Peut-on ne pas savoir ce que l'on veut ?
Extrait du document
«
Qu'est-ce que vouloir? C'est de toute évidence avoir en soi une certaine impulsion dirigée vers un certain objet: on
veut ainsi telle ou telle chose, on sent en soi un élan, quelque chose qui s'élance de nous-même, pour se diriger
vers une fin particulière (telos).
Mais cette impulsion peut-elle s'originer dans une partie de nous que nous ne
connaissons pas, une partie dont nous n'avons aucune exacte représentation? Mais peut-il exister une instance qui
tout en étant en nous, demeure hors de notre attention? Il y aurait ici un paradoxe compliqué, puisque cela implique
qu'une partie de moi ne soit pas réellement moi, qu'elle ne tombe pas sous mon contrôle.
Mais comment puis-je ne
pas être moi? Et qu'est-ce que le moi d'ailleurs? On peut le penser comme l'image que nous avons de nous-même,
une image que j'ai.
Le moi est en ce sens ce dont j'ai conscience, ce que je parvient à me représenter me
concernant, et pour utiliser un terme du philosophe anglais John Locke, mon identité.
Mais si le moi n'est qu'une
image que je me fais de ma propre personne, cette image, on le devine, peut être plus ou moins exacte, plus ou
moins fiable.
L'image que j'ai de mon « je », peut en effet (comme l'image d'un appareil photo) être le reflet plus ou
moins fidèle de ce que je suis réellement.
En ce sens, ne pas savoir ce que l'on veut suppose qu'une partie hors du
moi, hors de l'image que nous avons de nous-même, génére des impulsions dont la cause nous échappe.
Comment
dès lors récupérer alors un pouvoir, une connaissance sur ce qui se passe à la fois en soi et à la marge de soi?
I.
Descartes: une opacité impossible
Dans les Méditations Métaphysiques, le geste cartésien va consister en une
équation radicale: pensée = conscience.
Qu'est-ce que cela signifie? Le
champ de la pensée est entièrement recouvert par la conscience, i.e que tout
ce qui se passe en moi, j'en ai une représentation, qui certes peut être plus
ou moins claire et distincte.
Mais quoi qu'il en soit, rien ne peut échapper à la
lumière de ma conscience.
Comment expliquer une décision aussi forte de la
part de Descartes? Pour saisir cela, il s'agit de revenir à ce que Descartes
considère être une idée.
En effet, toutes nos idées, et ce quelque soit leur
objet, quelque soit ce sur quoi elle porte, ont quelques choses de commun:
leur forme.
Descartes dit ainsi: « Par le nom d'idée, j'entends la forme de
chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons
conscience de cette même pensée ».
En d'autres termes, c'est parce que j'ai
conscience d'une pensée, c'est à dire qu'il s'agit d'une pensée en générale,
que cette pensée est une idée.
Ce qui signifie que, lorsque j'ai une pensée,
ce que je saisis d'elle n'est pas tant ce sur quoi elle porte, que le fait tout
simplement, que je suis face à une pensée en générale: c'est par un rapport
conscient à ma pensée que cette pensée est une idée.
Mais cela reviens
aussi à dire que, ce que me livre ma conscience, c'est la forme idéelle de
chacune de mes pensées, soit quelque chose de toujours similaire, de
toujours identique.
Cependant, ce contenu est fondamental: quelque soit la pensée que j'ai, le
fait d'en avoir une perception immédiate, le fait d'en avoir conscience, témoigne de ma nature de substance
pensante (res cogitan).
En effet, ce dont j'ai conscience, ce que je perçois comme étant la forme idéelle de
chacune de mes pensées, c'est en fait une matière métaphysique, présente à l'identique dans chaque événement
qui peuple ma vie mentale: la substance pensante.
Ce qu'ont toutes mes pensées en commun, c'est d'être
composées de cette matière métaphysique qu'est la chose pensante.
On peut ainsi imaginer l'esprit comme un
champ dont chaque idée est une modification, une particularisation de cette matière primordiale dont les idées sont
faites.
Or, ce champ pour Descartes, c'est précisément le moi, soit ce que je suis en propre, un moi dont chaque
idée n'est qu'une modification particulière.
Quoiqu'il en soit, de l'esprit ne peut surgir la surprise puisque toute idée est faite de ce moi.
Rien ne persiste donc
en marge du moi, rien ne peut en sortir.
C'est en ce sens que Descartes pensera la source de désirs inconnus
comme venant du corps, ce dernier relevant de la substance étendue (res extensa).
En place et lieu de
l'inconscient, Descartes va donc poser le corps, et plus exactement le mouvement de ce qu'il appelle les esprits
animaux qui viennent ainsi heurter la glande pinéale et faire effort sur la volonté.
Mais, l'on pourra préciser qu'avec
Descartes, on sait toujours ce que l'on veut (la volonté venant du moi), mais non toujours ce que l'on désire (le
désir étant une passion de l'âme provenant cette fois-ci du corps).
II.
Sartre: la mauvaise foi.
»
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