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Peut-on distinguer de vrais et de faux besoins ?

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« Problématique: Si les besoins naturels sont dits vrais, et les besoins artificiels faux, c'est que l'on présuppose que l'homme "vrai" est l'homme naturel. Tous les artifices qu'il s'ajoute (et d'abord, les produits qu'il fabrique), et tous les besoins qu'il se crée, seraient en quelque sorte contre nature.

Notre problématique consiste à interroger ce présupposé.

Qui nous dit en effet que la véritable nature de l'homme n'est pas au contraire sa faculté de produire un monde d'objets pour sa consommation et son plaisir, et de créer ainsi des besoins nouveaux? Peut-on encore distinguer de vrais et d e faux besoins, si l'homme se définit avant tout par son travail, et par conséquent sa capacité de transformer le monde et de transformer lui-même? La critique de la société de consommation a mis à l'ordre du jour la dénonciation des "faux besoins", artificiellement créés.

Mais si l'on entend par "faux besoin" le besoin de ce dont on n'a en fait pas besoin, il y a là un paradoxe.

Un "faux besoin": n'est-ce pas là une contradiction dans les termes ? La difficulté tient au fait que le "faux besoin" est vécu subjectivement comme une authentique nécessité.

La première question est donc la suivante: peut-on identifier besoin et désir ? La conscience d'un besoin est-elle toujours le signe d'un besoin réel ? Mais il faut aussi prendre la mesure de l'extrême difficulté qu'il y a à définir des besoins pour l'homme, dans l'absolu.

appliquée à l'homme, la notion de besoin doit être envisagée sous un point de vue historique et social (cf.

suite) J'ai soif, j'éprouve le besoin de boire, mon corps me dicte cette nécessité impérieuse.

En revanche, pour étancher cette soif, si je commande une bière plutôt qu'un jus d'orange (ou l'inverse !...), ce choix ne m'a pas été dicté par mon corps, car l'eau aurait pu tout aussi bien faire l'affaire.

Boire lorsqu'on a soif répond à un besoin, mais boire quelque chose d'agréable qu'on préfère à tout autre chose répond à un désir.

La distinction entre le besoin et le désir est d'abord celle de la nécessité et de la contingence. 1) Nécessité & contingence. La satisfaction d'un besoin est une nécessité vitale puisqu'en son absence, la vie ou la survie de l'individu est menacée.

On meurt de ne pas boire, on ne meurt pas de ne pas boire une bière : le désir a une contingence qui le rejette du côté du superflu.

Ainsi distinguera-t-on l'envie ou le caprice d'une part, et le besoin de l'autre : la survie de l'individu constitue un critère objectif. Contrairement au désir en proie à la démesure, le besoin possède la sobriété d'une nécessité vitale.

Alors que le désir peut prendre l'aspect frivole d'une quête indéfinie du luxe, le besoin répond à un souci de sérieux de recherche du strict nécessaire, ce qu'Épicure et d'autres ont bien compris. De fait la privation (non-satisfaction du besoin) n'a pas le même sens que la frustration (non-satisfaction d'un désir).

C'est quoi toutes les sagesses antiques ont dénoncé les besoins artificiels comme vecteurs du malheur.

Epicure distinguait 3 catégories de besoins : les naturels et nécessaires, les naturels et non nécessaires, les non naturels et non nécessaires.

Les premiers correspondent à une stricte nécessité naturelle (manger quand on a faim) ; les seconds ajoutent aux premiers une dimension de plaisir (manger un plat raffiné) ; les troisièmes qu'Epicure condamne absolument comme contraires à toute sagesse et à tout bonheur, ne sont que les produits de l'imagination, ils correspondent à ce que nous appellerions désirs : gloire, richesse, honneurs. 2) Le corps & l'esprit. La distinction du besoin et du désir recoupe celle du corps et de l'esprit, celle aussi de la nature et de la culture.

Dans le besoin, la dimension physique est prévalente, dans le désir, c'est la dimension psychologique qui domine. Alors que le besoin est fini – la satisfaction y met fin, du moins provisoirement-, le désir est infini car aucune satisfaction ne saurait le combler.

Le besoin peut dire : « Assez ! ».

Le désir crie : « Encore ! ».

Qui peut se croire assez aimé ou assez riche ? On observe couramment des gens qui ne manquant de rien sont frustrés de tout, donc malheureux alors qu'ils disposent des « conditions objectives » du bonheur.

C'est pourquoi le bouddhisme voit dans le désir la cause du malheur des hommes, et dans l'extinction du désir, la voie de la délivrance (cf.

cours sur le bonheur). 3) Artificialité du besoin et nécessité du désir. Pourtant cette claire opposition entre le besoin lié au corps, donc naturel et un désir lié à l'âme, donc artificiel, n'est pas aussi indiscutable qu'il y paraît. Les besoins ne constituent pas une donnée immuable.

Marx avait fait observer qu'un besoin dépend de son mode de satisfaction : manger avec un couteau et une fourchette est déjà différent de se nourrir comme un animal.

L'Histoire est aussi celle d'une constante création de besoins (la possession d'une voiture correspond aujourd'hui à un réel besoin pour nombre d'hommes).

Ce qui nous amène à dire que les désirs d'hier seront les besoins d'aujourd'hui. Rousseau est lui-même conscient du caractère historique du besoin.

Ainsi, vouloir comme Épicure, limiter l'illimité des désirs à l'aune du besoin -toujours naturel donc nécessaire- est une entreprise aussi castratrice que vaine.

Qu'est-ce en effet qu'une règle (celle du besoin) qui se dérègle régulièrement ? Qu'est-ce qu'un étalon qui doit périodiquement se redéfinir ? Inversement, le désir n'est pas une marque de contingence dont l'homme serait frappé.

Un petit enfant a autant besoin de sourires, de paroles, de caresses que de nourriture.

Le désir n'a pas seulement une dimension sociale dont on voit mal comment l'homme pourrait se passer. Ainsi, même si la distinction entre besoin et désir paraît commode, bien des traits de l'un peuvent être reconnus dans l'autre.. »

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