Peut-on être trop sage ?
Extrait du document
«
[Être trop sage, ce n'est plus être un sage.
L'existence exige passion et désir pour pouvoir créer de
grandes choses.
L'homme trop sage est souvent un triste personnage.]
La sagesse comme un idéal ascétique
Être trop sage peut amener l'homme à refuser tout désir, toute folie.
Or, la vie ne prend toute sa saveur que grâce
au sel de la passion.
Un homme trop sage est souvent un homme impuissant à jouir des plaisirs de la vie.
Cette
attitude timorée à l'égard de la vie engendre des êtres aigris et solitaires.
Cet excès de sagesse vire à l'ascétisme le plus austère.
Que l'on songe à Épicure se nourrissant d'eau et de pain.
L'homme trop sage n'est pas un homme vertueux
Le manque de sagesse est un défaut, mais le trop de sagesse est un vice.
De la même manière que certains sont
«trop polis pour être honnêtes», d'autres sont trop sages pour être authentiquement vertueux.
De même que les
dévots ne sont pas les plus authentiquement religieux.
"Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion..." HEGEL
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins
mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la
passion toute sa grandeur.
Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans
l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa
mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -,
on peut lire (trad.
Kostas Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les autres intérêts
ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les
fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous
ses besoins.
En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli
dans le monde sans passion.
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la
disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage, de
Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires et des
hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce
n'est pas comme devant la tombe des êtres qui nous furent chers, un deuil
qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières:
c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée.
»
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grandes et les
plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des
peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie des
passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnels
que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voir
l'oeuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalité
rationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.
La
Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les passions, pour s'accomplir.
Telle est: « la
tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre sous
cette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté».
Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.
Etats, peuples, héros ou grands
hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts, figurent la réalité de
l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu .
« L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.
Mais son
travail intensifie son activité et de nouveau il se consume.
Chaque création dans laquelle il avait trouvé sa
jouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.
Ce qu'était son oeuvre
devient ainsi matériau que son travail doit transformer en une oeuvre nouvelle.
»
Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse chaque
fois plus fort et plus clair.
Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour s'élever à une
forme nouvelle, plus élevée.
De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au jugement, mourant.
»
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