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Peut-on dire qu'il y a une singularité et une universalité de l'oeuvre d'art ?

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« L'œuvre d'art se distingue de l'œuvre artisanale en cela qu'elle est toujours unique, elle n'est pas produite en série.

Les copies n'on qu'une valeur représentative mais ne sont que des œuvres d'art virtuelles.

La singularité est donc un trait caractéristique du travail de l'artiste ; toutefois, l'idée même d'œuvre d'art est universelle, elle s'applique à une diversité d'objets selon des critères esthétiques.

Il serait donc permis de dire qu'il y a une singularité et une universalité de l'œuvre d'art à condition de distinguer des niveaux ; un niveau empirique et un niveau idéel.

A moins qu'il ne soit possible de concilier singularité et universalité sur un seul et même plan. I- Il y a une singularité empirique de l'œuvre d'art. L'œuvre d'art est le produit d'un travail unique, chaque artiste possède son propre style et si l'on peut comparer des œuvres les unes aux autres, cela revient à comparer des objets plus ou moins incommensurables.

L'intérêt de telles comparaisons étant de faire ressortir des contrastes ou des points communs inattendus.

Il reste que dans ces comparaisons, la spécificité de l'œuvre ne se laisse jamais dissoudre ; le discours de l'historien des sciences, s'il juge, classe, analyse et compare, n'atteint pas la singularité de l'œuvre, cette dernière parvient toujours à percer le regard malgré la généralité des propos dont on la couvre. C e qui prouve la singularité absolue de l'œuvre c'est la difficulté d'en faire une copie parfaite ; le faussaire, s'il parvient à recomposer le travail de l'artiste ne le recréer de toute manière pas de la même façon.

Dans L'Evolution créatrice, Henri Bergson décrit le geste de l'artiste comme échappant aux lois et aux catégories du mécanisme et du finalisme, c'est un geste qui ne sait pas où il va ni comment il procède, il est une pure impulsion, dont l'itérabilité est improbable.

L'œuvre du faussaire est sans épaisseur, elle n'est qu'une ombre, qu'un œil d'expert est d'ailleurs capable de déjouer. Loin que la singularité sensible de l'œuvre soit une caractéristique secondaire, suspendue à une réflexion de philosophe, elle est d'une importance capitale.

Réagir à une œuvre, faire une rencontre esthétique, c'est réagir à une singularité ; c'est la manière qu'a Van Gogh de capter la lumière, la manière qu'a Bruegel d'assombrir ses toiles, la façon dont Cézanne dessine les contours, qui nous frappent et nous saisissent.

Cela parce que nous ne l'avions vu nul par ailleurs auparavant.

La singularité est donc au cœur même de la recherche artistique, c'est en ce sens qu'être artiste cela revient à trouver son propre style. II- L'universalité idéelle de l'œuvre d'art. Malgré la diversité des œuvres d'arts, celles-ci participent toutes d'une m ê m e idée.

Ce regroupement n'est pas purement nominal, il ne s'agit pas de prendre à témoin le terme d'œuvre d'art pour en faire le signe d'une universalité abstraite englobant tout ce qui est ainsi qualifié d'artistique. Ainsi, quand je regarde un tableau de Bacon, une sculpture grecque ou un dessin aborigène, j'ai le sentiment d'avoir affaire à de l'art.

C'est ma sensibilité qui m'indique que, par delà leurs singularités, ces œuvres ont en commun d'être les traces d'une entreprise humaine à valeur esthétique.

De même que je reconnais un comportement amoureux même lorsqu'il s'agit de la parade d'un insecte, je reconnais une volonté artistique même si celle-ci participe d'une culture qui n'est pas la mienne.

Cette spontanéité de la perception à identifier des ressemblances indépendamment de leur thématisation intellectuelle a été finement décrite par Merleau-Ponty, par exemple dans la Phénoménologie de la perception. Toutefois, cette universalité semble intangible, elle est manifeste puisque j'en ai le sentiment, mais elle est empiriquement inassignable.

Autrement dit elle demeure abstraite, idéelle, quoique ce soit notre sensibilité qui nous la suggère.

Il faudrait donc distinguer deux plans : un plan empirique où les œuvres se différencient en fonction de leurs singularités et un plan idéel de communauté où se jouerait la ressemblance secrète d e toutes les œuvres.

C e qu'il y a d'assignable empiriquement, c'est uniquement les singularités, le sensible nous fait sentir une communauté intelligible des œuvres d'arts mais sans nous en délivrer d'indice patent. III- Conciliation de la singularité et de l'universalité sur le plan empirique. Cette distinction de plan, aussi efficace qu'elle puisse paraître, témoigne d'un défaut d'attention et d'une facilité d'argumentation.

Il faut concéder un effort et se débarrasser d'un modèle par trop platonisant.

L'œuvre d'art n'est pas double, elle est purement sensible, tout effort pour l'intellectualiser n'est que secondaire.

L'être de l'œuvre d'art c'est de se manifester empiriquement, d'être une rencontre spatio-temporelle et sensible.

Réfléchir à une idéalité d e l'œuvre d'art c'est déchirer l'art en l'intellectualisant. L'attention que l'on porte aux œuvres nous semble en réalité propre à nous délivrer ce qui fait qu'on puisse les embrasser dans une perspective universalisante.

C'est la gratuité, l'inutilité de l'œuvre d'art qui témoigne de son caractère universel.

Par delà leurs singularités, les œuvres présentent le trait commun d'être des productions gratuites.

Selon les ethnologues, par exemple Leroi Gourhan, le premier critère de l'art c'est la gratuité, l'art apparaît lorsque l'homme se met à collectionner des objets pour leur seule valeur esthétique.

L'art débute donc avec la collection. La gratuité, comme critère universel d e l'œuvre d'art, peut donc se manifester empiriquement sous une grande diversité d'aspects.

La pluralité des œuvres, leurs singularités, ne font plus obstacle à l'idée d'universalité, elles sont autant d'indice du polymorphisme de celle-ci.

Il y a donc, par delà les temps et les cultures, une ressemblance des arts humains dont la gratuité est le fil directeur. Conclusion : L'œuvre d'art est un objet qui ne se soutient que de sa singularité ; contre l'objet industriel ou même artisanal, l'œuvre d'art est unique.

Cependant, on peut concilier cette singularité avec une universalité : loin que cette conciliation procède d'une perspective platonicienne, on peut la fonder empiriquement.

C'est dans l'impression de gratuité dégagée par les singularités de l'art que l'on trouve l'indice d'une universalité de l'œuvre d'art.

Nous avons donc déjouer une fausse opposition, en réalité le singulier et l'universel peuvent se concilier, ici la véritable contradiction passait plutôt entre le singulier et le commun.. »

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