Peut-on échapper à l'ennui ?
Extrait du document
«
[Désir et passion sont des antidotes à l'ennui.
Celui qui s'ennuie est un homme sans désir et sans
passion.]
L'essence du désir est de renaître
L'ennui est causé par l'absence de désirs.
Or, le désir n'est pas fatalement destiné à disparaître.
Son
caractère, au contraire, est de renaître sans cesse.
Tant que nous aurons des désirs, il nous sera difficile de
nous ennuyer.
"Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion..."
HEGEL
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou
moins mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel
restituent à la passion toute sa grandeur.
Dans une Introduction
fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie
de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur
et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad.
Kostas
Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont
participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les
autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un
objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre
dans ce but ses forces et tous ses besoins.
En ce sens, nous devons
dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la
disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage,
de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires
et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et
riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe des êtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes
personnelles et à la caducité des fins particulières: c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et
civilisée.
»
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grandes et
les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le
bonheur des peuples, la sagesse des États et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la
frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs
intérêts personnels que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour
autant, se résigner, y voir l'oeuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se
dévoile au philosophe une finalité rationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par
laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.
La Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont
les passions, pour s'accomplir.
Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il
s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre sous cette figure qui est la sienne propre, à la passion et
à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté».
Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.
États, peuples, héros ou
grands hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts,
figurent la réalité de l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu .
« L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.
Mais
son travail intensifie son activité et de nouveau il se consume.
Chaque création dans laquelle il avait trouvé
sa jouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.
Ce qu'était son
oeuvre devient ainsi matériau que son travail doit transformer en une oeuvre nouvelle.
»
Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse
chaque fois plus fort et plus clair.
Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour
s'élever à une forme nouvelle, plus élevée.
De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au
jugement, mourant dans la douleur de la négativité », pour ressusciter comme « Esprit éternel, mais vivant et
présent dans le monde », de même l'Absolu doit se vouer à la finitude et à l'éphémère pour se réaliser dans sa.
»
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