Peut-on tuer le temps ?
Extrait du document
«
Introduction
La question du temps est fondamentale en philosophie.
Il y va de la compréhension de l'homme en tant qu'être
temporel.
Le temps n'est pas matériel, un objet saisissable.
L'homme ne peut s'en détourner, il vit toujours sous le
mode du temps qui passe.
Ainsi l'expression « tuer le temps » désigne un acte impossible, mais elle renvoie plutôt
aux manières pour l'homme de s'en dégager en s'employant à des tâches spécifiques.
Dès lors, tuer le temps, c'est
fuir le côté irrémédiable de ce flux ininterrompu en s'occupant par le loisir.
Mais au sens propre, y a-t-il un moyen de
se débarrasser de cette continuité irréversible ?
I.
L'irréversibilité du temps
a.
Le principal caractère du temps est son ordre qui s'impose à l'attention, et plus précisément, l'irréversibilité de
cet ordre.
On peut ainsi tout inverser, sauf le temps.
On peut mettre les choses la tête en bas, mettre « la charrue
avant les bœufs » même si c'est difficile, dangereux, ce n'est pas impossible.
Mais on aura beau retourner sur ses
pas, rien ne défera l'aller.
Lavelle dira que « L'irréversibilité constitue pourtant le caractère le plus essentiel du
temps, le plus émouvant, et celui qui donne à notre vie tant de gravité » (Du temps et de l'éternité).
Jankélévitch
affirmera : « Le voyageur revient à son point de départ, mais il a vieilli entre-temps ! » (L'irréversible et la
nostalgie).
Ainsi l'irrémédiable réside en ceci qu'une fois qu'on est parti d'un point du temps, celui-ci ne peut plus
jamais être retrouvé, puisqu'il est toujours déjà passé.
b.
Le temps est régularité.
Malgré nos désirs, nous ne pouvons ralentir ce flux régulier, ni l'accélérer, encore
moins l'arrêter.
On ne peut ralentir que les mouvements.
On n'arrête pas le temps en arrêtant une automobile,
puisque cette action se déroule dans le temps.
Le temps s'écoule, quand bien même on arrête toutes actions ou
tous mouvements.
Lorsque les trompettes de Josué firent s'arrêter le soleil, dit St Augustin, « le soleil était
immobile, mais le temps avançait » (Confessions).
c.
Le passé est donc ce mode temporel qui est définitivement perdu.
Il a perdu toute existence réelle, et ne
réside alors que dans l'ombre du souvenir.
L'homme a ainsi souvent la nostalgie du passé, ce désir de retrouver ce
qu'il a à jamais perdu.
Ce passé peut cependant être utilisé afin de se racheter d'une faute commise par exemple,
voire afin de faire une histoire.
L'ordre irréversible du temps est ressenti selon les trois modalités du passé, du
présent, de l'avenir.
Mais c'est au sein du présent que se dessine sans cesse ces trois mouvement de conscience :
l'attention à l'existence actuelle, le retour en pensée vers ce qui fut et n'est plus, la projection vers ce qui va se
produire.
Ce qui amène St Augustin à décrire le temps comme une tension de l'esprit d'attente en souvenir.
Il
montrera que le présent seul existe, et qu'il contient le passé et le futur : « il y a trois temps, un présent au sujet
du passé, un présent au sujet du présent, un présent au sujet de l'avenir.
Il y a en effet dans l'âme ces trois
instances, et je ne les vois pas ailleurs : un présent relatif au passé, la mémoire, un présent relatif au présent, la
perception, un présent relatif à l'avenir, l'attente » (Confessions, L.
XI).
II.
Les paradoxes du temps
a.
Zénon d'Elée démontre que l'être est immobile et que le temps n'est qu'une illusion en démontrant
l'impossibilité du mouvement.
D'où son fameux paradoxe d'Achille et la tortue.
Il consiste à dire qu'Achille ne pourra
jamais rattraper une tortue qui a pris de l'avance sur lui.
En effet, pendant qu'Achille parcours l'espace qui le sépare
de la tortue, la tortue, elle, toute lente qu'elle soit, a franchi un nouvel espace, plus petit, certes, mais qui n'en
constitue pas moins un écart qu'Achille devra rattraper.
Pendant qu'il le parcourt, la tortue aura encore avancé, et
ainsi de suite : l'écart entre Achille et la tortue va ainsi devenir infiniment petit, mais ne sera jamais nul, et Achille
ne rattrapera jamais la tortue.
Le temps est divisible, comme l'espace, à l'infini.
b.
On peut vouloir supprimer le côté irréversible du temps dans une conception d'un temps cyclique.
C'est une
conception particulière qui unit le refus du flux irréversible sans refuser toutefois la succession (ce qui réconcilie
d'une certaine manière temps et éternité).
Le temps se trouve renfermé sur lui-même, comme un éternel
recommencement de tout.
C'est une conception très ancienne, par exemple dans le mythe du serpent Ouroboros qui.
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