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On n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher

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« INTRODUCTION.

— Autrefois, l'instruction était principalement, et elle reste encore dans une grande mesure, affaire de mémoire : passe pour bon élève celui qui a appris ses leçons et les a retenues.

Cependant, enregistrer le contenu des manuels ou des exposés du maître n'est pas tout : il n'y a pas de formation ou de culture sans réflexion personnelle. Cette réflexion est particulièrement indispensable dans le domaine philosophique.

Aussi, à l'apprenti philosophe dont les dissertations témoignent seulement que l'élève a appris son cours, le professeur rappelle volontiers ce mot de KANT : « On n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher.» KANT et le professeur n'entendent évidemment pas par là qu'il n'y ait personne qui apprenne la philosophie : au contraire, c'est contre ceux qui se contentent de l'apprendre qu'est dirigée leur réflexion.

Pour donner à celle ci la signification qui s'y trouve impliquée, on pourrait, la compléter ainsi: «Quand on est vraiment philosophe, on n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher.

» Sage directive, ai-je pensé tout d'abord.

Mais, à y réfléchir, il m'a paru qu'il convenait d'y apporter quelques réserves qui, sans doute, seraient admises par KANT lui-même. I.

— DISTINCTIONS NÉCESSAIRES. A.

— II y a apprendre et apprendre. La formule kantienne semble identifier deux faits fort différents : la mémorisation et l'apprentissage proprement dit. 1.

L'enfant qui « apprend » la table de multiplication ou une fable de LA FONTAINE se livre à un travail principalement mécanique : par des exercices répétés, il établit, entre des nombres ou entre des mots, des associations qui tendent à devenir indissolubles.

Cette façon d'apprendre ne constitue pour personne un apprentissage : les psychologues la désignent par le néologisme de « mémorisation ». Lorsque KANT déclare : « On n'apprend pas la philosophie », il songe évidemment à l'élève qui « mémorise », c'est-à-dire se contente d'enregistrer dans son esprit un certain savoir. 2.

Très différent ce qu'on appelle « apprentissage », par exemple les activités de ceux dont on dit qu'ils « apprennent » un métier, un instrument de musique ou l'art de composer.

Ici encore, sans doute, le psychologue découvre un certain montage de mécanismes, une création d'habitudes, et on sait qu'habitude et mémoire s'enchevêtrent de façon inextricable.

Mais la composante mécanique ou mémorielle de cette sorte d'apprentissage reste ordinairement peu visible, dominée qu'elle est par la composante de nature opposée : l'attention réfléchie, la recherche méthodique du processus le plus rationnel...

On n'apprend à faire une dissertation qu'en mettant en oeuvre pour disserter, avec le savoir acquis, toutes ses facultés intellectuelles. Le second terme de la pensée de KANT — « On apprend à philosopher » — concerne, non pas un savoir, mais un savoir-faire d'une nature particulière.

Philosopher est une action qui s'apprend par l'exercice — philosophando fit philosophus, pourrait-on dire, — qui nécessite un apprentissage; il ne suffit pas, pour être philosophe, d'avoir appris la philosophie, de « savoir » la philosophie au sens de « savoir par coeur » (ce qui n'est pas même « savoir », nous dit PASCAL), OU d'avoir « mémorisé » un ensemble considérable de connaissances philosophiques. B.

— Il y a également philosophie et philosophie. L'usage courant de ce mot ne nous permet pas une distinction aussi facile.

Nous pouvons dire cependant que la philosophie qui se fait ne se confond pas avec la philosophie faite. Le terme de philosophie faite désigne : soit l'histoire de la philosophie et les oeuvres des philosophes du passé; soit une doctrine philosophique particulière, celle du maître ou du manuel, celle qu'imposent les pouvoirs publics, par exemple, l'éclectisme lorsque COUSIN était Grand Maître de l'Université, de nos jours le marxisme dans les démocraties populaires. Mais l'étudiant ou le professeur de philosophie ne se contentent pas,1 ou du moins ne doivent pas se contenter, d'étudier les oeuvres des autres penseurs.

Ils ne font vraiment de la philosophie que lorsqu'ils se posent eux-mêmes les problèmes auxquels donne lieu l'observation du réel et tâchent de les résoudre pour leur compte, lorsqu'ils « philosophent ».

Sans doute, ces problèmes, ils ne les résolvent pas tout seuls : ils s'aident de ce qu'ils ont appris.

Sans doute encore, ce travail de réflexion ne laissera souvent aucune trace appréciable dans l'acquis philosophique de l'humanité : la philosophie se sera faite sans eux Mais on ne peut en dire autant de leur philosophie : en resteraient-ils au modeste degré de disciples, la doctrine qu'ils élaborent constituerait une « philosophie qui se fait » et non une « philosophie faite » que l'on se contente d'apprendre, pourvu qu'elle ne soit adoptée qu'après de longues réflexions personnelles au cours desquelles tout a été remis en question. C.

— II y a enfin philosopher et philosopher. Au sens vulgaire du verbe, « philosophe » celui qui cherche la raison des choses; somme toute, nous philosophons chaque fois que nous réfléchissons.

Il ne semble pas que ce soit en ce sens que KANT prenne ce mot. Pour un philosophe, « philosopher » suppose une recherche systématique et méthodique, des spéculations s'insérant dans un cadre de pensée proprement philosophique, certaines techniques dans les exposés el dans les discussions...

Estce ce « philosopher » qui, pour l'auteur des Critiques est affaire d'apprentissage ? Nous serions porté à croire que, à ses yeux « philosopher » consiste plutôt à être vraiment philosophe, c'est-à-dire à élaborer sa propre philosophie, une doctrine personnelle.

Ces distinctions établies, passons à l'examen du texte dont nous avons à dire s'il nous satisfait.. »

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