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Peut-on durer et rester fidèle à soi ?

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« Introduction : position du problème • Est-il possible et légitime à la fois de persévérer dans le temps, de continuer d'être, à travers une succession d'états psychiques qui changent et se renouvellent et, en même temps, de ne pas manquer aux engagements que nous prenons à l'égard de nous-mêmes, sans les trahir ? En somme, notre condition d'êtres voués au temps et à la succession est-elle compatible avec la constance et l'attachement au sujet, au soi, à l'aspect le plus profond de la personnalité, avec ce que nous nous sommes juré d'être, à un moment donné du temps ? Peut-on persévérer et se métamorphoser dans le temps, et ne pas trahir le soi, la conscience dans son unité ? • N'y a-t-il pas contradiction entre le perpétuel devenir auquel l'être humain est voué et la permanence du choix et de l'engagement non point tant à l'égard d'autrui, mais à l'égard de moi-même ? Ne sommes-nous pas projetés dans une dispersion psychique, engagés dans un morcellement rendant cette continuité impossible ? En somme, ma conscience intime du temps ne signifie-t-elle pas instantanéité ou rapport étroit au moment présent ? Existe-t-il un projet fondamental qui unifie mon être ? Tel est le problème soulevé par le sujet.

Une unité soudant ma personne dans le temps me permet-elle de ne pas me dédire et de ne pas manquer à des engagements profonds, à ce que je me suis juré d'être ? Une personnalité est-elle bien un serment ? A.

La fidélité à soi-même n'est pas possible : la durée est rupture Rupture, changement, métamorphose : ainsi l'être humain dure-t-il et vit-il à travers le temps, expérimentant sans cesse une irréversibilité telle que jamais une expérience identique nous est donnée.

Ma réalité psychique n'en finit pas de se modifier elle-même.

« On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve.

Ni toucher deux fois une substance périssable dans le même état, car elle se disperse et se réunit de nouveau par la promptitude, la rapidité de sa métamorphose : la matière, sans Commencer ni finir, en même temps naît et meurt, survient et disparaît.

» (Héraclite, Fragment n° 105, in Battistini, Trois Présocratiques, Idées-Gallimard). On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. HÉRACLITE Héraclite défend une conception du monde selon laquelle le monde est en éternel devenir, en éternel changement et; pour nous le faire comprendre, prend l'image du fleuve toujours changeant. Tout fuit, tout se dissout et cette action dissolvante ne peut que retenir notre attention.

Durer, c'est vivre autant de ruptures, autant de dissolutions de notre être, qui n'est jamais le même.

Que de souffrances pour une femme qui n'était pas mon genre, s'écrie un héros de À la recherche du temps perdu, s'apercevant, désillusionné, que sa passion est morte.

Le temps ne peut que nous vouer au non-être permanent, que nous arracher à nous-mêmes. Dans ces conditions, la fidélité à soi-même ne semble guère possible : si le temps me transforme perpétuellement et transmute ma personnalité et mon être, si l'action dissolvante du temps est perpétuelle, comment ne me trahirais-je pas moi-même ? Parce que le moi n'est qu'une collection d'expériences, la trahison de soi-même semble certaine et inéluctable. Transition « Peut-on » signifie aussi « est-il légitime » ? La question de possibilité va ainsi se transmuter en question de légitimité, qu'il faut maintenant prendre en compte.

Est-il légitime, juste, fondé en droit, d'être fidèle à soi? B.

La fidélité à soi-même n'est pas légitime : la disponibilité La fidélité à soi-même est-elle, en effet, souhaitable ? Il n'est pas légitime, sous un certain angle, de durer et d'être fidèle à soi-même : cette fidélité nuit, en effet, à ma pure disponibilité.

Ne faut-il pas connaître le maximum d'expériences ? Ne faut-il pas renouveler sans cesse nos projets et nos vies ? Peut-être bien l'idée même de repos psychique est-elle purement négative.

Il nous faudrait, sans cesse, être disponibles, ouverts, sans jamais fixer dé racines.

Dès lors, durer n'est point se limiter, comme Gide nous le montre, dans un texte célèbre des Nourritures terrestres, où Ménalque s'exprime : « Heureux, pensais-je, qui ne s'attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités.

Je haïssais les foyers, les familles, tous lieux où l'homme pense trouver un repos [...] Mon bonheur venait de ce que chaque source me révélait une soif.

» (Gide, Les Nourritures terrestres, Gallimard, pp.

57 et 58).

Le serment à soi-même nuit donc à l'éthique de l'absolue disponibilité, à l'éthique de la fantaisie.

Dans ces conditions, la durée et la disponibilité de la conscience ne sons pas compatibles avec la fidélité à soi-même.

Qu'est-ce qu'exister dans la durée ? C'est multiplier les expériences et les plaisirs, c'est renouveler sans cesse nos désirs et leurs objets.

Pensons au héros de Molière et de Mozart, ce Don Juan qui veut vivre selon l'instant et les possibles.

Sa vie est dispersion, abandon aux jouissances de l'immédiateté, course éperdue, de désirs en désirs et de conquêtes en conquêtes, de caprices en caprices.

Il est peut-être bien fidèle à son voeu de disponibilité, mais à travers une série d'expériences et de mutations radicales. Transition Toutefois, l'éthique de l'absolue disponibilité n'est-elle pas un leurre ? La fantaisie n'est-elle pas, poussée à la limite, destructrice ? D'ailleurs, Don Juan, comme on vient de le voir, n'est-il pas mû par une étrange fidélité à lui-même ? Il se veut en permanence l'homme de l'émiettement. C.

La durée comme choix unifié de soi-même et fidélité à soi Au-delà de cette disponibilité vécue ou choisie, n'existe-t-il pas, en effet, un choix originel par lequel chacun se fait personne ? Un choix unitaire impliquant la fidélité à soi-même ? Tel est précisément une des vues les plus fécondes de Sartre : une psychanalyse existentielle nous permettrait de découvrir le choix intelligible du soi, le projet fondamental qui nous oriente.

En bref, ce qui compte, n'est-ce pas ce moment de l'unité personnelle, inhérent à toute durée ? Il s'agit de mettre en lumière le choix définitif par lequel chaque personne se fait personne et se fait annoncer à elle-même ce qu'elle est.

Un projet originel oriente l'existence et la vie.

Déjà, Platon, dans La République, nous parlait de ce choix intemporel par lequel nous choisissons notre vie, avant de venir sur terre (mythe d'Er l'Arménien).

Un choix intemporel (Platon), voire émanant de la sphère intelligible (Kant) unifie le soi : on peut donc durer et ne pas trahir le soi. On peut ainsi persévérer dans l'être et rester fidèle à soi-même puisque notre durée n'est pas pulvérisée en morceaux, mais s'unifie dans le temps.

Même Don Juan ne s'écarte pas de lui-même.

Face au Commandeur, il se veut l'homme du défi à Dieu et de la course éperdue au plaisir et à la jouissance. Conclusion L'unité de ma vie ne peut que me renvoyer à un projet fondamental qui unifie ma durée et rend légitimes et possibles les serments que je fais et mes choix de fidélité à moi-même.. »

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