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Peut on concevoir un pouvoir juste ?

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« Le verbe concevoir peut s'entendre en plusieurs sens : il renvoie à la fois à une activité de conceptualisation et de construction.

Concevoir quelque chose, c'est en former une idée précise, un concept qui en donne les principaux traits sinon la définition.

Mais on conçoit aussi des objets, au sens où on les fait passer d'une définition abstraite à une concrétisation matérielle. Le pouvoir est la force exercée par un être ou une institution sur un individu ou un groupe d'individus, de sorte que ces derniers règlent leur action sur la volonté du détenteur de la force. Quelque chose de juste, homme ou institution, est quelque chose qui agit en fonction d'une reconnaissance des droits et des mérites de chacun.

Etre juste est une qualité de l'individu qui orientera ses actions dans le sens d'une reconnaissance exacte du mérite et des droits de chacun.

Pressé de choisir entre son intérêt privé et l'intérêt d'autrui, entre son intérêt privé et l'intérêt général, l'homme juste ne choisira d'être utile à lui-même que s'il existe une raison moralement acceptable à ce choix.

Dans le cas contraire, il servira plutôt les intérêts divergents des siens au nom du sens de la justice qui l'anime.

Nous pouvons donc dire qu'un homme juste est celui qui présuppose une égalité absolue entre lui et les autres, de sorte qu'il règlera son action en fonction des normes morales. La question qui nous est soumise pose un double problème : il s'agit en effet de se demander si l'idée d'un pouvoir juste est concevable, conceptualisable, c'est-à-dire, si elle ne comprend pas de contradiction interne.

Mais, d'autre part, il s'agit de se demander si un tel pouvoir est réalisable, susceptible d'être incarné dans le monde concret, de passer de l'univers des idées à celui de la réalité. I. a. Un pouvoir individuel juste n'est pas conceptualisable Le principe de non contradiction Il nous faut définir ici le critère en fonction duquel nous dirons qu'un pouvoir juste est ou non conceptualisable, c'est-à-dire, s'il est un concept valable ou non.

C e critère sera le principe aristotélicien de non contradiction : celui-ci signifie qu'est vraie une idée qui ne recoupe aucune notion contradictoire, c'està-dire, qui ne comprend pas deux affirmation concurrentes et opposées.

Par exemple, un chat ne peut être noir et blanc en même temps et conçu sous les mêmes rapports.

De même, un pouvoir ne pourra être dit juste s'il favorise à la fois les droits de quelqu'un et bafoue ceux d'une autre. Sa formule est : « Une chose ne peut pas, en même temps, être et n'être pas » ou encore « A n'est pas non A ». Aristote a donné de ce principe la définition suivante : « Un même attribut ne peut pas être affirmé et nié d'un même sujet en même temps et sous le même rapport.

» Par exemple, o ne peut pas dire à la fois d'une plante qu'elle est verte et qu'elle n'est pas verte. Le principe de Contradiction n'est que la forme négative du principe d'identité.

Aristote l'énonce ainsi : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas au même sujet sous le même rapport.

»Par exemple, le cheval d'Henry IV ne peut pas être à la fois blanc et non blanc.

Le principe.

Ou bien il pleut, en ce moment, ou il ne pleut pas.

Le principe du tiers exclu élimine une troisième éventualité. b. Le pouvoir individuel sans médiatisation est nécessairement injuste Nous nous interrogerons ici sur le seul pouvoir individuel, c'est-à-dire sur le pouvoir exercé par un individu sur moimême sans médiatisation aucune.

Par médiatisation, nous désignons une institution qui s'interposerait entre l'autorité d'autrui et moi-même, de sorte que le pouvoir d'autrui serait comme l'émanation d'un pouvoir abstrait, et non la seule expression de son arbitraire privé.

Nous dirons d'un tel pouvoir qu'il est nécessairement injuste, car il favorise les droits de celui qui l'exerce, et bafoue les miens.

Il s'agit seulement d'une manifestation de l'arbitraire, non d'un pouvoir juste et légitime.

Le concept de pouvoir individuel juste est donc contradictoire. II. Un pouvoir abstrait juste est conceptualisable a. Qu'appelons nous un pouvoir abstrait ? Nous poserons la question en nous tournant désormais vers le pouvoir abstrait.

Par pouvoir abstrait, nous entendons celui qui émane d'une institution, d'un corps abstrait, et qui ne s'exerce que par l'intermédiaire d'individus réels qui sont les agents de ce pouvoir.

Prenons l'exemple de l'Etat : l'état moderne ne s'incarne pas dans un individu, mais dans une somme d'institutions qui exercent leur pouvoir sur les individus par l'intermédiaire d'agents. b. Comment un pouvoir abstrait peut il recevoir en raison le prédicat « justice » ? Un tel pouvoir peut il être juste ? Nous dirons qu'il est concevable qu'un pouvoir abstrait soit juste, dans la mesure où, idéalement, nous pouvons supposer que son caractère de justice est contrôlé par ceux sur qui son pouvoir s'exerce.

Pensons à un état démocratique, qui exerce bel et bien un pouvoir sur les individus, tout en laissant à ces derniers le pouvoir de régler à son tour ce pouvoir, et d'éviter qu'il sombre dans l'arbitraire, par des moyens divers (élections à échéances variées, sinon « droit à la révolte » comme dans la constitution de 1795). III. Un pouvoir juste est-il réalisable ? a. L'altérité radicale du pouvoir et de la justice Cependant, nous dirons qu'un pouvoir juste peut à la rigueur se concevoir, mais nullement se réaliser dans les faits.

En effet, pour qu'un pouvoir soit juste, il faut qu'il ne bafoue les droits de personne.

Or, l'altérité absolue des individus entraîne qu'il est impossible que ce qui n'aliène jamais les droits de l'un ne soit pas une offense pour les droits des autres.

En effet, je peux avoir un tempérament à ce point indépendant que la seule perspective de recevoir un ordre ou de voir mon action déterminée par une autre volonté que la mienne me soit insupportable.

Par conséquent, il est impossible qu'un pouvoir abstrait soit absolument juste, en raison de la différence des individus sur lesquels il s'exerce. b. Un pouvoir nécessairement injuste A la suite de ce développement, nous dirons que le pouvoir est nécessairement injuste, dans la mesure où il remplace mon libre arbitre par une autorité qui oriente et détermine mon action, ce qui, même à un faible degré, ne peut apparaître que comme une insulte faite à mes droits.

Cependant, il n'en reste pas moins qu'il y a des degrés dans l'injustice des pouvoirs, que cette injustice est plus ou moins grande, plus ou moins intrinsèque. Conclusion : Concevoir, c'est conceptualiser et réaliser.

Si un pouvoir individuel non médiatisé apparait nécessairement injuste, il n'en va pas de même pour un pouvoir abstrait, qui à la rigueur, peut être conçu comme juste.

Cependant, il semble que ce caractère juste du pouvoir ne lui appartient qu'idéalement, c'est-à-dire indépendamment d'une considération de l'altérité des individus sur lesquels il est susceptible de s'incarner.

Nous dirons donc qu'un pouvoir est nécessairement injuste dès qu'il s'exerce sur des êtres variés, mais que cette injustice connait d'importantes gradations.. »

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