NIETZSCHE: C'est pour l'écrivain une surprise toujours renouvelée ...

« [L'oeuvre échappe à son auteur] «C'est pour l'écrivain une surprise toujours renouvelée que son livre continue à vivre de sa vie propre dès qu'il s'est détaché de lui il a l'impression qu'aurait un insecte dont une partie se serait séparée pour aller désormais son chemin à elle.

Il se peut qu'il l'oublie presque complètement, qu'il s'élève au-dessus des idées qu'il y a mises, qu'il ne le comprenne même plus et qu'il ait perdu ces ailes dont le vol l'emportait du temps qu'il méditait ce livre : celui-ci cherche cependant ses lecteurs, allume la vie, inspire la joie, l'effroi, engendre de nouvelles oeuvres, devient l'âme de quelques desseins, de certains actes — bref, il vit comme un être doué d'une âme et d'esprit et n'est pourtant pas une personne.» Nietzsche Questions 1.

Dégagez l'idée essentielle du texte. 2.

Comment s'explique la surprise toujours renouvelée de l'écrivain ? Comment comprenez vous : «Il se peut qu'il l'oublie presque complètement, qu'il s'élève au-dessus des idées qu'il y a mises, qu'il ne le comprenne même plus»? 3.

L'oeuvre d'art échappe-t-elle à l'artiste après sa création ? Question 1 Dégagez l'idée essentielle du texte. L'oeuvre littéraire, douée d'une vie propre, échappe à l'écrivain après sa création. Question 2 Comment s'explique la surprise toujours renouvelée de l'écrivain ? Sa surprise vient de ce que son oeuvre, qui, précisément parce qu'elle est sienne, lui semblait comme attachée à sa personne, puisse se détacher de lui et lui devenir pour ainsi dire étrangère. Cette surprise est «toujours renouvelée» soit parce que ce phénomène se reproduit pour chaque nouvelle oeuvre, soit parce que, pour une même oeuvre, ce détachement prend des formes toujours nouvelles en ce sens que des interprétations toujours nouvelles sont sans cesse faites de l'oeuvre. Comment comprenez-vous : «bise peut qu'il l'oublie presque complètement, qu'il s'élève au-dessus des idées qu'il y a mises, qu'il ne le comprenne même plus» ? L'écrivain peut évoluer: son oeuvre constitue alors un moment de sa pensée.

Les idées exprimées dans un ouvrages deviennent ainsi plus ou moins étrangères à leur auteur, soit parce qu'ils les a affinées ou modifiées, soit même parce qu'ils les a rejetées ; l'évolution d'une pensée, nous dit Nietzsche, peut même être telle que l'auteur non seulement ne partage plus les idées qu'il a autrefois soutenues, mais même qu'ils ne les comprenne plus : il peut en effet soit ne plus comprendre pourquoi il a avancé telle ou telle idée qui lui paraît maintenant fausse, soit ne plus comprendre ce qu'il a voulu dire. Question 3 L'oeuvre d'art échappe-t-elle à l'artiste après sa création ? Dans la mesure où une oeuvre d'art est signifiante, qu'elle a un ou des sens, elle implique chez celui qui la contemple (le spectateur, le lecteur) un déchiffrement de son sens, donc une herméneutique, une interprétation.

Une oeuvre d'art est en conséquence toujours et nécessairement (ré)interprétée, dans des sens parfois totalement contradictoires et jusqu'à prêter aux pires contresens sur les intentions premières de l'artiste.

Or, il est bien évident que l'auteur de l'oeuvre ne peut empêcher ni contrôler ces interprétations du public.

Il ne peut pas, par conséquent, maîtriser la «vie» de son oeuvre : celle-ci lui échappe bel et bien. D'ailleurs, il n'est pas sûr que l'artiste lui-même sache exactement ce que signifie son oeuvre, ce qui est exprimé à travers elle.

La grandeur et le mystère de l'oeuvre d'art est peut-être précisément de dépasser l'intention de l'artiste pour atteindre à quelque chose qui lui est supérieur : par exemple, selon Hegel, l'Universel, ou encore, selon Bergson, l'expression de «la réalité même», «nue et sans voile» ; on peut ainsi avancer que dans une certaine mesure l'artiste ne sait pas exactement ce qu'il fait lorsqu'il crée.. »