Aide en Philo

LE TEMPS, dit Lagneau, EST LA FORME DE MON IMPUISSANCE, L'ÉTENDUE, LA FORME DE MA PUISSANCE ». Qu'en pensez-vous ?

Extrait du document

« L'espace et le temps, disait Unamuno, sont « nos plus cruels tyrans ».

Ils figurent concrètement cet Infini qui m'enveloppe et que je ne puis comprendre, puisque je peux toujours imaginer un « après » et un u plus loin ». Surtout l'espace et le temps me signifient nia propre finitude et la contingence de ma situation.

Pourquoi êtes-vous né à cette date et pourquoi en tel lieu ? C'est ainsi, vous n'y pouvez rien.

Vous êtes tributaire du hic et du nunc.

de l'ici et du maintenant.

Vous n'avez pas le don d'ubiquité, vous ne pouvez pas vivre à la fois en France et en Chine par exemple et vous ne pouvez pas échapper aux conditions de votre incarnation temporelle : impossible pour vous de vivre au Moyen Age ou d'aller faire un tour en l'an 3000. Cependant notre situation n'est pas tout à fait la même à l'égard de l'espace et à l'égard du temps.

Il peut sembler que si notre servitude à l'égard du temps est complète, nous avons dans le domaine de l'espace quelque liberté. Lagneau assure même que si « le temps est la forme de mon impuissance », l'étendue, c'est-à-dire l'espace, « est la forme de nia puissance ».

En quel sens l'entendre et qu'en penser ? Tandis que l'espace est réversible (je peux le parcourir dans des directions opposées et retourner à mon point de départ, par exemple aller de Paris à Lyon et revenir de Lyon à Paris), le temps est irréversible, ne peut être parcouru que dans une direction.

Ici je ne peux pas revenir en arrière, je ne peux pas revivre l'année précédente.

Tous les poètes ont exploité le thème tragique du temps qui fuit sans remède Trois mille six cents fois par heure, la seconde Chuchote : souviens-toi ! Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit : « je suis Autrefois ». Le temps mesure mon impuissance car il emporte tout sans retour, il m'empêche de fixer quoi que ce soit.

« On ne se baigne jamais deux fois dans les eaux du même fleuve », disait le vieil Héraclite. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

HÉRACLITE Héraclite défend une conception du monde selon laquelle le monde est en éternel devenir, en éternel changement et; pour nous le faire comprendre, prend l'image du fleuve toujours changeant. La mémoire même n'est qu'une médiocre revanche sur la fuite des jours car l'évocation du passé est toujours fonction de ce que nous sommes devenus et nos souvenirs évoluent avec nous-mêmes et sans cesse se transfigurent. Mon impuissance tragique à l'égard de l'irréversibilité temporelle se révèle à la fois dans les expériences qui me mettent en face du passé et dans celles qui m'orientent vers l'avenir.

La torture du remords exprime mon impuissance à l'égard du passé : j'ai fait un choix naguère, librement me semble-t-il : j'aurais eu la possibilité d'agir autrement.

Mais aujourd'hui je n'y puis rien, ce qui est fait est fait : l'acte est accompli sans retour possible, la cruelle magie du temps a métamorphosé ma liberté en fatalité. A la torture du remords répond, devant l'avenir, la torture de l'attente.

Dans le temps, tous voyagent à même allure et je ne puis accélérer le cours des heures qui me séparent du rendez-vous de demain.

Le pourrais-je, d'ailleurs, je le regretterais peut-être car j'abrégerais ma vie.

« Comment, écrit M.

Jankélévitch, des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ? » En définitive, l'avenir m'angoisse parce qu'il contient ma mort.

Dès qu'un homme est né, note Heidegger, « il est assez vieux pour mourir » et le risque de la mort se profile à l'horizon de tous mes possibles.

C'est ce qu'exprimait déjà en de très beaux vers la comtesse de Noailles : On ne possède bien que ce qu'on peut attendre Je suis morte déjà puisque je dois mourir. Impuissant dans le temps je puis au contraire agir sur l'espace.

Alors que je n'ai pas de prise sur le temps qui se confond avec mon existence même, j'ai prise sur l'espace, sur l'extériorité.

Dans le langage de M.

Gabriel Marcel, je «suis » le temps et « j'ai» l'espace.

Tandis que le temps est mystère existentiel l'espace est problème objectif.

L'espace est le lieu privilégié des problèmes et des techniques, car l'espace est ce qui est devant moi : je peux regarder l'espace, je peux le diviser, faire des mesures dans l'espace (mesurer est précisément reporter un segment d'une longueur déterminée sur des segments de longueur indéterminée).

L'idée d'impérialisme est liée à la possession d'un « espace vital » toujours plus grand.

De même le conquérant vaincu est châtié par la diminution de son « espace ».

L'échec napoléonien est consacré par l'exil dans l'île minuscule de Sainte-Hélène.

Il est remarquable d'autre part que la science ne parvient à exprimer l'univers et à le conquérir qu'en transposant dans l'espace les données sensibles diverses. La sensation musculaire de poids, subjective et imprécise, est remplacée par l'appréciation visuelle de la position de l'aiguille de la balance.

La sensation de température est remplacée par la perception spatiale de la dilatation d'une colonne d'alcool ou de mercure.

De même, la science de l'électricité n'est possible que grâce aux techniques qui emploient l'électricité à produire des effets visibles et mesurables dans l'espace (déplacement de l'aiguille du galvanomètre, produits de l'électrolyse mesurés au moyen de la balance).

Et il faut ajouter que le temps lui-même. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles