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Ne sait-on bien ce que l'on voulait dire que lorsqu'on l'a dit ?

Extrait du document

« La formule proposée exprime un fait, aisé à constater : en ce sens pas de discussion; il s'agit d'en chercher les interprétations possibles, en ce qui concerne les rapports de la pensée et de l'expression, et la nature de ces rapports.

La préparation du problème et de la discussion se fera donc par la description des faits que traduit la formule; ensuite le plan apparaîtra et s'imposera avec l'analyse même des questions progressivement soulevées.

(Nous allons montrer le sens des problèmes et de la discussion en y joignant quelques documents, c'est-à-dire donner le matériel nécessaire au sujet, plutôt qu'un plan proprement dit). (Faits; préparation du sujet).

— L'effort pour trouver une idée s'accompagne normalement de l'effort pour nous l'exprimer à nous-même : c'est aussi un fait aisé à constater que nos pensées restent indécises et instables, si nous ne les vérifions en quelque sorte, en y introduisant le langage, et un langage suffisant : une formule incomplète, que nous notons rapidement dans la crainte d'oublier l'idée, « ne garde pas longtemps le dépôt qui lui est confié ».

(V.

Egger).

Il en est d'ailleurs de l'organisation des idées, de la composition d'une oeuvre, comme du détail de la pensée : l'ordre n'en est vraiment vu que s'il s'est fixé dans un langage.

Ce sont ces faits que traduit la réflexion de Joubert : « On ne sait bien ce qu'on voulait dire que lorsqu'on l'a dit ». (Position du problème).

— En quel sens entendre cette réflexion ? Se plaçant au point de vue du travail de l'écrivain, Joubert remarque ailleurs que « nous bégayons longuement nos pensées avant de trouver le mot propre.

» 'Mais cela traduit simplement le fait de la recherche de l'expression, et la description est exacte.

Seulement on demandera si le bégaiement de la pensée n'est que la gêne, pour une pensée déjà fixée, de n'avoir pas encore le mot qui s'y adapte, ou si, à l'inverse, il est le fait d'une pensée incomplète ou hésitante qui a besoin du mot pour se réaliser.

Il semble qu'en posant la compréhension comme succédant à l'énoncé verbal, la réflexion proposée tend plutôt à montrer que l'expression nous aide à mieux comprendre, et « le mot, ajoute Joubert, est ce qui achève l'idée et lui donne l'existence.

» Le langage jouerait ainsi un rôle actif; il serait même un constituant de la pensée.

Tout se passe au moins comme si les idées étaient en nous seulement à l'état latent; les mots auraient la vertu de les porter à l'acte.

Trouver une pensée, c'est trouver le mot.

« On pense parce qu'on parle », suivant la formule de Bonald.

—A cette thèse, on va opposer l'idée souvent énoncée que la pensée n'a jamais dans le langage son expression adéquate ni même suffisante.

« Nous avons plus d'idées que de mots ».

(Diderot).

« La conscience est plus riche que la parole ».

(Egger); et en allant à l'extrême expression de ce fait on rappellerait la thèse de Bergson qui voit dans le langage comme un masque impersonnel, si bien que seules sont exactement exprimables les pensées qui nous appartiennent le moins.

Le bégaiement de la pensée serait bien alors, dans une conscience qui se saisit réellement, l'effort pénible ou même inutile pour se traduire par les mots. (Discussion).

— On va donc, contre l'interprétation suggérée par Joubert, et qui le rapprocherait de Bonald, insister sur cette expression d'« insuffisance des mots à rendre précisément ce qu'on sent ».

(Diderot); insister aussi sur le fait que souvent nous résistons à telle expression, qui se présente bien et se représente, inlassablement : comme si la pensée ne voulait pas se laisser déformer; noter encore qu'une pensée peut se saisir, ou suivre en elle-même son développement, alors que l'expression qui lui suffit dans son intimité ne saurait parvenir à l'exposer pour d'autres, sans un nouvel effort d'adaptation; et cela posé, on comprendra dans le même sens cet autre fait que la difficulté d'expression croît avec la nouveauté des idées.

Le langage ne fait donc pas la pensée; il est impossible de dire que le mot crée l'idée ou lui donne l'existence.

— Mais il reste que la pensée bien exprimée est mieux comprise de celui qui l'a trouvée : il est donc impossible de nier l'efficacité du mot à la porter en pleine clarté, et, disons-le tout de suite, on ne saurait soutenir, comme y tend la thèse bergsonienne, que cette clarté vient uniquement de ce que le langage laisse tomber toute les nuances fines ou délicates de la conscience personnelle : les analyses mêmes de Bergson le démontreraient, comme, en d'autres genres, la richesse nouvelle de langage apportée par l'effort d'expression d'un Eugène Fromentin ou d'un Proust et de tant d'autres.

— Il faut donc expliquer le fait, tout en niant le pouvoir créateur du langage. (Essai d'une solution).

— D'où vient l'efficacité du mot, ou plutôt en quoi consiste-t-elle ? On se servira avec profit de l'idée de V.

Egger, que le langage, médiateur entre mon passé et le présent, apporte à mes pensées actuelles le secours des pensées d'autrefois; on utilisera l'idée concordante sur laquelle Henri Delacroix construit tout sa théorie du langage : réciprocité d'action et évolution parallèle de la pensée et de l'expression.

La solution serait donc dans le sens suivant : tout travail mental met en jeu des images variées, des idées antérieurement pensées, tout un matériel plus ou moins familier, que nous n'analysons pas, qui agit en grande partie comme par allusions, dont les virtualités nous suffisent, et qui même a souvent l'aspect de ces pensées « auxquelles notre esprit prend peu de part ».

(Joubert); pour exprimer tout cet ensemble, qui fait la signification réelle de la pensée présente, il faut organiser des termes usuels en une combinaison ou un ordre nouveau.

On est parti d'une expression provisoire qui, sur le moment et pour la pensée intime, suffisait à la suggestion; mais la formule définitive — si elle est bien faite — associera l'idée nouvelle aux idées familières, plus fortement fixées, et, pour la trouver, il a fallu confronter le présent et le passé, chercher les rapports aux idées classées, ou habituelles, et qui ont déjà leur langage.

C'est cette analyse nécessaire à l'expression, qui met en valeur la pensée, pour elle-même comme pour autrui.

— Et à son tour, ce travail servira à en réaliser d'autres. Conclure ainsi que, si l'on aperçoit mieux sa pensée pour l'avoir exprimée, c'est grâce au travail d'un esprit actif, utilisant des mécanismes antérieurs pour mieux analyser, et fixer les rapports constitutifs des idées et des jugements.

Mais le travail n'aboutit que s'il est de bonne qualité.

Le dernier mot sera, en définitive, avec V.

Egger : « On ne sait bien ce qu'on voulait dire que quand on l'a dit; mais à une condition : c'est qu'on l'ait bien dit.

». »

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