Peut-on tout accepter ?
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«
Ce sujet touche plusieurs domaines : - cognitif ou épistémologique : peut-on accepter n'importe quelle affirmation
ou des processus de démonstration sont-ils nécessaires pour la valider ? - mais surtout moral : peut-on accepter
tout comportement ? Qu'est-ce qui peut nous pousser à accepter d'autrui un comportement qui nous fait souffrir ?
Y a-t-il des limites au consentement et à la tolérance ? Accepter, est-ce donner son accord, donc être actif dans
son jugement, ou tout laisser passer, sans rien mettre en question ? Que signifie par opposition ne pas accepter et
qu'implique philosophiquement et pratiquement un tel refus ? La parabole nietzschéenne du lion et du chameau peut
fournir un bon exemple : le chameau, animal du consentement par excellence, qui accepte toujours tout, y compris
les pires souffrances, appartient pour Nietzsche à la race des faibles ; il est dépourvu de volonté, contrairement au
lion, animal de la force et du refus.
Lequel des deux est le plus libre, le plus tolérant ? Celui qui accepte tout ne
met-il pas en danger la liberté d'autrui, en plus de la sienne ? N'y a-t-il pas une nécessité de ne pas tout accepter ?
[Introduction]
L'esprit tolérant (cf.
le langage courant) est unanimement admis comme vertueux.
Mais en venir, par principe, à tout
tolérer, n'est-ce pas renoncer à distinguer le mal du bien, et donc adopter une posture amorale La tolérance sans
limite ne serait-elle pas synonyme d'indifférence passive ?
[I.
Les fondements de la tolérance]
- La tolérance n'est sans doute pas spontanée.
Les impulsions premières poussent plutôt à se méfier de ce qui est
autre, et, si l'on admet l'existence d'une agressivité fondamentale (cf.
Freud), la réaction première de l'être humain
serait de défense (d'un territoire, d'une opinion) ou de lutte contre ce qui, dans l'autre, apparaît comme menaçant
l'intégrité.
"L'homme n'est point cet être débonnaire, au coeur assoiffé d'amour, dont on
dit qu'il se défend quand on l'attaque, mais un être, au contraire, qui doit
porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d'agressivité.
Pour lui, par conséquent, le prochain n'est pas seulement un auxiliaire et un
objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation.
L'homme est, en
effet, tenté de satisfaire son besoin d'agression aux dépens de son prochain,
d'exploiter son travail sans dédommagements, de l'utiliser sexuellement sans
son consentement, de s'approprier ses biens, de l'humilier, de lui infliger des
souffrances, de le martyriser et de le tuer.
Homo homini lupus : qui aurait le
courage, en face de tous
les enseignements de la vie et de l'histoire, de s'inscrire en faux contre cet
adage ?
Cette tendance à l'agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et
dont nous supposons à bon droit l'existence chez autrui, constitue le principal
facteur de perturbation dans nos rapports avec notre prochain.
C'est elle qui
impose à la civilisation tant d'efforts.
Par suite de cette hostilité primaire qui
dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est
constamment menacée de ruine."
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation (1929), P.U.F.
Ce que défend ce texte:
Ces lignes, extraites de Malaise dans la civilisation, tentent de répondre aux questions suivantes : quelle est la
source de la violence que l'homme, dans sa vie ordinaire comme dans son histoire, n'a cessé de manifester ? Cette
violence lui est-elle naturelle ou provient-elle de causes purement culturelles, clairement identifiables et contraires à
sa nature ?
Ce questionnement doit être replacé dans son contexte.
Freud affirme avoir été frappé par le déchaînement de
violence qui s'est produit, au niveau mondial, pendant la guerre de 1914-1918, et c'est le choc que causa en lui
l'ampleur de cette guerre qui l'amena à s'interroger sur la source de l'agressivité humaine.
La thèse qu'il défend ici
cherche à dénoncer un mythe, celui de l'homme naturellement bon, de ce prétendu « être débonnaire, au coeur
assoiffé d'amour », idée que répandit en particulier Rousseau au XVIII siècle.
Pour Freud, la violence est une donnée naturelle et «première», active et non réactive, une conduite qui puise sa
source dans les instincts de l'homme.
C'est pourquoi elle peut être rangée au rang de ses besoins, comme l'atteste
l'expression « besoin d'agression ».
Quelles preuves peut-on donner de cela ? Il suffit de constater ce que nous
enseignent les crimes entre individus, comme ceux commis entre les peuples.
Le « prochain », c'est-à-dire l'autre qui partage avec moi la vie en société, n'est pas seulement celui dont l'entraide
et la coopération permettent, grâce à la division du travail, l'émergence d'une société complexe et organisée
suscitant l'éclosion de tous les fruits de la vie civilisée.
La philosophie a trop insisté sur la valeur d'« auxiliaire »,
c'est-à-dire d'aide, que chaque homme représente pour tous les autres.
Elle a trop insisté aussi sur le fait que les
hommes et les femmes, comme objets sexuels possibles, sont la condition de la reproduction de l'espèce.
En réalité, la principale fonction ou signification d'autrui est d'être un objet de tentation, une cible sur laquelle je
vais être tenté de « défouler » mes pulsions agressives.
C'est donc bien autrui qui me permettra d'avoir cette forme
de jouissance qui naît lorsqu'un besoin est satisfait, et ce besoin particulier, Freud l'a nommé «besoin d'agression»..
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