Peut-on se libérer de l'autre ?
Extrait du document
«
Le sujet pose le problème de l'identité : peut-on se définir positivement et de manière individuelle sans référence
aucune à une figure extérieure ? L'autre peut-il devenir une aliénation au point de faire perdre sa propre identité ?
Nous ne pouvons dans un premier temps nous définir que par rapport à autrui, soit dans un rapport d'opposition (je
me singularise, je me distingue de l'autre, de ce que je ne suis pas), soit au contraire dans un rapport d'identité et
de reconnaissance.
La question est alors de savoir si l'alternative est dépassable, s'il existe un moyen de se définir
autrement que dans un rapport à l'extérieur, de se forger une identité interne, de s'affirmer sans pour autant avoir à
s'opposer.
L'autre a une emprise sur nous, emprise volontaire ou involontaire.
Est-il possible de s'en défaire, et
surtout est-ce nécessaire ? Ne perdrait-on pas tout ce que l'on est en se libérant d'autrui (voir la dialectique du
maître et de l'esclave, où la perte du statut de maître comme d'esclave pourrait impliquer une sorte de suicide social
et personnel) ? Ou avons-nous le devoir de nous libérer d'autrui, pour pouvoir développer ce que nous sommes
vraiment ?
L'île déserte: un illusoire paradis...
On se plaît souvent à penser que l'on serait bien plus heureux à vivre seul sur une île déserte.
On croît naïvement
que la solitude peut nous offrir la liberté de faire ce qu'il nous plaît...
Image d'Épinal qui ne résiste guère à l'analyse
philosophique.
En effet, vivre seul, c'est plutôt se priver de toute liberté.
Robinson doit seul supporter ses craintes.
Il doit seul chasser, cultiver, affronter la nature.
Il est donc toujours soumis à la nécessité.
Il n'est pas libre.
On
argumentera cette partie avec la notion philosophique de SOLIPSISME.
«Par le je pense, contrairement à la philosophie de Descartes,
contrairement à la philosophie de Kant, nous nous atteignons nousmêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que
nous-mêmes.
Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito
découvre aussi tous les autres et il les découvre comme la condition de
son existence [...]Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que
nous appellerons l'intersubjectivité et c'est dans ce monde que l'homme
décide ce qu'il est et ce que sont les autres».
(L'existentialisme est un
humanisme, 1945.)
Sartre récuse dans ce texte que le «cogito» [voir Descartes] soit un
solipsisme (c'est-à-dire enferme l'homme dans une conscience de soi qui
met en doute l'existence du monde extérieur et des autres).
Pour Sartre,
l'intersubjectivité (c'est-à-dire la relation entre les subjectivités) est une
structure première: l'individu ne se découvre pas lui-même avant de
découvrir les autres : il ne prend conscience de lui-même qu'en même
temps qu'il prend conscience des autres, qu'il se situe par rapport à eux
en étant reconnu par eux.
LE SOLIPSISME CHEZ DESCARTES
A ce moment de sa réflexion (découverte du cogito), Descartes possède
une certitude indubitable.
Il est; et son être c'est sa pensée.
Car le doute, appuyé sur l'hypothèse du malin
génie, a séparé de moi non seulement le monde, mais encore mon corps et mes sens, a exorcisé tout ce qui
est simplement «mien» pour ne laisser subsister dans sa présence indubitable que ce qui est «moi», c'est-àdire ma conscience, ma pensée.
Certitude d'être et de penser, inaliénable mais unique encore.
« Je suis une
chose qui pense » mais « les choses que je sens et que j'imagine ne sont peut-être rien du tout hors de moi et
en elles-mêmes.
» Doutant du monde, certain de sa pensée et de sa seule pensée, Descartes adopte
provisoirement l'attitude que les philosophes nomment «solipsisme» et qui représente la pointe extrême de
l'idéalisme : il n'est pas pour moi d'autre être que ma propre pensée.
Le solipsiste est-il, comme disait
Schopenhauer, «un fou enfermé dans un blockhaus imprenable » ? Le moi peut-il sortir de lui-même ?
Le texte de Sartre permet d'apporter une réponse au problème du solipsisme (posé par Husserl à partir de
Descartes).
Sartre renverse l'ordre habituel entre moi et les autres en montrant comment le «moi» n'a de sens
que dans le vis-à-vis avec Autrui.
Il permet d'illustrer la différence entre la conception que j'ai d'Autrui dans
l'amour (où je ressens bien que j'existe par l'autre), et celle que j'ai quand je suis un «salaud» (le mot est de
Sartre: le salaud c'est celui qui fige l'essence de l'autre, lui nie donc sa liberté et l'instrumentalise, le traite
comme une simple fonction).
Que la conscience de soi passe par la reconnaissance et le regard d'Autrui ne signifie pas que le rapport à
Autrui est nécessairement harmonieux.
Sartre a dit lui-même «l'Enfer c'est les autres» (Huis-clos), justement
parce que le regard d'autrui risque toujours de figer mon essence, de me réifier (me transformer en chose).
Je
me retrouve alors dans la «mauvaise foi », à jouer mon rôle social, oublieux de mon existence, c'est-à-dire de
ma liberté fondamentale.
« L'enfer, c'est les autres » ; mais pire enfer est de vivre sans autrui....
»
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