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MARC AURÈLE (121-180)

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Ce n'est pas de transpirer comme les plantes qui a du prix, ni de respirer comme les bestiaux et les bêtes sauvages, ni d'être impressionné par l'imagination, ni d'être manoeuvré comme une marionnette par les inclinations, ni de se rassembler en troupeau ni de se nourrir, car c'est même chose que de rejeter les résidus de la nourriture. Alors, qu'est-ce qui a du prix? Soulever des claquements de mains? Non point. Ce n'est pas non plus soulever des claquements de langues, car les acclamations de la foule sont bien des claquements de langues. Tu as donc renoncé aussi à la gloriole. Que reste-t-il qui ait du prix? Pour moi, c'est de se mouvoir et de s'arrêter selon sa constitution propre, ce à quoi mènent aussi les études et les arts. Car tout art se propose que ce que l'on constitue soit bien approprié à l'oeuvre en vue de laquelle on l'a constitué. Le vigneron qui cultive la vigne, le dompteur de chevaux et le dresseur de chiens cherchent ce résultat. Et les méthodes d'éducation comme celles d'enseignement à quoi s'efforcent-elles ? Voilà donc ce qui a du prix. Et si tu réussis à le posséder, tu ne te réserveras pour rien d'autre. Ne cesseras- tu pas d'attacher encore du prix à bien d'autres choses? Tu ne seras donc jamais libre, jamais capable de te suffire, jamais sans passion. Car il est fatal que tu en viennes à envier, à jalouser, à regarder avec défiance ceux qui ont pouvoir de te les ravir, ou à tendre des pièges à ceux qui possèdent ce qui a du prix pour toi. Bref, il est fatal que celui qui en est privé soit troublé et qu'en outre il fasse maints reproches aux dieux. Mais le respect et l'estime pour ta propre pensée feront de toi un homme satisfait de soi-même, en harmonie avec la communauté humaine et en accord avec les dieux, c'est-à-dire approuvant entièrement les parts et les postes qu'ils ont distribués. MARC AURÈLE (121-180)

« C e n'est pas de transpirer comme les plantes qui a du prix, ni de respirer comme les bestiaux et l e s bêtes sauvages, ni d'être impress ionné par l'imagination, ni d'être manoeuvré comme une marionnette par les inclinations, ni de se rassembler en troupeau ni de se nourrir, car c'est même chose que de rejeter les résidus de la nourriture.

A lors, qu'est-c e qui a du prix? Soulever des claquements de mains? Non point.

C e n'est pas non plus soulever des claquements de langues, car les acclamations de la foule sont bien des c laquements de langues.

Tu as donc renoncé aussi à la gloriole.

Q ue reste-til qui ait du prix? Pour moi, c 'est de se mouvoir et de s'arrêter selon sa cons titution propre, ce à quoi mènent aussi les études et les arts.

C ar tout art se propose que ce que l'on constitue soit bien approprié à l'oeuvre en vue de laquelle on l'a constitué.

Le vigneron qui cultive la vigne, le dompteur de chevaux et le dresseur de chiens cherchent ce résultat.

Et les méthodes d'éducation comme celles d'enseignement à quoi s 'efforcent-elles ? V oilà donc ce qui a du prix.

Et si tu réussis à le posséder, tu ne te rés erveras pour rien d'autre. Ne cesseras-tu pas d'attacher encore du prix à bien d'autres choses? T u ne seras donc jamais libre, jamais capable de te suffire, jamais sans pas sion.

C ar il est fatal que tu en viennes à envier, à jalous er, à regarder avec défiance c eux qui ont pouvoir de te les ravir, ou à tendre des pièges à ceux qui possèdent ce qui a du prix pour toi.

Bref, il est fatal que celui qui en est privé soit troublé et qu'en outre il fasse maints reproches aux dieux.

M ais le respect et l'estime pour ta propre pensée feront de toi un homme satisfait de soi-même, en harmonie avec la communauté humaine et en accord avec les dieux, c'est-à-dire approuvant entièrement les parts et les postes qu'ils ont distribués . V olonté, libre arbitre, bonheur.

C es termes sont étroitement liés chez Épictète et chez Marc-A urèle, au point parfois de se confondre, et c'est parce que l'homme est volonté ou libre arbitre qu'il peut toujours trouver la paix de l'âme, qu'il a entre les mains la clé de son bonheur, qui est aussi le bonheur universel.

Mais ce bonheur est une conquête et il faut qu'elle vaille la peine.

T el est le sens de cette page où se concentre de façon extrêmement dense et synthétique la pensée de M arc-A urèle. Sa doctrine est fidèle à l'esprit profond du stoïc isme et reprend expressément le point le plus fondamental de l'ens eignement d'Épictète « V ivre toujours parfaitement heureux.

Notre âme en trouve elle-même le pouvoir, pourvu qu'elle demeure indifférente à l'égard des c h o s e s indifférentes.

Elle leur demeurera indifférente [...], s i elle se souvient qu'aucune ne nous inspire d'opinion à son sujet ni ne vient nous solliciter, mais que les objets restent immobiles et que c'est nous qui formons nos jugements sur eux et les gravons, pour ainsi dire, en nous-mêmes ».

M ais l'inspiration et le ton sont ici bien propres à M arc-A urèle.

O ù réside le véritable bonheur ? Dans ce qui a du prix.

Procédant par élimination, il rejette successivement ce qui n'a pas de prix réel.

Et d'abord la s imple vie biologique que nous partageons avec les plantes et les bêtes, puis l'imagination et ses divagations sur l'avenir ou sur le passé.

« Et davantage encore les inclinations et les passions, auxquelles nous obéissons aisément comme des marionnettes à leur manieur» . M arc-A urèle dénonce également la gloriole, qui n'a pas plus de prix.

Il prend pour modèle A ntonin, son dédain des honneurs, des acclamations, des flatteries, de la popularité et la simplicité de sa vie privée et publique4, et il s'interdit de «se césariser », c 'est-à-dire de vivre à la manière des princes de la dynastie julienne, de Néron ou de C aligula.

M ais ce refus de la gloriole se fonde sur des raisons moins circonstancielles, qui pourraient faire songer à P ascal.

« Détourne les yeux de la promptitude de l'oubli où tombent toutes choses, et sur le gouffre du temps infini, de part et d'autre; sur la vanité du bruit qu'on fait; la versalité et l'irréflexion de ceux qui ont l'air d'applaudir, les limites étroites où c'est circonscrit : T oute la terre n'est qu'un point et, sur ce point, combien est réduite cette partie qui es t habitée ! Et là combien d'hommes, et quels hommes ! chanteront tes louanges ! ».

Et sans doute toute gloire n'est-elle dès lors que gloriole.

«C omme les dunes, s'amoncelant l e s u n e s sur les autres, cachent les précédentes, de même dans la vie les formations précédentes sont recouvertes en un rien de temps par celles qui montent derrière elles ». C e qui importe pour Marc-A urèle, c'est «de tenir son rang et de ne négliger aucun des devoirs dont il faut s'acquitter en souverain au nom de l'État »8.

Un empereur doit agir en empereur en conformité avec sa nature.

A ttitude symbolique de toute situation humaine.

C ar, si chacun se consacre au rôle qui lui est dévolu par la P rovidenc e, il sera exempt de passion et d'envie, les c h o s e s extérieures que poss èdent d'autres étant c h o s e s indifférentes, et il atteindra l'ataraxie, l'absenc e de trouble.

Sinon il s'en prendra aux dieux.

« Si nous ne considérons comme des biens ou des maux que ce qui dépend de nous, il ne nous res te plus aucune raison d'accuser les dieux ni de nous tenir d'homme à homme, sur un pied de guerre ». M ais comment échapper aux faux attraits des passions, aux sollicitations trompeuses de l'extérieur, comment comprendre la grandeur des Dieux et de la P rovidenc e ? En donnant le premier rang et le commandement au mouvement raisonnable et intelligent de notre être.

L'âme dispose, en effet, d'un principe directeur (hégémonikon), d'un Génie (daïmon) qui a établi sa demeure en chacun de nous et qui assure la liberté de notre jugement.

«O n se cherche des retraites à la campagne, au bord de la mer, à la montagne», alors qu'il est si simple de «se retirer en soi-même ».

C 'est là un réduit sûr.

« Souviens-toi que ton guide intérieur devient inexpugnable, quand replié sur lui-même, il se contente de ne pas faire ce qu'il ne veut pas [...].

A ussi est-ce une citadelle que l'intelligence libre des passions [...].

S'il ne l'a pas vue, c'est un ignorant; s'il l'a vue et qu'il ne s'y retire pas, c'est un malheureux ». Le bonheur se crée donc d'abord de ce respect de soi.

Mais cette retraite n'est pas is olement.

« La joie de l'homme, c'est de faire les tâches propres de l'homme.

Une tâche propre de l'homme est d'être bon pour ses semblables ».

M arc-A urèle a même pour exprimer le devoir de sociabilité des accents quasi chrétiens.

« V oici la chose qui a du prix : c'est de passer sa vie dans la sincérité et la jus tice, tout en voulant du bien aux menteurs et aux injustes ».

Et encore : « Le propre de l'homme est d'aimer même c eux qui l'offensent.

Le moyen d'y parvenir, c'est de te représenter qu'ils sont tes parents, qu'ils pèchent par ignorance et involontairement» et qu'ils ne sauraient léser la faculté directrice.

C es traits personnels s'inscrivent en outre dans une doctrine plus vaste qui nous met au c entre du s toïcisme.

« P osons d'abord pour fondement que je suis une partie du tout que gouverne la nature [...].

La partie ne peut souffrir de ce qui contribue au bien du tout [...].

Et en tant que je suis de quelque façon en rapports intimes avec les parties qui ont même origine que moi, je ne ferai rien de contraire à la communauté.

Bien plutôt, je viserai l'avantage de mes semblables », et ainsi, « de toute nécessité ma vie suivra un cours heureux ». La communauté humaine s'inscrit elle-même comme partie dans le tout de l'univers , qui est raison dans son fond et que la raison gouverne.

A ussi la conduite raisonnable consiste-t-elle à obéir à l'ordre universel e t c ' e s t là « vivre avec les Dieux.

— I l vit a v e c l e s Dieux, celui qui leur montre constamment une âme satis faite du lot qui lui est attribué et faisant toute les volontés du Génie que Zeus a donné à chac un comme maître et comme guide, parcelle détachée de lui-même.

Et ce génie, c'est l'esprit et la raison de chacun ».

T el est le fond de la religion et de la piété stoïciennes.

Or en écoutant notre Génie, nous pouvons posséder toutes les qualités nécessaires pour être heureux : endurance, acceptation de la destinée, modération dans les désirs, liberté, grandeur d'âme, etc .

«A cquiers-les donc, car elles dépendent absolument de.

toi ».

Le stoïcien a ainsi de quoi faire face au destin, quel qu'il soit.

«Ressembler au promontoire, sur lequel sans cesse se brisent les vagues : lui, reste debout et autour de lui viennent mourir les bouillonnements du flot ».

M ême la mort n'es t pas à redouter, car c'est une oeuvre de la nature et «rien n'est mal de ce qui est conforme à la nature ».

Il n'y a rien de terrible à être renvoyé de la cité par la nature qui t'y a fait entrer.

«C 'est comme si l'administrateur qui l'a engagé congédiait de la s cène un c omédien. «M ais je n'ai pas joué les cinq actes ! Trois seulement.

— T u as fort bien parlé ! Dans la vie justement, trois actes font une pièce complète.

C ar celui-là fixe le terme qui est cause de l'assemblage de ton être comme de ta dissolution.

Mais tu n'es cause ni de l'un ni de l'autre.

P ars donc de bonne grâce pour répondre à la bonne grâce de celui qui te libère ».

A ussi «à l'idée que tu peux sur l'heure sortir de la vie, conforme toujours tes actions, tes paroles, tes pensées ».

Le bonheur du s toïcien n'est donc pas un bonheur facile.

Il exige à la fois la vigilance et la rectitude de l'intelligence comme la tension constante de la volonté.

Sans doute est-ce parc e qu'il définit une attitude fondamentale et éternelle de l'homme que la langue populaire, sans besoin de connaissance historique, appelle justement stoïque cette sorte d'héroïsme moral d'un homme capable d'une maîtrise sans défaillance pour affronter la douleur ou la mort dans la pleine conscience de ce que la destinée lui apporte.

Héroïsme qui est moins celui du sac rifice que celui de la grandeur d'âme et d'une liberté intérieure invinc ible.. »

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