom
d' « hommes » aux membres de l'espèce humaine tant qu'ils étaient
totalement soumis à la nécessité » (cf.
Condition de l'homme moderne).
Par
ailleurs, la tradition judéo-chrétienne elle-même considérait le travail comme
une malédiction divine consécutive à la transgression originelle (Genèse, 3,
19).
De surcroît, le mot « travail » lui-même vient du latin « tripalium » qui
signifie « instrument à ferrer les chevaux », puis « instrument de torture ».
b.
Max Weber voit s'épanouir au XVIIIe siècle l'idée que le travail n'est
pas incompatible avec l'essence de l'homme si celle-ci est liée à l'image d'un
Dieu créateur de toutes choses.
L'éthique protestante et l'utilitarisme sont à
la source de cette considération.
Ainsi être fidèle à son créateur, c'est vouloir
perdurer le travail du créateur en faisant fructifier les richesses en germe
dans la Création, et ce afin de l'honorer : « Le temps est précieux, infiniment,
car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloire
divine » (Weber, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme).
Le travail
alors, non considéré comme une nécessité, s'avère être, chez Kant, une
obligation morale (c'est un devoir de l'homme envers lui-même de développer
ses facultés, sinon il resterait inachevé), voire une activité providentielle (la
nature a voulu que l'homme conquiert se liberté dans la culture, donc en
travaillant), (Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue
cosmopolitique).
II.
l'action libératrice du travail
a.
Transformer la matière, ou lui donner forme, c'est là tout le côté libérateur du travail.
En effet, en donnant
forme à la matière, le travailleur se reconnaît dans ce qu'il produit, puisque c'est sa forme qu'il donne.
Hegel, dans
sa « dialectique du maître et de l'esclave » (Phénoménologie de l'esprit, IV),
montre le pouvoir de l'esclave sur le maître puisqu'il est celui qui domine les
êtres et les choses auxquels il donne forme.
Le travail, qui était censé
l'asservir, le libère au final.
L'esclave, en travaillant, devient maître de la
nature.
Ainsi l'esclave devient maître par le travail, et l'histoire se constitue
par l'esclave travailleur (cf.
A.
Kojève, Introduction à la lecture de Hegel).
Ici, le côté assujettissant du travail se supprime au profit de la liberté de
l'homme.
Qu'autrui existe semble être pour la pensée contemporaine une évidence.
Pourtant, l'idée d'un isolement de la conscience a longtemps persisté.
C ‘est, sans
doute, parce que l'esprit des philosophes était obsédé par le problème de la recherche
de la vérité.
D'où l'opposition entre, d'un côté, le sujet connaissant et, de l'autre, le
monde à connaître.
Dans cette confrontation, la présence d'un tiers, à l'exception de
Dieu, était exclue.
Le thème de l'altérité apparaît chez Kant dans ses considérations sur la
moralité, mais surtout chez Hegel dans « La phénoménologie de l'esprit ».
C'est
dans cet ouvrage – où Hegel décrit le mouvement dialectique de la conscience, depuis
la naïveté première de la « certitude sensible » jusqu'à l'universalité du « savoir
absolu », ultime moment où la conscience prend conscience de sa liberté – que se trouve la fameuse dialectique du maître & de
l'esclave.
On peut y lire : « La conscience de soi est certaine de soi-même, seulement par la suppression de cet Autre qui se
présente à elle comme vie indépendante ; elle est désir.
».
»
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