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Peut-on se désintéresser de la politique et être libre?

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« Introduction Y a-t-il une liberté en dehors de la cité, c'est-à-dire de la participation à la res publica, à la « chose publique » ? Peut-on être libre en se repliant sur son « jardin privé », à l'écart de la politique ? Ou faut-il opposer deux sortes de liberté, l'une en tant que participation à la chose publique, l'autre en tant que droit à jouir de sa vie privée voire de la sphère de l'intime ? Ces deux formes possibles de liberté sont-elles réellement contradictoires ? Première partie : Deux formes contradictoires de liberté ? A/ Selon Aristote, la sphère familiale se caractérise par l'autorité despotique du père de famille.

La liberté, dès lors, ne prend sens que dans le cadre de la cité, sphère où les citoyens sont à la fois libres et égaux, en tant qu'ils participent aux affaires publiques.

La citoyenneté est donc la condition de l'accès au statut d'homme libre (celle-ci étant restreinte, dans les cités grecques, aux hommes, et excluant les esclaves, considérés comme membres de l'oikos, la sphère familiale) (cf.

Politiques, livre I et III). B/ La liberté politique semble pourtant n'être qu'une des formes possibles de liberté.

Ainsi, le stoïcisme, philosophie dominante dans l'Empire romain, et pratiquée tant par les esclaves que par les dirigeants politiques, prône une liberté spirituelle, celle d'une maîtrise de soi-même, de ses passions et de ses jugements, conduisant à l'ataraxie.

Ainsi, pour les stoïciens, on peut être libre même en étant esclave, car la vraie liberté serait celle atteinte par les sages, et non celle accordée par le statut de citoyenneté. La seule ma nière d'a tteindre la p aix consiste donc à se détacher de toutes ces choses, pour se retirer dans la citadelle imprenable de notre liberté intérieure.

Là, personne ne peut nous contraindre, là nous jouissons d'une parfaite indépendance, et jamais nous ne serons déçus.

Quoi qu'il arrive, je conserve ma liberté de jugement, je suis hors d'atteinte.

Je considère froidement mes passions, qui, tout comme mon corps, ne sont que choses extérieures à moi-même, indignes d'attachement.

Le but du sage est d'atteindre l'« apathie ».

l'absence de passion.

par le refus de consentir à tous les entraînements de son corps.

Je ne suis pas mon corps, celui qui le torture ne m'atteint pas — d'où son acharnement, et la déception du sadique, qui voudrait soumettre mon âme, mais ne le peut. Ainsi, dans une quelconque épreuve, le sage ne récrimine pas contre le cours du mo nde, ne s'emporte pas en va in, mais s'attache au contraire à ce qui dépend de lui : il maîtrise sa crainte, qui seule est terrible, ne se laisse pas entraîner par ses représentations, refuse son assentiment aux délires de l'imagination, reste maître de lui-même, libre, tel un roc battu par les flots. Seconde partie : Y a-t-il réellement contradiction entre la forme « métaphysique » de la liberté et sa forme politique ? A/ On est ainsi conduit à opposer deux formes de liberté, l'une politique, fondée sur la citoyenneté, l'autre mentale ou spirituelle, fondée sur l'idéal de sagesse.

Mais cette opposition est-elle tenable ? Le philosophe, même s'il recherche avant tout la sagesse, n'est-il pas contraint à s'intéresser à la politique, à l'exemple de Platon qui fonde la philosophie politique en écrivant La République et Les lois, notamment sous l'impulsion de la mort de Socrate décrite dans L'Apologie de Socrate ? Or, la mort même de Socrate ne témoigne-t-elle pas de l'impossibilité de délier sagesse et intérêt pour la politique, dans la mesure où son respect des lois athéniennes qui l'ont condamné se fonde sur sa pratique philosophique ? B/ L'opposition entre ces deux formes de liberté prend pourtant un tour nouveau à l'âge moderne, avec la distinction établie par Benjamin Constant entre la liberté des Modernes, fondée sur le droit à la vie privée, et celle des Anciens, fondée sur la participation à la res publica. La tradition libérale considère donc que la véritable liberté consiste à pouvoir jouir de son droit à l'existence privée, plus qu'en la citoyenneté.

Pourtant, l'antinomie ne s'effondre-t-elle pas, dans la mesure où pour garantir la sphère privée, l'individu bourgeois doit être doté de droits ? Or, comme le précise Hegel dans le paragraphe 261 des Principes de la philosophie du droit, les droits de l'individu bourgeois peuvent-ils être fondés sur autre chose que les obligations réciproques du citoyen ? Conclusion Ainsi, même si on peut affirmer qu'il y a des formes de liberté non réductibles à la vie privée, il semble vain d'opposer à tout prix d'un côté la liberté de l'esprit, celle à laquelle on pourrait accéder même enchaîné dans les fers, et de l'autre la liberté politique, celle à laquelle on aurait droit en accédant au statut de citoyen à part entière de la cité.

En effet, sauf à ôter tout sens concret au mot liberté, parler de la liberté de l'esclave, quand bien même il aurait accéder à la sagesse du philosophe stoïcien, semble pour le moins une expression oxymorique.

En outre, en tant que la liberté de l'esprit implique celle de pensée et d'expression, quand bien même celle-ci ne saurait être anéantie par aucun régime, fût-il despotique ou « totalitaire », comme l'ont bien montré Spinoza dans le Traité théologicopolitique ou Pascal avec sa « théorie des trois ordres » (voir index des Pensées), elle ne peut s'épanouir que dans un cadre démocratique. Ainsi, même Kant, qui insiste sur l'autonomie de la raison pure pratique et donc de la liberté, en tant que celle-ci réside dans l'autonomie de la volonté qui se donne à elle-même la maxime universelle de son devoir (cf.

Fondements de la métaphysique des mœurs, en particulier 2 e et 3e partie), est conduit à accorder un rôle central à l'usage libre et public de la raison dans l'acheminement vers les Lumières (cf. Qu'est-ce que les Lumières ?).

Or, la démocratie implique non seulement une « liberté négative » accordée à la sphère privée, mais aussi une liberté républicaine de participation aux affaires publiques, en tant que cette participation permette au peuple de surveiller l'Etat et de garantir que celui-ci respecte ses lois (Quid custodiet ipsos custodes ? « Qui gardera les gardiens ? » ; cf.

Philip Pettit, Républicanisme, une théorie de la liberté et du gouvernement).

Tout désintéressement vis-à-vis de la politique prend donc le risque de voir la démocratie disparaître, et ainsi celui de profiter librement des facultés de son corps et son esprit.

On peut donc se désintéresser de la politique et être libre, mais au risque de voir cette liberté disparaître insidieusement sans pouvoir agir de façon à la défendre.. »

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