l'intelligence donne-t-elle des droits ?
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«
Introduction
Au premier abord nos sociétés semblent accorder du crédit à l'intelligence.
Sera reconnu méritant socialement celui
qui fait preuve d'intelligence et déprécié celui qui aura fait preuve de bêtise ou qui se sera conduit comme une
brute.
Mais au regard du vieil adage romain « beati pauper espiritu » (« heureux le simple d'esprit »), une
contradiction subsiste entre reconnaissance de l'intelligence et privilège de l'ignorance.
Le sens courant définit
l'intelligence comme compréhension, médiate ou immédiate, s'exerçant aussi bien dans les situations concrètes de la
vie que dans le domaine des connaissances abstraites.
Celui qui fait preuve de cette aptitude aura certes plus de
chances de se départir d'une situation difficile mais il sera également la victime de cette conscience aigüe de la
souffrance, du malheur et de la mort qu'implique nécessairement l'existence.
La philosophie, bien qu'emblématique de toute volonté de vivre et de penser intelligemment, reconnaît à la fois une
inégale répartition et une polysémie de cette aptitude.
Nous ne sommes pas tous également intelligents et
l'intelligence peut, en outre et selon le domaine d'étude, caractériser de manière plurivoque l'homme, l'animal et la
machine (l'intelligence artificielle).
Dès lors la question du privilège qu'est l'intelligence doit être reposée à l'aune de
ces difficultés :
L'intelligence, si on peut la définir de manière générale, confère-t-elle des droits à celui qui en est doté ?
Ces droits reconnus (privés, sociaux, juridiques...) ne s'accompagnent-ils pas en même temps de devoirs et de
souffrance ?
I.
De la brute au civilisé : un éloge culturel ?
Nous l'avons compris, notre question se heurte à la difficulté première de trouver une définition philosophique et
générale de l'intelligence.
C'est à ce prix seulement que l'on pourra ensuite se demander ce que celle-ci confère à
celui qui en fait preuve.
Remarquons que sur cette difficulté la philosophie et la psychologie se rejoignent le plus
souvent pour mettre en exergue une définition générale de l'intelligence puisque celle-ci se manifeste dans des
activités aussi diverses qu'apprendre, créer, calculer, manipuler des symboles, résoudre des problèmes, effectuer
des tâches complexes...
autant de tâches qui sont la manifestation concrète de processus intellectuels,
psychiques.
Psychologie et philosophie s'accordent pour définir l'intelligence par l'aptitude à surmonter une difficulté
pour laquelle ne préexiste aucune solution connue.
Il faudra donc l'inventer dans un acte original, « sui generis »
(créé par soi-même).
Ici l'intelligence est donc distinguée de l'instinct qui est inscrit dans l'héritage de l'espèce et
des automatismes de l'habitude (Cf.
Bergson, L'Évolution créatrice).
L'intelligence sera donc mise en parallèle avec les capacités de l'évolution de
l'espèce humaine et trouvera son « paradigme » (modèle) dans la promotion
de la culture humaine au dépend de l'état brut, naturel, primitif, instinctif.
Cette promotion est également soutenue par la philosophie.
Aristote
considérait l'homme dans sa contradiction, à la fois animal et politique
(l'homme est un « animal politique », disait-il).
La philosophie servira alors à
promouvoir cette facette politique de l'humain, y voyant la source de
l'intelligence sociale propre à pérenniser l'espèce dans une vie en groupe
réglée.
La loi étant alors la manifestation de cette intelligence sociale
humaine capable d'assurer l'ordre, la paix et donc la survie de l'espèce
humaine dans une nature hostile.
Idéalement cette intelligence sociale, cette
nature politique de l'homme, nous dit Aristote, est la caractéristique d'une
volonté universelle de bonheur : « Tous les arts, toutes les recherches
méthodiques de l'esprit, aussi bien que tous nos actes et toutes nos
décisions réfléchies semblent toujours avoir en vue quelque bien que
nous désirons atteindre ; et c'est là que nous avons parfaitement défini
le bien quand on a dit qu'il est l'objet de tous les vœux.
» (Cf.
Éthique à
Nicomaque, Livre I, Théorie du bien et du bonheur).
Ces mots donneront pour des siècles à venir l'orientation philosophique,
morale, politique, de l'humanité.
L'intelligence est consacrée par son aptitude
à s'orienter par et vers le « souverain Bien ».
L'intelligence humaine est donc cette aptitude qui donne droit et
pouvoir à cette volonté de bonheur.
Sans doute la culture commence-t-elle, dans ses principes philosophiques, ici.
L'intelligence doit triompher sur
l'instinct pour permettre à l'homme d'accéder au bonheur.
On peut donc dire que l'intelligence confère, en première
instance, des droits philosophiques, politiques et suprêmement moraux (le bonheur) à celui qui en fait preuve.
II.
L'intelligence en crise ?
Mais ces droits « culturels » seront contestés, dans leur forme, par Calliclès dans le discours du Gorgias de Platon.
L'intelligence n'étant pas égale entre les êtres, celui-ci considérera qu'un droit de nature est conféré à celui qui en
est le plus doté.
Le « plus fort » naturellement aura le droit de s'imposer sur le plus faible.
Nietzsche reprendra cette
double distinction entre « forts » et « faibles » et entre « nature » et « culture » dans une critique « généalogique »
de l'histoire culturelle de l'humanité.
Les « faibles » sont en fait ceux qui ne bénéficient pas de la providence.
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