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Mon impuissance par rapport au temps ?

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« Tandis que l'espace est réversible (je peux aller de Cherbourg à Paris et de Paris à Cherbourg), le temps est irréversible, ne peut être parcouru que dans une direction.

Ici je ne peux pas revenir en arrière, je ne peux pas revivre l'année précédente ; je ne cesse au contraire de m'en éloigner, le souvenir même que j'en ai évolue et se transfigure.

Le temps emporte tout sans retour, il m'empêche de fixer quoi que ce soit.

Héraclite, sensible au changements perpétuel de l'univers (« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve »), a senti l'indifférence destructrice du temps, cet « enfant qui s'amuse à jouer aux dames ». On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. HÉRACLITE Héraclite défend une conception du monde selon laquelle le monde est en éternel devenir, en éternel changement et; pour nous le faire comprendre, prend l'image du fleuve toujours changeant. Et ce, avec la conséquence suivante : « C'est justement cette grâce de la deuxième fois qui nous est refusée...

chaque fois est à la fois première et dernière, et pour cette raison nous la disons primultime ».

Telle est pour Jankélévitch la « primultimité » du temps, conséquence de son irréversibilité. Proust a été affecté plus que tout autre par l'irréversibilité tragique du temps contre laquelle notre coeur se révolte vainement. Assistant, à la fin de sa fin, après des années de solitude, à une soirée mondaine, il retrouve des gens connus autrefois si profondément transformés qu'il a l'impression d'assister à un bal masqué.

Cette blonde valseuse s'est déguisée en une pesante douairière, ce fringant lieutenant s'est donné les galons, l'embonpoint et les cheveux blanc d'un colonel : « Mais ces êtres qu'ils se sont faites de puis longtemps sans le vouloir ne se laissent pas défaire par un débarbouillage, une fois la fête finie.

» (« Le temps retrouvé »). Malgré tout notre désir, nous ne pouvons conjurer l'irréversibilité du temps.

Proust pensait que la magie du souvenir pouvait nous restituer avec toute leur nuance émotive certains instants privilégiés.

C'est la théorie de la mémoire affective.

En réalité, nous ne retrouvons jamais tout à fait par la mémoire le passé tel que nous l'avions vécu.

Car notre évocation est fonction de ce que nous sommes devenus et nos souvenirs évoluent avec nous-mêmes.

Un autre témoignage du refus par le coeur humain de l'irréversibilité temporelle nous est donné par le mythe de l'éternel retour : les stoïciens croyaient qu'au terme d'un cycle de plusieurs milliers d'années, à la suite d'une conflagration universelle, tout le cours du temps recommençait avec les mêmes péripéties.

Nietzsche pensait aussi que l'histoire universelle, avec les mille détails de chaque événement, se répétaient indéfiniment. « Cette vie telle que tu la vis naturellement telle que tu l'as vécue il faudra que tu la revives encore une fois et une quantité innombrable de fois et il n'y aura en elle rien de nouveau au contraire ! Il faut que chaque douleur et chaque joie chaque pensée et chaque soupir tout l'infiniment grand et l'infiniment petit de la vie reviennent pour toi et tout cela dans la même suite et le même ordre et aussi cette araignée et ce clair de lune entre les arbres et aussi cet instant et moi-même.

L'éternel sablier de l'existence sera retourné toujours à nouveau et toi avec lui poussière des poussières ». « Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : « Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois ; et il n'y aura rien de nouveau en elle si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans ta vie devront revenir pour toi et le tout dans le même ordre et la même succession – cette araignéelà également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même.

L'éternel sablier de l'existence ne cesse d'être renversé à nouveau –et toi avec lui ô grain de poussière de la poussière ! » - Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : « Tu es un Dieu et jamais je n'entendis choses plus divines ! » Si cette pensée exerçait sur toi son empire, elle te transformerait, faisant de toi, tel que tu es, un autre, te broyant peut-être : la question posée à propos de tout et de chaque chose : « Voudrais-tu ceci encore une fois et d'innombrables fois ? » pèserait comme le poids le plus lourd sur ton agir ! Ou bien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même, et la vie pour ne désirer plus rien que cette dernière, éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ? » Nietzsche. Pendant l'été 1881 NIETZSCHE séjourne en Haute-Engadine dans le petit village de Sils-Maria.

C'est là qu'au cours d'une promenade sur les bords du lac de Silvaplana, au lieu-dit Surlei, près d'une saillie rocheuse (sur laquelle est aujourd'hui fixée une plaque qui rappelle l'événement) il a pour la première fois l'intuition du Retour Eternel.

Les éléments du monde étant en nombre fini, les combinaisons possibles finies également, chacun de nos instants est donc appelé à revenir.

Nous repasserons indéfiniment par les mêmes phases, nous revivrons plus tard et encore plus tard éternellement cette vie que nous vivons à présent. Révélation brutale, inopinée qui dit-on parfois transforme alors radicalement la philosophie de NIETZSCHE, préludant à son ultime phase. En réalité ceux qui ont lu attentivement toute l'oeuvre de NIETZSCHE savent que ce thème de l'éternel retour a toujours hanté la pensée de l'auteur.

Auriez-vous le courage de revivre toute votre vie avec ses joies et ses chagrins telle que vs l'avez vécue ? « ...

Que dirais-tu si un jour...

jusque dans ta solitude...

» NIETZSCHE n'est pas un philosophe comme les autres.

C'est un philosophe poète, un prophète.

L'éternel retour est ici présenté comme la révélation d'un démon, dans un climat d'étrangeté et de mystère.

Les détails les plus ordinaires de notre vie, destinés à être revécues intégralement se chargent de mystère.

Tout reviendra...

« cette araignée-là également et ce clair de lune entre les arbres et cet instant-ci et moi-même ».

Lou Salomé dans l'ouvrage qu'elle a consacré à Nietzsche raconte que son ami ne parlait de l'éternel retour qu'à voix basse, en tremblant de tous ses membres... « ...

Cette vie tu devras la revivre...

d'être renversé à nouveau.

» Le temps tel que se le représente la science historique (et aussi le christianisme qui a une perspective historique : la création, le pêché, la Rédemption) est irréversible.

Chaque instant est vécu, puis englouti à jamais.

Le temps ainsi représenté est comme une ligne parcourue par un mobile qui ne revient jamais en arrière.

NIETZSCHE récuse cette image moderne de la temporalité et retrouve l'image que les philosophes antiques se faisaient du temps.

Le temps était pour eux plutôt comme un rythme, comme un parcours circulaire qui sans cesse repasserait par les mêmes endroits ; non pas un point mobile sur une ligne, mais un point décrivant toujours le même cercle dans une course infinie, « toujours recommencée » comme dit Valéry.

Le temps, disait Platon, c'est « l'image mobile de l'éternité immobile ». Les stoïciens avaient expressément formulé ce thème : pour eux, au terme d'un cycle de plusieurs millions d'années, à la suite d'une conflagration universelle, tout le cours du temps recommençait avec les mêmes péripéties... « Ne te jetterais-tu pas...

le démon ? ». »

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