Aide en Philo

Nietzsche

Extrait du document

Rien n'y fait : il faut impitoyablement traîner au tribunal et mettre sur la sellette les sentiments d'abnégation et de sacrifice en faveur du prochain, la morale tout entière du renoncement, de même que l'esthétique de la « contemplation désintéressée », par le truchement de laquelle l'art émasculé d'aujourd'hui cherche, non sans astuce, à se donner une bonne conscience. Il entre beaucoup trop de charme et de douceur dans ces sentiments qui ont en vue « le bien des autres et non mon bien » pour qu'on n'ait pas à redoubler de méfiance sur ce point. « Ces sentiments, peut-on se demander, ne visent-ils pas à séduire ? » Le fait qu'ils plaisent - à celui qui les nourrit et à celui qui en profite, aussi bien qu'au simple spectateur - ne constitue pas un argument en leur faveur ; c'est précisément ce qui invite à la prudence. Soyons donc prudents ! Nietzsche

« Rien n'y fait : il faut impitoyablement traîner au tribunal et mettre sur la sellette les sentiments d'abnégation et de sacrifice en faveur du prochain, la morale tout entière du renoncement, de même que l'esthétique de la « contemplation désintéressée », par le truchement de laquelle l'art émasculé d'aujourd'hui cherche, non sans astuce, à se donner une bonne conscience.

Il entre beaucoup trop de charme et de douceur dans ces sentiments qui ont en vue « le bien des autres et non mon bien » pour qu'on n'ait pas à redoubler de méfiance sur ce point.

« Ces sentiments, peut-on se demander, ne visent-ils pas à séduire ? » Le fait qu'ils plaisent - à celui qui les nourrit et à celui qui en profite, aussi bien qu'au simple spectateur - ne constitue pas un argument en leur faveur ; c'est précisément ce qui invite à la prudence.

Soyons donc prudents ! La question « Faut-il valoriser l'esprit de sacrifice ? ».

Dans la mesure où il semble être l'exact opposé de l'égoïsme, l'esprit de sacrifice peut constituer un pilier de la moralité.

Le christianisme en fait la vertu suprême, puisque tout chrétien doit vouloir imiter Jésus-Christ, qui a accepté librement, selon le dogme, de donner sa vie pour l'humanité.

Or, Nietzsche a entrepris de remettre en question ces valeurs, selon lui opposées à la vie.

Sa démarche consiste à rechercher, sous les jugements moraux, les motivations cachées et amorales qui les fondent.

Ici, sous l'apparence du désintéressement tout dévoué à l'amour du prochain, Nietzsche découvre un sentiment qui lui est opposé, celui de séduire, et de s'offrir ainsi une jouissance d'amour-propre supérieure à tout ce que les sacrifices ont obligé à céder.

Comme presque toujours avec cet auteur, le style nettement polémique invite à la remise en question et à la discussion devant ce que l'on aurait peut-être tendance à admirer sans esprit critique. Pour comprendre le texte Tout commandement moral peut facilement sembler intouchable.

La remise en question n'est-elle pas déjà un début de désobéissance ? Et relativiser la morale, n'est-ce pas déjà s'en affranchir ? Peut-être oui, peut-être non, mais en tous cas « rien n'y fait », dit Nietzsche.

Les droits de l'esprit critique sont ici revendiqués contre les dangers du respect peureux ou de l'admiration inconditionnelle.

Tel est le sens de la métaphore du tribunal. Cette métaphore, déjà rendue célèbre par Kant dans la Critique de la Raison pure, demande que l'on ait le courage d'exercer au mieux son jugement, en toute objectivité, comme il se doit lors d'un procès.

Commençons donc par évacuer toute idée préconçue, et voyons en quoi consiste véritablement cet ensemble de jugements moraux désignés ainsi par Nietzsche : « sentiments d'abnégation et de sacrifice en faveur du prochain », « morale du renoncement ». A première vue, nous trouverons dans ces sentiments ce dont l'humanité a le plus lieu d'être fière.

Tout d'abord, rien ne paraît plus difficile que de savoir faire abstraction de soi-même.

C'est pourquoi cette morale a fréquemment une connotation héroïque.

On songera à l'idéal chevaleresque, qui commande d'être prêt à donner sa vie pour le secours des faibles.

Et même la simple générosité, qui ne va pas sans un certain sacrifice, suppose un effort sur soi-même que l'on jugera fréquemment admirable. De plus, ces sentiments sont portés par l'amour du prochain, qui est tout au moins leur motivation avouée, ce qui veut dire qu'ils portent en eux l'espoir d'une humanité réconciliée dans une grande fraternité.

Cette fois, c'est plus directement au christianisme que l'on songe, et il paraît manifeste que c'est bien cela que Nietzsche a en vue.

« Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime » : ce condensé de la morale évangélique établit nettement une corrélation entre le bien moral et l'amour du prochain d'une part, entre l'amour du prochain et le sacrifice d'autre part.

Face à de tels avocats, que peut dire l'accusateur au tribunal de la raison ? Avant de préciser cette accusation, Nietzsche commence par joindre un accusé supplémentaire au procès, celui-ci moins intouchable : l'idéal esthétique de la « contemplation désintéressée ».

Il est difficile de déterminer avec précision à quoi Nietzsche fait allusion.

Toutefois, ce rapprochement est doublement significatif. Tout d'abord, si une certaine esthétique est solidaire d'une certaine morale, cela insinue que celle-ci n'est pas seulement déterminée par une raison soucieuse du bien, mais qu'elle est aussi affaire de sensibilité.

De même que nous pouvons être touchés esthétiquement par certaines oeuvres produites à cette fin, ce qui témoigne parfois d'un manque de goût, de même nous aimons ressentir l'émotion provoquée par un « beau geste », ou pleurer devant le sacrifice de l'innocent.

Qu'on songe à certaines pratiques de dévotion, qui appellent à exalter son imagination afin de s'émouvoir davantage des souffrances du Christ, de la Vierge ou des martyrs.

Or, au regard de la raison critique appelée ici à juger sainement, toute émotion est suspecte, surtout lorsqu'elle est provoquée. De plus, l'esthétique rejetée par Nietzsche relève selon lui d'un art « émasculé ».

On a le droit de trouver cette métaphore grossière et facile, elle a cependant le mérite de révéler au nom de quelles valeurs Nietzsche entreprend-il d'éradiquer les relents de christianisme qui peuvent imprégner les consciences.

L'art véritable ne. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles