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Peut-on accuser la technique d'être responsable de tous nos maux ?

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« Définitions : Technique : La technique est un ensemble de moyens (instruments et connaissances) permettant d'obtenir efficacement un résultat de transformation de la nature déterminé à l'avance, et jugé utile.

Elle comprend donc au moins un volet matériel, d'outillage, et un volet intellectuel ou comportemental, puisqu'en apprenant par exemple à manier un outil, on apprend à se positionner dans l'espace, on mémorise un geste.

Technique et science sont en outre un couple d'inséparables depuis l'Antiquité : la technique, en tant que manière de faire opérante, càd pourvue d'efficacité, a toujours reposé sur un savoir pour viser à produire régulièrement l'effet escompté.

Productrice d'effets répétables, elle se rend ainsi aisément transmissible, et constitue un moyen pour l'homme d'arriver sûrement à ses fins.

C'est pourquoi elle est un savoir-faire –une activité de fabrication ou de transformation reposant sur un savoir. Le terme technique a beaucoup muté depuis l'Antiquité.

Avant de revêtir la forme contemporaine d'une technique motorisée ou électronique, elle apparaît notamment chez Aristote.

Elle provient d'un adjectif, technikon, formé sur le nom technê, désignant dans l'Antiquité un art et une compétence, au sens d'une activité fondée sur la connaissance de la droite règle, et par-là même apte à agencer les moyens permettant de produire des objets extérieurs à l'agent, dans le cadre d'une poiesis.

La technique premièrement comprise comme technê se distingue ainsi d'emblée de la praxis : « Disposition à produire accompagnée de règle », toute technique est « relative à la production ; instituer une technique, c'est chercher spéculativement les moyens de produire une des choses qui peuvent indifféremment être ou n'être pas, et dont l'origine est dans l'agent créateur, non dans l'objet créé » ( Ethique à Nicomaque, VI, 1140).

Elle recouvre à la fois l'art du joueur de flûte, les gestes calculés de l'artisan, et le savoir-faire du médecin. Enfin, du côté de son étiologie, le sens de la technique s'enracine dans un mythe grec, celui de Prométhée.

Prométhée met son habileté de titan au service de l'humanité naissante (promathein = prévoir).

Il dérobe le feu dont Zeus avait privé les hommes pour les forcer à travailler s'ils voulaient subsister.

Le feu est donc la forme primitive de tout dispositif technique.

En punition de son forfait, Prométhée fut enchaîné par Zeus sur un sommet du Caucase, et un aigle venait chaque nuit lui ronger le foie qui repoussait le jour.

L'acte de naissance de la technique est donc une lutte particulièrement violente, et le titan, après avoir fourni aux hommes dépossédés le feu indispensable à la cuisson de leurs aliments, est torturé éternellement. Grâce à ce don du feu peut s'établir une médiation entre les hommes et une nature hostile privée d'abondance immédiate, car le feu sert à la cuisson des aliments et aux « arts du feu » : forger des outils, fabriquer la céramique, etc..

Le feu est donc arraché aux dieux, et il est contre nature –puisqu'il est le moyen par lequel est transformée la nature, qui n'est pas immédiatement productrice.

Le mythe prométhéen situe ainsi la technique entre chien et loup : elle oscille entre un moyen de salut d'une part, et un piège se refermant sur son poseur d'autre part, ce qui indique le caractère contre nature et risqué de ces entreprises prométhéennes. Responsable : auquel on peut imputer une conduite.

Sont exclus de la responsabilité les enfants, les fous et les idiots.

Vient de respondere, répondre de, mais aussi être digne de, égal à, à hauteur de.

En morale, a le sens spécifique de répondre totalement de ses actes, les assumer et s'en reconnaître l'auteur. Mal : est un mal en général tout ce qui fait l'objet d'un jugement de désapprobation, fait obstacle à la perfection de l'homme ou s'oppose au bien et aux normes morales d'une société.

En morale, un mal a un responsable, celui qui le commet : le mal résulte alors d'une personne coupable à qui on l'impute, cette imputation se faisant accusation dans le cas où elle est celle d'un acte répréhensible.

On peut reprendre les trois sens leibniziens du mal (Leibniz, Théodicée) : mal métaphysique (« simple imperfection »), mal physique (« souffrance »), et mal moral (« péché »).

Les maux peuvent également revêtir un sens voisin de « malheurs » lorsqu'ils arrivent à un être considéré comme passif. Problématique : - - Dans un langage assez courant, le « techniquement faisable », est tout ce qui est matériellement possible, sans être considéré sous l'angle du bon ou du mauvais.

Mais il est évident que la notion même de technique, sous l'impulsion des Lumières et de la croyance au progrès, a fait l'objet d'une reprise dans une idéologie de l'optimisme et d'une eschatologie laïque.

Le progrès technique comme panacée universelle (héritage du rationalisme des Lumières) d'un côté, de l'autre les déforestations, les guerres atomiques et les camps de concentration qui industrialisent la mort.

Qu'en conclure sur la responsabilité même de la technique ? Est-ce parce qu'elle est capable du meilleur qu'elle est également capable du pire ? Peut-on à juste titre reprendre une critique sévère de la conception instrumentaliste de la technique en disant que celle-ci ne nous libère pas seulement du travail servile, mais porte aussi en elle une monstruosité intrinsèque de violence faite à notre environnement (Heidegger) ? Enfin, Pour accuser la technique, il faudrait déjà qu'elle puisse répondre de ses actes.

Or, la technique peut-elle à bon droit être considérée comme un auteur ? –Et a fortiori, comment peut-elle porter l'entière responsabilité de nos malheurs humains ? L'instrument et l'outil ne sont-ils pas muets dans ma main ? N'est-ce pas moi qui fais parler mon outil ? Et à ce titre, ne doit-on pas se renvoyer à soi l'accusation de malheur ou de mal commis ? Peut-être est-ce un peu facile de localiser le mal dans la chose, au lieu de le chercher, diffus, dans l'usage que nous en faisons. I. La technicisation du monde est synonyme de désenchantement, de déshumanisation et d'instrumentalisation de la science La technique n'est pas (ou pas essentiellement) le signe de notre puissance sur la nature, mais de notre impuissance à dominer notre capacité technique elle-même.

Elle comporte toujours une virtualité d'auto-emballement. a. La technique est porteuse de valeurs, qu'elle impose à travers l'usage généralisé de ses produits : vitesse, performance, utilité, efficacité.

Les manifestes futuristes (Marinetti) du début du siècle sont l'exemple d'une application aux Beaux-Arts de ces principes tout-puissants.

La technicité prônée en toutes matières les mène aux dérives idéologiques de l'eugénisme, de la brutalité et de l'élimination du « vieux », au nom du culte de la machine et de la vitesse.

Plus loin dans le temps, et plus généralement, les manufactures, produits de l'essor technique de la fin du XVIIIe siècle, constituent une nouvelle organisation du travail, ayant la conséquence sociale de parcellisation des tâches. Ce mouvement de spécialisation se poursuit à travers les OST (héritières de L'organisation scientifique du travail de F.W.

Taylor) du début du XXe siècle, notamment dans le taylorisme, où le chronométrage et l'alignement de la cadence de production au rythme de la « chaîne » donne lieu à une déshumanisation du travail.

Les ouvriers qui y travaillent n'ont plus aucun savoir-faire propre, et ironiquement sont nommés « OS », ouvriers spécialisés (Charlot en serre-boulon dans Les temps modernes).

Dans Le travail en miettes (1956), Milton Friedman étudie l'effet direct du progrès technique sur le travail, et critique sévèrement ceux du travail à la chaîne, aboutissement de la « division du travail social » (Durkheim).

Ses conclusions ne sont guère optimistes : au plus haut degré de technicisation, les tâches laborieuses se vident complètement de leur sens, ce qui provoque ennui, démotivation et turn-over (les ouvriers ne reviennent plus).

Où l'on voit que la critique de cette technicisation à outrance se fait également dans un intérêt économique.

On touche ici au mythe moderne de la technique aliénante, par son omniprésence et par la subordination de l'homme qu'elle impose.

Ce qui justifie parfois une emphase technophobe : « Un monde gagné pour la technique est perdu pour la liberté », G.

Bernanos, L a France contre les robots.

Les machines ont remplacé les hommes, et quand par bonheur ils sont maintenus, elles leur donnent des ordres. b. La technique est incontrôlable : elle s'emballe et c'est alors une sorte de folie ou d'ivresse technique.

« Despote conquérant, le progrès technique ne souffre pas l'arrêt.

Tout ralentissement équivalant à un recul, l'humanité est condamnée au progrès à perpétuité » (Alfred Sauvy, Théorie générale de la population).

L'utilisation d'un vocabulaire carcéral (« à perpétuité ») montre ici que l'invention technique est un engrenage et un piège se retournant contre son concepteur.

La technique génère sans cesse de nouveaux besoins : elle augmente la masse du superflu, et nous rend dépendants par la consommation de gadgets à outrance –cf.

la technique portative : la montre, le téléphone portable, la calculatrice, etc.

De plus, le rôle d'entraînement que joue un secteur par rapport à l'autre, et la et synergie (industrielle ou cybernétique) entre les techniques fait que, les changements techniques s'alimentant les uns les autres, nous sommes comme pris dans un système techniqu e.

Cette thématique d'une invasion, d'une technique qui circonscrit l'homme, trouve son illustration la plus récente dans les techniques d'enfermement et les systèmes virtuels de contrôle : la surveillance sur Internet permet une traçabilité de chacun de nos actes (les publicités, par exemple, deviennent ciblées en fonction de votre comportement antérieur sur un site).

Cette sensation d'étouffement est bien loin de l'objectif cartésien de nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature » : il signifie au contraire que l'on ne contrôle plus les conséquences de l'utilisation des techniques.

Ou bien que, cette utilisation étant inégalement répartie entre les mains d'un petit nombre, et l'on est face à un renforcement toujours croissant des inégalités sociales (cf.

dans l'usine du XIXe, c'était les patrons qui possédaient les machines ou le capital fixe, et le prolétariat qui s'en servait –comme si l'usage des machines était toujours dévolu aux déshérités et à un prolétariat universel). c. Le problème est aussi celui d'un objet et d'un instrument qui devient sujet et fin en soi.

Le monopole contemporain de la technoscience , ou d'une imbrication de plus en plus forte entre la science et la technique, fait que la recherche scientifique doit de plus en plus s'ordonner exclusivement à des besoins techniques (réaliser des gains de temps, de place).

Bien que l'action entre science et technique soit à l'origine une action réciproque, et que les ressources techniques conditionnent souvent les avancées de la science (comme la lunette de Galilée dont il fit usage en 1609), le brouillage contemporain des frontières entre savoir et savoir-faire tend plutôt à en faire une relation asymétrique.

La technique, en proliférant, en généralisant ses valeurs propres, serait donc bien responsable d'une réduction de la science à ses apports techniques possibles.

La technique qui parle trop haut produit une science servile, sans marge d'invention et de tâtonnement. d. Le mal de l'homme culmine dans la technocratie, forme inhumaine de gouvernement politique que sécrète la technique.

La technique y est effectivement le seul auteur de nos malheurs.

« Plus le niveau de la technique est élevé, plus les avantages que peuvent apporter des progrès nouveaux diminuent par rapport aux inconvénients », écrivait Simone Weil dans Oppression et liberté.

En effet, il semble qu'il y ait une loi de proportionnalité entre l'augmentation de la douleur et le degré d'avancement technique d'une société, passé un certain seuil où la technique allégeait le poids du labeur.

La technocratie décomplexée est l'idéologie abritant ses choix de société derrière des impératifs techniques, la tyrannie de l'utile et de l'immédiat.

Ce gouvernement de spécialistes est appuyé sur une administration publique toujours croissante, qui fait elle-même usage de techniques de mesure de l'opinion (sondages), de surveillance et de propagande.

Elle justifie ses choix par des compétences techniques exclusives (qu'elle proclame et/ou qu'on lui reconnaît détenir en exclusivité), ce qui lui permet de soustraire la question de ce choix au débat public.

C'est donc d'abord une opération de confiscation, qui serait véritablement le mal moderne.

Car c'est traiter le gouvernement en simple administration.

Une politique qui ne serait que technicité, serait une immense bureaucratie à laquelle l'individu, noyé, ne peut plus s'identifier.

Mais bureaucratie n'est menaçante que par son inertie : c'est l'esprit technicien quand il se sclérose.

C'est là que résiderait effectivement le plus grand danger pour la civilisation, dans cette inertie des structures –ce qui, notons-le, ne remet pas en question l'existence même de la technique.

Dans La technique ou l'enjeu du siècle, Jacques Ellul insiste sur l'invasion de la rationalité technique dans la sphère politique, et sur le développement autonome de la technique, échappant au contrôle humain.. »

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