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Peut-il y avoir savoir-faire sans savoir ?

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« Introduction Un savoir-faire est une compétence technique qui permet la réalisation d'un objet ou d'un effet déterminé.

Un bon cordonnier sait travailler le cuir pour en faire des chaussures résistantes ; un habile parleur sait manipuler son auditoire et obtenir de lui qu'il agisse comme il le souhaite.

Le savoir-faire n'est donc pas une compétence théorique m a i s c o n s i s t e e n une disposition de l'ordre de l'habileté.

Le savoir, de son côté, est en général considéré comme une connaissance théorique capable de rendre raison de ce qu'elle affirme, en le démontrant par exemple, comme en mathématiques ; il peut aussi porter sur les phénomènes naturels comme dans les s c i e n c e s empiriques.

Pour que le savoir-faire soit vraiment de l'ordre du savoir, il faudrait donc qu'il puisse se justifier par un raisonnement ou une démonstration, ce qui n'est évidemment pas le cas.

C e qui justifie et prouve le savoir-faire, c'est seulement son efficacité.

Dans c e s conditions, un savoir qui sait seulement faire, voire même bien faire, n'est pas vraiment un savoir.

Pourtant il ne paraît pas déraisonnable de reconnaître que la technique est une forme de savoir.

À quelle condition peut-on considérer la technique comme une véritable connaissance, c'est-à-dire autrement que comme un ensemble de règles et de procédés routiniers ? 1.

Pas de véritable savoir-faire sans savoir A .

C ritique de l'idée commune de « savoir-faire » La vie de tous les jours réclame bon nombre de vérités pratiques ou techniques.

C onnaître le chemin qu'il faut prendre pour se rendre à tel ou tel endroit, c'est détenir une vérité.

Savoir manoeuvrer une voiture, c'est savoir ce qui se passe quand on tourne le volant de telle manière, quand on appuie sur telle pédale, quand on actionne dans tel sens le changement de vitesse.

Une technique consiste en la possession de vérités qui sont des règles d'action ou de production.

C es vérités sont acquises par expérience et sont donc en général ni déduites ni démontrées.

Or si, comme on l'a dit, le propre du savoir est de pouvoir justifier par des raisons ce qu'il affirme, comme le font les mathématiques par exemple, alors le véritable savoir technique devrait pouvoir rendre compte de son efficacité. La simple connaissance d'un procédé produisant efficacement tel effet n'est qu'une connaissance aveugle, une simple opinion.

L'efficacité d'une règle technique prouve sans doute sa vérité, sa conformité à l'ordre des choses ; mais cette preuve n'est pas théorique ; elle n'établit pas un véritable savoir. C 'est donc par manque de rigueur que l'opinion commune élève la technique au rang de « savoir-faire ». B.

Le calcul arithmétique : un exemple de véritable savoir-faire P renons l'exemple du calcul.

En lui-même, il n'est qu'un procédé, pas une connaissance théorique.

Les tables de multiplication s'apprennent par coeur, sans comprendre.

A vant l'invention de l'arithmétique par les Grecs, compter était le fait des marchands.

Mais avec la naissance de la science arithmétique, le calcul a cessé d'être un art lié au négoce pour devenir l'application d'une théorie des nombres.

Le calcul mathématique n'est alors plus une simple routine aveugle : le mathématicien peut démontrer son résultat à partir des propriétés des nombres et de la définition des règles d'opérations.

O n a donc affaire dans ces conditions à un véritable savoir-faire : un faire qui dérive directement d'un savoir puisqu'il porte sur les objets mêmes de ce savoir (les nombres). M ais un procédé technique s'appliquant non pas à des objets intellectuels mais cherchant à transformer la réalité matérielle peut-il se fonder lui aussi sur un véritable savoir ? C .

La technologie : un savoir-faire déduit de la science L'instauration d'une science de la matière avec Galilée (1564-1642) a donné naissance, à partir de la Renaissance, à une nouvelle forme de technique qui rompt radicalement a v e c l a transmission artisanale de recettes efficaces.

La connaissance des lois de la matière a permis d'inventer des procédés techniques que jamais la seule observation n'aurait pu suggérer.

L'éclairage au gaz, l'ampoule électrique, les centrales nucléaires sont des innovations technologiques qui dérivent directement de théories physiques.

L'ingénieur prend la relève de l'artisan : c'est en vertu de sa connaissance de la nature qu'il déduit la possibilité de phénomènes nouveaux pouvant avoir des applications utiles pour les hommes.

La technique, en s'appuyant désormais sur la science, s'élève au rang de véritable savoir-faire au sens où nous l'entendons ici d'une connaissance capable de rendre raison de ce qu'elle fait. A insi le véritable savoir-faire serait l'application d'une théorie scientifique.

M ais n'est-ce pas au nom d'une conception étroite du savoir que l'on peut ainsi annuler la valeur de savoir d'un simple procédé qui réussit ? T oute connaissance sanctionnée par l'efficacité ne peut-elle pas prétendre au statut de savoir ? 2.

A utonomie du savoir-faire A .

Q u'est-ce que savoir ? Le savoir démonstratif représente sans doute un idéal de perfection pour la connaissance scientifique.

M ais on peut toutefois contester l'idée qu'il soit le modèle de tout savoir humain.

C e qui conduit à se demander ce qu'est un « savoir ».

Il est vrai, on l'a dit, que la connaissance technique, non technologique, n'est pas capable de rendre raison déductivement de ce qu'elle fait.

M ais est-ce vraiment là le critère décisif ? Le savoir ne commence-t-il pas dès que le sujet articule ce qu'il fait ? On ne sait rien quand on se contente de répéter sans discernement ce qu'on a appris par coeur.

On ne sait pas davantage quand on agit impulsivement, instinctivement.

Le savoir n'est ni inné ni acquis : il naît dès que le sujet est capable de décomposer ce qu'il fait en éléments, en segments qu'il reconnaît et qu'il sera donc capable de recombiner.

C e qui ne veut pas dire répéter ; au contraire, le savoir se reconnaît à la capacité de recomposer autrement ce qui est appris.

Savoir, c'est toujours savoir ce que l'on fait, c'est un faire articulé toujours capable d'inventer, ne serait-ce qu'en s'adaptant aux circonstances toujours singulières. T out ce que nous avons appris à faire consiste donc en un savoir qu'il a fallu élaborer.

L'enfant par exemple apprend à marcher quand il comprend ce qu'est un pas et découvre la possibilité de l'enchaîner à un autre.

C ette découverte est une acquisition personnelle, pas un enseignement.

L'apprentissage d'un savoir est toujours conscient et réfléchi ; mais une fois que l'on sait, la réflexion devient superflue.

Le savoir devient de plus en plus spontané à mesure que l'habitude se développe.

Le savoir est donc une chose très largement répandue.

T out être civilisé, humain, dispose et use de nombreux savoirs : marcher, parler, jouer, fabriquer...

Le savoir est coextensif à toute pratique humaine.

Le savoir théorique n'est donc qu'un cas particulier d'une compétence très générale.

C e n'est pas parce qu'il est démonstratif que le savoir théorique est un savoir : démontrer n'est qu'une des multiples formes de ce que l'homme sait faire.

Finalement, contrairement à ce que laisse croire une conception théoriciste du savoir, un savoir est toujours, par essence, un savoir-faire. B.

Qu'est-ce qu'un savoir technique ? Le propre de la compétence technique est, avons-nous dit, d'être efficace, de réussir à atteindre son but.

C e qui veut dire que le savoir-faire est toujours finalisé : il permet d'atteindre une fin déterminée grâce à l'usage approprié d'un certain nombre de moyens.

I l ne consiste donc pas en une simple connaissance de recettes générales mais aussi en habitudes, en une habileté qui ne s'acquiert que par l'exercice.

T outefois contrairement à ce que prétend une opinion répandue, la technique ne peut pas se permettre de devenir routinière : dès qu'elle se fige en un schéma général appliqué aveuglément, elle ne prend plus en considération les données concrètes de son exercice et ne peut qu'échouer. M ais précisons la nature de cette connaissance technique.

D'une certaine manière, on peut dire que le savoir-faire consiste en un certain nombre de vérités pragmatiques (relatives à la réussite de l'action).

Elles ne visent pas à représenter le réel en lui-même mais ce que l'homme peut faire de ce réel : comment il peut agir sur lui et le transformer de telle ou telle façon.

C es vérités ne sont, on l'a dit, que des règles.

En ce sens le savoir technique se distingue à double titre du savoir théorique : d'une part, parce qu'il n'est pas capable de rendre raison de lui-même, démonstrativement par exemple – en cela, il n'est qu'une opinion ; d'autre part, parce qu'il n'énonce aucune vérité concernant l'être même des choses mais seulement des règles de leur transformation. La réponse à notre question dépend donc de la conception que l'on se fait du savoir.

Si on y voit une connaissance théorique, dont la science est le meilleur représentant, alors le savoir-faire ne peut prétendre au titre de « savoir » qu'à la condition d'être le dérivé technologique d'un corps de connaissances théoriques.

En revanche, si on soutient une représentation plus large du savoir comme pratique articulée et combinatoire, comme nous venons de le faire, alors le savoir-faire n'a pas besoin de se fonder sur une science pour revendiquer son titre de savoir.

Nous voudrions montrer pour finir que l'opposition entre savoir théorique et savoir technique a elle-même quelque chose d'artificiel depuis que la science s'est mise à explorer la nature en la modifiant, autrement dit depuis qu'est apparue la science expérimentale.. »

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