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Peut-on distinguer une oeuvre d'art d'un objet quelconque ?

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« UNE ANECDOTE POUR COMMENCER (Art & Utilité): Platon raconte que Socrate, avant son exécution jouait de la flûte.

Un disciple étonné lui demande: "Socrate, pourquoi, joues-tu de la flûte avant de mourir ?" A cela, le condamné à mort lui répondit: "Je joue de la flûte avant de mourir pour jouer de la flûte avant de mourir." Qu'est-ce qui distingue une oeuvre d'art d'un objet quelconque ? Qu'est-ce qui fait qu'un objet quelconque passe au statut d'oeuvre d'art ? Le beau, élément substantiel des oeuvres d'art traditionnelles ? Il tend à être dévalorisé par l'art moderne, qui de ce fait rapproche l'oeuvre d'art de l'objet trivial.

La tension entre beauté et trivialité est intéressante à aborder.

Est-ce une question de goût, de culture, de sensibilité ? Deux grandes références à explorer : la Critique de la faculté de juger de Kant (au niveau du sensible), et La Distinction de Bourdieu (au niveau du social, de l'éducation, de la distinction).

Si, d'une part, il faut établir quels critères permettent la distinction, il faudra d'autre part se demander dans quelle mesure ces critères sont efficaces, légitimes, et même possibles parfois lorsque art et objet se confondent (comme chez Duchamp). L'art, en tant qu'expression subjective d'un individu, d'une époque, est souvent opposé au monde des objets utilitaires, quotidiens : les objets « quelconques ».

Il est intéressant de considérer cette alternative en confrontant l'objet quelconque à l'oeuvre d'art concrète, qui elle aussi est un « objet », plutôt qu'à l'art en général. L'oeuvre est donc objet, de par son individualité, sa matérialité : elle s'adresse directement, immédiatement à nos sens.

Le « donné sensible » caractérise l'objet d'art et l'objet quelconque.

Mais au-delà de cette caractéristique commune nous pressentons un certain nombre de critères qui permettent de distinguer l'oeuvre d'art de l'objet quelconque; quels sont ces critères? Le terme « objet quelconque » est d'ailleurs très vague.

Il peut en effet s'agir d'un objet de la nature : le type d'objet que l'homme rencontre nécessairement, qu'il n'a ni inventé, ni fabriqué.

Ici la différence est évidente : le critère qui distingue l'oeuvre de ce type d'objet est l'homme lui-même, ou du moins la création humaine.

L'art, phénomène de culture, fait nécessairement intervenir la main de l'homme.

A cette lumière nous comprenons pourquoi une oeuvre d'art n'imite pas la nature mais la transcrit. Mais le terme « objet » évoque plus directement la notion de produit humain, d'objet fabriqué, c'est-à-dire résultant d'une technique.

Nous retrouvons la notion d'art, en grec : techné; l'origine de la démarche artistique est donc confondue avec l'artisanat, puisque le mot art est confondu avec le terme de technique; l'oeuvre d'art c'est, en Grèce archaïque, tout simplement le travail bien fait, la fabrication exécutée par une main habile ou savante. La distinction qui va s'opérer sera donc historique.

Un certain nombre d'objets, en devenant utiles, vont perdre toute valeur d'expression, puis de création, puisque la division du travail et la mécanisation produiront finalement des séries d'objets définitivement et strictement fonctionnels. Dans ce contexte, le premier critère qui peut venir à l'esprit pour distinguer l'oeuvre de l'objet quelconque, est le critère de beauté : c'est le critère le plus généralement reconnu, apparemment satisfaisant.

L'oeuvre d'art est belle, admirable : cela serait une fin en soi.

L'objet, lui, est fonctionnel, utile...

laid? C'est dans cette opposition que nous sentons une hésitation.

Le problème actuel de l'esthétique industrielle se pose.

Que font véritablement ces hommes qui s'efforcent de concevoir des objets, destinés à être industrialisés, de façon esthétique? Que sont exactement ces modèles « fonctionnels », automobiles, appareils électroménagers, stylos, conçus pour être « beaux »? L'esthétique industrielle est-elle la forme moderne de l'art? Elle a la qualité de lutter contre une conception méprisante des objets quotidiens.

Mais il est impossible de considérer cette tendance comme une expression artistique à part entière, dans la mesure où seul le modèle premier sort des mains d'un homme, en tant qu'oeuvre. Les milliers d'objets standardisés et diffusés prennent une forme commune : une fonction.

On pourrait donc conclure que la beauté d'un objet ne suffit pas à en faire une oeuvre d'art, en insistant sur l'importance de la création humaine. D'autre part nous pouvons examiner le critère du côté du spectateur; c'est lui qui capte la beauté d'une oeuvre, elle est tournée vers lui.

Il reçoit et éprouve cette beauté sur le mode du plaisir des sens.

Son expérience sensible est liée à l'émotion.

Mais le sensible immédiat n'est pas la seule composante de notre expérience : celle-ci est indéniablement constituée de notre jugement.

Nous n'apprécions pas seulement une oeuvre à la surface de nos sens : nous la comprenons, nous la réfléchissons. Il faut donc dépasser le critère du beau et examiner ce lien qui apparaît entre le créateur et le spectateur la main et l'oeil, en matière de peinture par exemple. Il s'agirait donc d'un critère de communication.

L'oeuvre d'art n'est pas seulement une émotion, pas seulement l'expression du désir.

Son indispensable matérialité, la cohérence du matériau et de la technique en font une réelle expression.

Nous pourrions définir ce critère comme transcription d'une réalité : de la réalité à laquelle l'artiste se trouve confronté. Le peintre Paul Klee, dans sa Théorie de l'Art moderne, explique cette transcription du monde par un schéma, représentant le peintre et son objet « à peindre » sur une terre : parallèlement à la voie optique d'émotion, il trace deux autres voies, flèches non optiques de participation cosmique et d'enracinement terrestre commun.

C'est bien souligner une conception de l'oeuvre comme expression du monde tel que Klee le ressent. Cette transcription, Marcel Proust la signale difficile, ardente, mouvementée.

Il nous décrit une promenade dans un bois, et son émotion terrible : ébloui de beauté, il est incapable de décrire, il ne peut que transcrire, exprimer son émotion, rentrer dans « son » langage : ses premiers mots, des cris spontanés, sont « zut, zut, zut »; c'est seulement après qu'il pourra parler.. »

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