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Machiavel, Le Prince, Chap. VII, rédigé en 1513, publié en 1532, trad. J. Anglade, Livre de poche, pp. 37-38

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Machiavel, Le Prince, Chap. VII, rédigé en 1513, publié en 1532, trad. J. Anglade, Livre de poche, pp. 37-38 La nature Humaine, matière première de l'action politique « Sur ce point, un problème se pose : vaut-il mieux être aimé que craint, ou craint qu'aimé ? Je réponds que les deux seraient nécessaires ; mais comme il paraît difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, quand on doit renoncer à l'un des deux. Car des hommes, on peut dire générale ment ceci : ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, ennemis des coups, amis des pécunes ; tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t'offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leurs enfants pourvu, comme j'ai dit, que le besoin en soit éloigné ; mais s'il se rapproche, ils se révoltent. Le prince qui s'est fondé entièrement sur leur parole, s'il n'a pas pris d'autres mesures, se trouve nu et condamné. Les amitiés qu'on prétend obtenir à force de ducats et non par une supériorité d'âme et de desseins, sont dues mais jamais acquises, et inutilisables au moment opportun. Et les hommes hésitent moins à offenser quelqu'un qui veut se faire aimer qu'un autre qui se fait craindre ; car le lien de l'amour est filé de reconnaissance : une fibre que les hommes n'hésitent pas à rompre, parce qu'ils sont méchants, dès que leur intérêt personnel est en jeu ; mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais. »

« PRESENTATION DU "PRINCE" DE MACHIAVEL Machiavel (1469-1527) est conseillé politique de la ville de Florence, à une époque où elle est menacée par des crises intérieures, mais aussi par les royaumes voisins.

Ces derniers n'hésitent pas à s'allier à la France et à l'Espagne pour affronter Florence, se pliant ainsi à la convoitise des deux grandes puissances étrangères.

C 'est pour éviter ce genre de crise et d'assujettissement que Machiavel écrit Le Prince qui soulève quelques paradoxes : dédicacé à Laurent de Médicis, il donne au prince des conseils des plus cyniques pour régner ; mais, en même temps, il dévoile au peuple les ficelles du pouvoir.

On est donc à la fois dans la représentation et dans les coulisses du pouvoir. Texte de Machiavel (Le Prince, chapitre XVII : « De la cruauté et pitié ; et s'il vaut mieux être aimé que craint, ou l'inverse »). Introduction Machiavel tient sa force et sa modernité en ce qu'il n'énonce pas quelque chose comme une politique pure et idéale, mais formule des règles concrètes nécessaires à la constitution d'un espace politiquement régi et à sa conservation : l'auteur du Prince entend se conformer « à la vérité effective de la chose, et non aux imaginations qu'on s'en fait » (chap.

XV ).

Il n'est pas d'essence de la politique, elle n'obéit à aucune loi, de quelque ordre qu'elle soit.

Ce qu'il énonce en recommandant la ruse et la fourberie n'est aucunement une obligation ou une recette, mais une possibilité qui fait signe vers le caractère pragmatique, inachevé et imparfait de tout acte politique.

La contingente nécessité du mal n'est que le résultat d'un processus d'autonomisation de la chose politique (par rapport à l'institution de l'Eglise par exemple).

Pour que la fortune réussisse au prince, encore convient-il qu'il possède la vertu, composite du courage, de la prescience, de l'attention et de la volonté.

La politique est, chez Machiavel, domaine des hommes, mais d'hommes qui ne peuvent pas tout et qui ne possèdent aucune certitude de réussite.

D'où ce texte qui nous montre que la clé d'une réussite, dans le domaine de la conservation du pouvoir, peut se situer dans la crainte, et du bon usage qu'on peut en faire pour contrer la nature perverse des hommes. I.

L'ordre politique sera le produit de la crainte a.

L'anthropologie de Machiavel a pour leitmotiv cette affirmation : « les hommes sont méchants ».

Ainsi, quand il glose la « méchanceté », Machiavel ne fait guère que dénoter que le plan du désir est indépassable.

Un tel désir n'est pas diabolique, c'est-à-dire mal orienté selon son contenu, mais infini selon sa forme et renaissant.

Rien ne vient le combler : aucune limite ne circonscrit le désir d'acquérir ou le désir de gloire, et on pourrait en dire autant du désir de bien faire, comme le montrent les excès de vertu dont firent preuve les Romains.

On est dans une anthropologie du débordement de la raison par les désirs.

Il y a une nature profane en l'homme qui l'oppose aux représentations salutaires de l'Eglise : « C ar des hommes, on peut dire généralement ceci : ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, ennemis des coups, amis des pécunes […] » b.

Au regard de cette nature profane, l'efficacité réside dans la force.

La force est un instrument nécessaire à l'ordre social.

La crainte doit montrer au peuple la supériorité du prince.

La fin justifie les moyens.

Machiavel parle plus d'une violence mesurée que gratuite car le prince doit faire paraître des qualités, et s'y détourner si l'occasion le demande.

L'ordre politique est une alchimie du mal, une suppression de la peur par la peur.

La crainte est donc bien efficace et salutaire politiquement (diffère de la terreur tyrannique).

Elle est créée par le prince doué de vertu.

C ette crainte efficace est un effet de l'art politique.

Les gens n'étant pas bon par nature, le prince doit affirmer une forme de méchanceté.

Machiavel traite alors d'une politique des passions, non de la raison comme chez Platon.

Le prince doit être immoral car il est le reflet de son peuple.

Ainsi être un bon prince c'est être irrationnel, sans pour autant être insensé. c.

L'ordre civil et politique est enveloppé et soutenu par la violence.

Machiavel distingue, dans un épisode (chap.

7) concernant le duc de Romagne, trois type de violence : 1) la violence diffuse des petits seigneurs (anarchie violente) ; 2) la violence répressive de Remiro d'Orco ( homme cruel, il rétablit l'ordre) ; et 3) la violence exercée contre d'Orco.

Ainsi, la deuxième violence rétablit l'ordre mais laisse les citoyens au ressentiment en raison des cruautés commises.

La violence troisième et provisoirement dernière les purge de ce ressentiment : les citoyens sont « satisfait et stupide ».

Ils sont délivrés d'un mal : d'un premier mal, la violence et la peur, par un autre mal, une répression cruelle ; d'un deuxième mal, le ressentiment, mélange de haine et de peur suscité par cette répression, ils sont guéris par un troisième mal, cette fois, qui les purge de la haine en laissant subsister juste ce qu'il faut, et il en faut toujours, de peur.

L'ordre politique est alchimie du mal, suppression, jamais complète, de la peur par la peur.

Et cela, bien sûr, passe par une pratique souvent décisive : « Le prince qui s'est fondé entièrement sur leur parole, s'il n'a pas pris d'autres mesures, se trouve nu et condamné ». II.

La logique machiavélienne du pouvoir a.

L'Italie, en ce début du XV Ie siècle, est éclatée en une multitude de duchés et autres micro-républiques.

L'anarchie politique qui en résulte a suscité la convoitise de la France, l'Espagne et l'A llemagne, qui envahissent le pays.

Pour Machiavel, la première tâche des Italiens est de mettre fin à ce chaos en restaurant un ordre fort.

Et cela, seul un véritable chef peut l'accomplir.

C'est que le pouvoir n'est pas une affaire d'amour mais de violence : « Et les hommes hésitent moins à offenser quelqu'un qui veut se faire aimer qu'un autre qui se fait craindre ; car le lien de l'amour est filé de reconnaissance [...] mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais.

» Toutefois, s'il ne faut pas hésiter à être violent, cela doit souvent se faire avec mesure.

Le dirigeant efficace se fait craindre de ses sujets, pas détester.

L'idéal, bien sûr, est d'être craint et aimé à la fois.

Pour cela, le prince doit savoir promettre quand c'est opportun et manger sa parole lorsque c'est nécessaire.

La trahison et la manipulation ne sont pas graves, car les humains sont ainsi faits qu'ils aiment quelqu'un autant pour le bien qu'ils lui font que pour celui que celui-ci leur fait : « Les amitiés qu'on prétend obtenir à force de ducats et non par une supériorité d'âme et de desseins, sont dues mais jamais acquises, et inutilisables au moment opportun ». b.

Par conséquent, l'important n'est pas d'avoir toutes les qualités mais de paraître les avoir : il faut que le peuple croit que son maître est intègre et généreux, et en même temps, parfois, le prince doit être menteur et sans pitié.

La politique est autant affaire d'apparence que d'être.

La diplomatie et le calcul comptent au moins autant que la force brute et les armées : il est plus rentable de conquérir une ville par un mariage arrangé, une trahison ou une corruption que par une sanglante bataille.

Les nobles sentiments ne valent rien, seule compte l'efficacité.

Le vrai prince sait user de la force comme un lion, et de la ruse comme un renard.

Machiavel conseille en même temps d'instrumentaliser la religion quand il entend faire comprendre que la crainte que procure le prince envers ses sujets rappelle à ses derniers la peur du châtiment : « le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais ».

Et cette peur est d'autant plus fondée que, profane par nature, les hommes sont enclins à fantasmer la colère divine qui s'abattra sur eux lors de leur jugement.

Instrumentaliser ce type de croyance à des fins personnelles de pouvoir et de gouvernement rentre dans la stratégie machiavélienne de maintien de l'unité du pouvoir. Conclusion Le prince est pensé comme un héros politique.

Le héros politique est doté d'une vertu exceptionnelle lui permettant d'avoir le dessus sur la fortune au point de la maîtriser et d'y inscrire son action, comme la forme dans la matière.

Affirmer la nécessité et la fécondité du mal, c'est affirmer l'autosuffisance de l'ordre terrestre, de l'ordre profane.

De là suit des pratiques mesurées, réfléchies et efficace capable de maintenir le prince au pouvoir.

Les conseils de Machiavel relève plus d'une stratégie fondée l'impossibilité de conserver un ordre indéfiniment, que d'une vision régulière de la vie politique.

Savoir en toute circonstance saisir l'opportunité capable de renforcer son statut et sa légitimité, voilà la sagesse du prince.. »

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