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Peut-on comprendre le vivant en laboratoire ?

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« Le laboratoire est un milieu scientifique par excellence : il est lui-même le produit de la science.

Etudier le vivant en laboratoire c'est adopter le postulat d'après lequel on peut comprendre le vivant hors de son milieu naturel.

La tension est manifeste : soit l'on privilégie les techniques précises de l'analyse scientifique qui exigent le laboratoire pour cadre ; soit on y renonce, en suivant l'hypothèse d'après laquelle le laboratoire est un milieu artificiel pour le vivant.

Choisir un des membres de cette alternative n'est pas simple, en effet, tandis que l'étude en laboratoire tente de déterminer, par l'analyse, ce qui fait l'essence du vivant ; la position qui consiste à tenir le laboratoire pour factice, présuppose en fait ce qu'est le vivant, puisqu'elle le déclare d'emblée comme étranger au monde de la science. I- Le laboratoire : un lieu d'analyse du vivant. Le laboratoire est un lieu privilégié pour l'analyse, les expériences ne s'y font pas au hasard, leurs circonstances relèvent de protocoles définis par les scientifiques eux-mêmes.

C'est un lieu d'observation idéal où les interférences entre l'animal et la science sont minimisées.

Le monde animal y est comme « mis à nu ».

Le scientifique doit cependant réguler le contrôle qu'il exerce sur l'animal : s'il dirige les protocoles, ceux-ci ne doivent pas être conçus de manière à dicter son comportement à l'animal. Le laboratoire est donc un outil qui permet de collecter, de recouper des données sur les vivants ; les accidents y sont contingents puisque les expériences peuvent être multipliées à volonté.

La réitérabilité des expériences assure au scientifique la possibilité de pouvoir vérifier la validité de celles-ci.

Le laboratoire permet donc de paramétrer la santé, la réactivité, l'immunité, ou encore l'intelligence des vivants.

Bref, le comportement des vivants devient prévisible grâce à l'analyse qu'on en a fait en laboratoire. Enfin, contre les détracteurs de la facticité des laboratoires, il faut faire valoir que le laboratoire est le seul lieu où l'on peut étudier l'origine de la vie.

C'est en laboratoire que le virus par exemple c'est imposé comme problématique : à la charnière de la chimie et de la biologie, il possède de nombreux critères témoignant d'une nature vitale, par exemple son appétence, sa recherche d'un milieu pour se perpétuer.

Le laboratoire permet de décentrer l'analyse du vivant vers la chimie au lieu de la cantonner à l'étude des comportements animaux. II- Le laboratoire : un milieu artificiel pour le vivant. Toutefois, ainsi que Canguilhem le dénonce dans La connaissance de la vie, le laboratoire est un milieu artificiel pour le vivant.

En effet, plutôt qu'il ne permet d'observer des comportements, le laboratoire les construits.

Plutôt que d'autoriser une appréhension objective du vivant, il en suggère une lecture artificielle.

Le laboratoire n'est pas tant une instance d'observation que de contrôle, ce n'est aucunement un milieu neutre mais bel et bien idéologique. Les prétentions du laboratoire devraient donc se cantonner à une activité de recherche, par exemple en pharmacologie, en génétique, ou en tératologie (étude des monstres biologiques), mais non pas viser une définition du vivant.

Il faut, pour appréhender le vivant, ne pas l'abstraire de son milieu.

Comme Canguilhem l'a montré dans ses travaux, le comportement d'un vivant, sa viabilité, ses manques, ne sont lisibles que dans un milieu donné.

Contre ses contemporains Auguste Comte, quoique étant le représentant le plus éminent du positivisme au XIXe siècle, pensait que le laboratoire était inadéquat pour étudier le vivant.

Il proposait qu'on lui substitue l'étude de situations naturelles critiques propices à dévoiler le fonctionnement du vivant, par exemple la maladie. Le laboratoire impose au vivant un milieu, et dessine donc en creux les réactions attendues, le vivant voit sa liberté réduite à rien, il devient semblable à un automate que l'on observe après l'avoir mis en route.

Les critiques de MerleauPonty sur l'artificialité du réflexe chez Pavlov sont sans retour (cf.

La structure du comportement).

Le réflexe est construit par un conditionnement, il n'est jamais spontané, il est un exemple de la puissance et de l'artificialité du laboratoire.

Ce dernier est un lieu où l'on décompose le vivant, partie par partie, en stimuli, réflexes, propriétés cellulaires, mais aucunement un endroit où l'on tente de saisir le vivant comme un tout, c'est-à-dire directement pour lui-même. III- La science ne cherche pas à comprendre le vivant. La science ne cherche pas tant à comprendre le vivant qu'à l'analyser, c'est-à-dire à pouvoir répondre à des besoins concrets, eu égard par exemple à la maladie ou au vieillissement.

Bergson remarque dans L'Evolution créatrice, que la science est limitée par les impératifs pratiques auxquels elle doit satisfaire, tandis que la philosophie, fondamentalement inutile, n'est limitée par rien, et peut donc atteindre à l'essence de son objet. En vérité, contrairement à ce que nous disions en introduction, c'est la science qui présuppose la nature de son objet : en effet, il faut bien qu'elle reconnaisse le vivant pour le choisir.

Or, cette reconnaissance s'inscrit dans une dimension phénoménologique et non pas scientifique.

C'est ce que Merleau-Ponty nous apprend au début de son livre Le Visible et l'invisible : le scientifique fait l'expérience d'une reconnaissance du vivant avant de l'analyser.

Or, c'est seulement en se penchant sur une telle expérience, ce que le laboratoire ne peut pas faire, que l'on mettra au jour une essence du vivant. Comprendre le vivant ce n'est donc pas chercher à l'analyser en propriétés physico-chimiques, c'est chercher à rendre compte du fait que nous sommes sans délai sensibles à son allure.

Pour comprendre le vivant, il faudrait comprendre la raison pour laquelle nous reconnaissons un vivant, bref, renoncer à une philosophie positiviste pour une phénoménologie. Conclusion : Le laboratoire est un outil scientifique il est vectorialisé par des impératifs pratiques, c'est un lieu de recherche et d'analyse mais non pas de compréhension.

La compréhension diffère de l'analyse, elle ne consiste pas à décomposer une chose en ses éléments, mais à appréhender l'unité de la chose, ce qui, pour le vivant, peut être son allure.

Il faut donc rester prudent sur l'intérêt d'une mise en laboratoire du vivant, celui-ci est douteux s'il s'agit de comprendre le vivant.. »

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