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Nietzsche

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L'homme dit: "je me souviens", et il envie l'animal qui oublie aussitôt et qui voit vraiment mourir l'instant dès qu'il retombe dans la brume et la nuit... de se nier et de se consumer, de se contredire elle-même. Nietzsche

« « L'homme dit: "je me souviens", et il envie l'animal qui oublie aussitôt et qui voit vraiment mourir l'instant dès qu'il retombe dans la brume et la nuit...

de se nier et de se consumer, de se contredire elle-même.

» NIETZSCHE. L'homme, constate Nietzsche.

dit «Je me souviens » tandis que l'animal « oublie aussitôt».

Une telle affirmation peut surprendre.

Un chien ne reconnaît-il pas son maître, même après une longue séparation ? Plus ordinairement et plus simplement.

les animaux ne reconnaissent-ils pas leur environnement: l'oiseau son nid, la vache son étable ? Il faut donc bien accorder à l'animal une mémoire, sans laquelle, oubliant tout, il ne pourrait avoir un comportement cohérent dans un monde qui lui serait toujours complètement étranger parce que toujours nouveau.

Et cette mémoire peut, chez certains mammifères comme le chien, être très développée.

Tant s'en faut donc que l'animal «oublie aussitôt».

Or cela, Nietzsche ne saurait l'ignorer.

Comment donc comprendre son propos? En distinguant, selon nous, deux sortes de mémoires: une mémoire élémentaire et spontanée, qui enregistre nos perceptions de manière automatique et inconsciente et sans laquelle aucune vie ne serait possible, et la mémoire vraie, qui non seulement enregistre les événements mais surtout les dates, c'est-à-dire les saisit comme des événements passés.

Lorsque le chien reconnaît son maître après plusieurs années de séparation, il le reconnaît au présent, dans le temps même qu'il le voit.

Il faut qu'il perçoive son maître pour le reconnaître, et il n'a jamais pensé à lui lorsque ce dernier n'était pas là.

Perception et reconnaissance sont une seule et même chose et, en reconnaissant, l'animal ne se souvient de rien.

En d'autres termes, l'animal ne peut revivre le passé en tant que passé.

C'est pourquoi il « voit vraiment mourir l'instant dès qu'il retombe dans la brume et la nuit du passé, cet instant s'éteignant pour lui « à jamais ».

L'animal, tout en ayant une certaine mémoire, n'a donc pas de passé.

et par conséquent pas d'histoire.

L'homme, en revanche, a bien un passé, une histoire, et ce passé, nous dit Nietzsche, lui est un poids. Quand nous concevons le passé comme une charge, nous pensons immédiatement à un passé de malheurs et de souffrances dont le souvenir nous poursuit, ou d'actions condamnables dont le remords nous hante.

Notre passé pèse alors sur nous et nous empêche de goûter tout bonheur dans le présent.

Macbeth ne pourra jamais jouir véritablement de sa royauté car il ne pourra jamais oublier l'assassinat qu'il a fomenté.

Œdipe ne pourra jamais oublier un crime dont il n'est pas responsable et qui pourtant le poursuivra partout dans sa nuit.

Mais le passé ne pèse-t-il pas sur l'homme que s'il est négatif ? Un passé de bonheur, un passé dont nous pouvons être fiers, n'est-il pas également pour nous un fardeau ? Il suscite en effet en nous du regret, c'est-à-dire nécessairement une certaine peine, mais surtout il peut aller jusqu'à figer notre vie, interdisant toute nouvelle réalisation de soi en se posant comme réalité idéale et insurpassable, nous détournant ainsi du présent comme de l'avenir.

Le soldat qui s'est illustré à la guerre et qui ressasse sans cesse : « Autrefois, j'étais un soldat valeureux » se saisit du même coup comme n'étant plus rien, si ce n'est l'ombre de ce qu'il fut et qu'il ne pourra plus être.

Comme Don Diègue, il peut s'écrier: «O cruel souvenir de ma gloire passée ! ».

Ainsi c'est bien tout passé qui «écrase ou dévie» l'homme, qui « alourdit sa démarche comme un invisible fardeau de ténèbres ». De manière générale, le passé écrase ou dévie l'homme, car, selon Nietzsche, la mémoire empêche l'action : sans l'oubli, il nous serait impossible de pleinement vouloir et agir, d'exercer réellement notre volonté de puissance.

La faculté d'oublier apparaît ainsi comme une «faculté positive », «une faculté d'inhibition» dont la fonction consisterait à protéger la conscience contre l'envahissement des souvenirs.

Car dès lors que la conscience est infestée par ces souvenirs, nous n'agissons plus libre-ment, mais nous re-agissons en réagissant à ces derniers.

Nous ne pouvons plus nous donner totalement à l'action présente, mais nous revivons notre passé.

Nous le re-sentons et devenons ainsi des hommes du ressentiment.

En effet, pris dans le filet de notre mémoire, nous incriminons les objets de ces souvenirs dont nous ne parvenons pas à nous débarrasser, dont nous ne finissons pas de subir les effets.

Nous prenons ces objets en haine et voulons nous en venger.

C'est la raison pour laquelle le souvenir, nous dit Nietzsche dans Ecce Homo, est «une plaie purulente» tandis que « divin est l'art d'oublier ». La mémoire décourage également l'action dans la mesure où le passé nous apparaît comme un irréversible et irrémédiable contre quoi vient se briser notre volonté de puissance, laquelle ne peut s'affirmer que dans un présent qui est ouverture sur l'avenir, c'est-à-dire un champ de possibles.

En effet, observe Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, «le vouloir ne peut rien sur ce qui est derrière lui.

Ne pouvoir détruire le temps ni l'avidité dévorante du temps, telle est la détresse du vouloir».

Cette conscience du temps trouve elle-même sa source dans la mémoire.

Sans mémoire nous ne pourrions saisir la succession des choses, nous n'opposerions pas «l'ayant été» du passé à «l'étant» du présent et n'imaginerions pas le «devant être» du futur.

Mais en prenant conscience du temps, nous prenons conscience de sa fugitivité, de l'évanescence et du caractère éphémère de toutes choses, notamment de notre propre vie.

Vivre avec la conscience du passé, c'est donc. »

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