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Peut-on concevoir une société sans historiens ?

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« VOCABULAIRE: SANS: A l'exclusion de, exprime l'absence. HISTOIRE: Ce mot désigne soit le devenir, l'évolution des individus et des sociétés (allemand Geschichte), soit l'étude scientifique de ce devenir (allemand Historie). Société : association d'individus qui constitue le milieu où chacun s'intègre.

Toute espèce vivante est plus ou moins sociale ; mais tandis que les sociétés animales sont naturelles et gouvernées par l'instinct, les sociétés humaines, organisées selon des institutions mobiles, véhiculent une culture. Introduction Toute société est constituée par le tissu des histoires en lesquelles elle se reconnaît (Schapp), mais l'historien, l'historiographie, sont nés récemment ; est-il de ce fait permis de parler, à propos des sociétés antérieures, de sociétés sans histoire ? Mais, et inversement, peut-on penser la disparition dans nos sociétés de l'historiographie ? I - Les sociétés sans historiens, hier et aujourd'hui a) Les sociétés dont le passé se transmet par des traditions orales représentent-elles des stades primitifs d'une évolution de l'humanité ? (Cf.

Comte et la loi des trois états, Lévi-Strauss et la distinction entre histoires cumulatives/stationnaires, sociétés chaudes/froides). Quelle est d'une part, la nécessité de l'écriture que dit l'étymologie de historiographie et la représentation de Clio, la muse de l'histoire, tenant un rouleau de papyrus ? S'il est difficile de penser ce qui reste de l'histoire indépendamment de la connaissance que nous en avons, l'écriture permet de prendre une certaine distance par rapport à l'immédiateté du vécu, et ainsi sa critique.

Pourtant, on admet souvent seulement de façon relative que le « père de l'histoire », Hérodote, est un historien, car il n'y aurait de véritable historiographie que « scientifique ».

Il faudra donc, d'autre part, éclairer le propre de ce savoir. b) Mais, et d'un autre côté, loin de devoir imaginer d'« autres » sociétés pour se représenter la possibilité de sociétés sans historiens, le sens même de l'histoire telle que la pensent par exemple Marx et Lénine, et qui se résume à la lutte des classes, n'est-il pas dans l'avènement d'une société post-historique, société sans classes ? Tant que dure la lutte des classes l'histoire des historiens est seulement celle de la classe dominante, c'est-à-dire une histoire idéologique, et, une fois cette histoire accomplie, on ne voit pas quel serait l'intérêt ou le rôle de l'historien.

Est-ce à dire qu'une société sans historiens nous oblige à examiner des sociétés pratiquement disparues ou difficilement imaginables ? c) Les sociétés totalitaires modernes ne sont-elles pas des sociétés sans historiens ? On repensera à 1984 de G.

Orwell et à Histoires et totalitarisme de Havel.

Or si, comme le suggèrent Heidegger, Havel ou Kundera, le totalitarisme est une expression de la modernité au même titre que les sociétés libérales — ce qui veut dire que leur essence serait commune sans que soit pour autant niée leur différence — peut-on observer comme une disparition de l'histoire dans les sociétés libérales ? (Cf.

Nora et/ou Baudrillard) : « Pour exorciser le nouveau, il y a deux moyens : soit le conjurer par un système d'information sans informations, soit l'intégrer au système de l'information » (L'Evénement monstre), ce qui signifie que la sous-information et la sur-information propres à ce que l'on appelait les blocs de l'Est et de l'Ouest conduisent tous deux à la dissolution de l'histoire.

Mais même l'« information » en général ne peut être confondue avec le savoir propre à l'historien.

Elle relève d'un pur constat factuel qui reste à penser et dont l'intérêt reste à déterminer par rapport à la masse infinie d'autres constats possibles.

Or lorsqu'elle est communiquée par les media, elle a précisément déjà été sélectionnée dans le flux constant d'informations qui leur parvient, jugée plus digne d'être communiquée.

Cela signifie que son « objectivité » est un leurre si ce terme est supposé désigner ce qui est neutre vis-à-vis de toute interprétation ; et en dehors de cette sélection, par ailleurs nécessaire, le simple rapprochement — délibéré ou non — de certaines informations, leur montage, est en soi susceptible d'induire des interprétations.

Quelle est la nécessité sociale des historiens ? II - Les historiens des sociétés d'hier et d'aujourd'hui a) Si l'histoire positiviste se démarque non seulement de la chronique médiévale par exemple ou de l'histoire telle que la pratiquaient les Grecs, mais aussi de l'épopée (cf.

L'Iliade) et du mythe — lesquels ont leur rôle social et politique —, sa conception de l'objectivité laisse croire que la vérité existe indépendamment de la discussion et du dialogue, alors qu'elle est intersubjective.

En revanche, on retrouve ce caractère dans l'impartialité avec laquelle Homère et Hérodote chantent les exploits des Grecs comme des Troyens, des Grecs comme des Barbares, ou dans l'objectivité avec laquelle Thucydide expose les positions des protagonistes de La guerre du Péloponèse — objectivité qui, selon Hannah Arendt, n'est pas sans rapport avec l'apprentissage de la vie de citoyen dans la polis grecque. b) Le développement d'une conscience historique à partir du moment où la société moderne est devenue étrangère à son propre passé engendre un nouveau besoin : celui de se réapproprier le passé par l'interprétation de ses traces.

En revanche, toute société qui n'aurait pas connu ce processus (sociétés traditionnelles) n'éprouverait pas non plus la nécessité de notre historiographie, de notre herméneutique. c) Pour autant que l'échange d'une parole est constitutif de la socialité humaine (cf.

aussi Aristote), une véritable société ne peut se contenter de l'histoire des historiens.

Si raconter une histoire, c'est, comme le rappelle Walter Benjamin dans un esprit qui est à rapprocher de la critique platonicienne de l'invention de l'écriture, « partager une expérience », à savoir un acte éminemment social, la disparition du narrateur n'est-elle pas le symptôme de la disparition d'une authentique socialité ? On ne saurait pas plus retrouver ce partage dans cet autre genre d'histoires né de la narration : le récit romanesque en tant qu'écriture, car « le lecteur de roman est solitaire ».

Mais il va de soi qu'on le retrouve encore moins dans ce leurre de communication que représente l'échange d'information. Conclusion Si la disparition de l'historiographie semble impensable, la surinformation de la société mass-médiatique et la disparition du narrateur posent un problème politique.. »

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