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On ne se souvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même ?

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« VOCABULAIRE: VIE: Du latin vita, «vie», «existence».

1.

Vie : en biologie, ensemble des phénomènes propres à tous les organismes (animaux et végétaux), parmi lesquels l'assimilation, la croissance et la reproduction.

2.

Durée s'écoulant de la naissance à la mort.

3.

Élan vital : chez Bergson, courant de vie qui se déploie à travers la matière en créant perpétuellement de nouvelles formes. Royer-Collard, qui enseigne à la fin de l'Empire et sous la Restauration, se propose avant tout de lutter contre l'empirisme sensualiste de Condillac et contre le matérialisme des « idéologues ».

Le propos qui nous est cité n'est pas étranger à cet effort de restauration spiritualiste auquel s'emploie le maître de Victor Cousin.

Il s'agit pour lui d'opposer aux objets des sens, donnés en dehors de nous — et analysés par les sciences matéralistes — les « objets de la conscience », c'est-à-dire « les opérations de l'esprit et ses états divers » qui « nous sont donnés au-dedans de nous » et qui constituent une vie intérieure originale.

Ainsi pourrait se constituer une psychologie scientifique puisqu'elle aurait pour objet un ensemble de faits observables, et en même temps spiritualiste puisqu'il s'agirait là de faits « intérieurs n, accessibles à la seule introspection et échappant à la contamination de la matière.

Les souvenirs appartiennent intégralement à cette vie intérieure et, par exemple, il est faux de dire que je me souviens de mon village natal ; je me souviens de l'avoir vu, d'y avoir vécu ; la mémoire n'est pas un retour sur les choses, elle est « un retour sur la conscience ».

Les souvenirs appartiennent donc à un monde intérieur, « on ne se souvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même.

» Cette théorie, remise à sa place dans le contexte des présupposés philosophiques et des intentions d e l'auteur, n'est plus guère défendable aujourd'hui.

Les phénoménologues, en effet, nous ont enseigné que « toute conscience est conscience de quelque chose », que toute conscience est « intentionnalité », c'est-à-dire toujours direction vers quelque chose d'extérieur à elle-même.

Il n'existe pas de vie intérieure, mais toute conscience, comme dit Sartre, "éclate vers l'objet".

De même que la perception n'est pas un état intérieur mais un acte de ma conscience qui vise un objet du monde extérieur, de même le souvenir n'est pas une réalité purement intérieure, c'est un acte par lequel ma conscience se dirige vers certains événements qui ont lieu dans mon passé.

Autrement dit, les souvenirs ne sont pas dans la conscience ; mais la conscience constitue le souvenir en posant le passé comme passé.

Il ne convient pas d'opposer à la perception, dirigée vers le monde extérieur, l'imagination ou la mémoire constituées par des « images mentales n intérieures ; perception, imagination, mémoire se rapportent toutes les trois à un objet extérieur.

Seulement elles le visent de trois manières différentes.

La perception saisit l'objet comme étant là, l'imagination se le donne comme objet absent alors que la mémoire le vise comme ayant existé mais n'étant plus là.

En tout cas, la célèbre distinction de l'école écossaise (Reid) et de l'éclectisme français dont Royer-Collard est l'initiateur, entre l'objet sensible et l'état de conscience, entre le monde physique extérieur et la vie mentale intérieure. est une distinction périmée. Toutefois, la formule de Royer-Collard «on ne se souvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même n — peut être admise dans un sens qui n'était pas celui auquel pensait son auteur.

En effet, si l'objet de la mémoire est un événement du monde extérieur, l'acte de se souvenir appartient à la conscience ; je me souviens de choses mais c'est moi qui me souviens.

Le souvenir porte la marque de la conscience dont il est l'acte.

Et en ce sens on peut parler de la subjectivité du souvenir.

La fixation du souvenir ne relève pas d'un processus mécanique et impersonnel.

La mémoire n'est pas un tiroir qui accueillerait automatiquement n'importe quel objet.

Elle apparaît comme un acte de la personne qui fixe le passé en fonction de ses exigences, de ses soucis et de ses valeurs.

Certes la sélection des événements fixés par la mémoire obéit en partie à des lois objectives ou, comme disent les gestaltistes, « structurales ».

Si une mélodie est plus facile à fixer dans la mémoire qu'une suite de sons quelconques, si une figure régulière est plus facile à retenir qu'un amas informe de lignes, c'est parce que la mélodie et la figure régulière constituent par elles-mêmes de « bonnes formes » qui s'imposent aisément.

Mais si nous retenons la mélodie, n'est-ce pas avant tout parce qu'elle nous émeut ? De même, nous fixons à jamais le souvenir des lieux qui furent le théâtre d'un premier amour.

Ainsi dans Le Lys dans la Vallée, de Balzac, Félix déclare : « Ce fut la seule fois que j'entendis cette caresse de la voix, le tu des amants ; je regardai les haies couvertes de fruits rouges, je contemplai la troupe des vendangeurs.

la charrette pleine de tonneaux et les hommes chargés de hottes.

Ah ! je gravais tout dans ma mémoire, tout jusqu'au jeune amandier sous lequel elle se tenait ». Une fois fixé le souvenir ne demeure pas en moi comme un donné immuable qui m'accompagnerait sans se -modifier.

D'une part il s'appauvrit avec le temps mais d'autre part il s'enrichit de toutes les modifications que l'évolution du moi lui fait subir.

L'infidélité de la mémoire comme l'a bien montré M.

Gusdorf — n'est pas un phénomène purement négatif, une simple absence d'objectivité.

En fait elle révèle la présence de ma personne, de ses valeurs, de ses préoccupations actuelles qui ne manquent pas de prêter leur couleur propre à l'évocation du moment.

Si Rousseau, par exemple, rédigeant les Confessions, s'étend complaisamment sur les voyages à pied et les nuits à la belle étoile, c'est qu'au moment où il écrit, « déjà vieux et dégoûté des vains plaisirs de la vie », il est devenu beaucoup plus sensible aux beaux sites, aux belles promenades.

D'autre part l'évocation de ce passé picaresque n'est aussi attendrie que parce que Rousseau a brillamment réussi sa carrière littéraire.

Si Rousseau était resté un vagabond, le rappel de ce passé aurait plus d'amertume. L'évocation du plus lointain passé porte donc toujours la marque du moi actuel. En ce sens, on ne se souviendrait, à la lettre, ni des choses, ni de soi-même ; le souvenir ne serait pas une résurrection du passé mais une reconstruction du passé à partir du présent.

D'aucuns, pourtant, objectent qu'il est une forme de mémoire capable de reproduire intégralement le passé, de restituer jusque dans leurs nuances les plus fines les émotions et les sentiments que j'ai autrefois éprouvés. Telle serait la mémoire affective qui nous ferait fidèlement retrouver, dans le présent, nos sentiments passés.

Tout le monde connaît, à ce sujet, les belles analyses de Marcel Proust.

Notre passé pourrait ressusciter sous l'effet d'excitations sensorielles privilégiées.

Par exemple, en écoutant le crépitement des bûches dans l'âtre, Proust est brusquement envahi par le souvenir des hivers de son enfance : « l'odeur dans l'air glacé des brindilles de bois, c'était comme un morceau du passé, une banquise invisible détachée d'un hiver ancien qui s'avançait dans ma chambre, souvent striée d'ailleurs par tel parfum, telle lueur, comme par des années différentes où je me retrouvais replongé, envahi avant m ê m e que je les eusse identifiées par l'allégresse d'espoirs abandonnés depuis longtemps n.

Déjà Chateaubriand, dans les « Mémoires d'Outre-Tombe n, faisait des remarques analogues.

Le chant des grives qu'il entend en 1817 dans le parc de Montboissier est un « son magique n qui ressuscite la campagne autour du manoir paternel, et les anciennes mélancolies de René. Mais, s'il est incontestable que l'évocation de mon passé s'accompagne d'émotions, cela ne suffit pas à caractériser une mémoire affective authentique.

Pouvons-nous être jamais sûr que l'émotion éprouvée soit la même qui fut autrefois ressentie ? Proust retrouve son passé avec émerveillement, avec une joie exaltante.

Mais quand ce passé était présent Proust l'avait vécu avec indifférence et parfois dans la tristesse.

De même le chant d e la grive ne restitue pas vraiment à Chateaubriand la tristesse d e Combourg : "Quand je l'écoutais autrefois j'étais triste de même qu'aujourd'hui mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées".

Ainsi, la tristesse de Chateaubriand vieilli vient recouvrir la tristesse de l'enfance bien plus qu'elle ne la découvre.

Nous nous souvenons de nous-mêmes mais ce souvenir, coloré par notre présent, n'est pas un fidèle reflet de ce qui fut.

Comme notre vie mentale ne cesse de s'enrichir, comme les péripéties de notre histoire retentissent les unes sur les autres et se fondent en nous, loin de se juxtaposer ainsi que des objets rangés dans une armoire, il n'est pas de souvenir capable de nous restituer celui que nous fûmes : "Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir.". »

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