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L'immoralisme ?

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« Ce mot a été inventé par Nietzsche pour désigner sa propre attitude à l'égard de la morale de donner pour titre « L'Immoraliste » (der Immoralist) à la troisième partie de sa Volonté de Puissance.

Mais bien avant lui certains sont partis en guerre contre la morale.

Le Calliclès de Platon, adversaire tenace de Socrate dans le dialogue du Gorgias — l'un des rares adversaires à qui Platon donne réellement la parole — est un pur « nietzschéen » avant la lettre.

Au xviiie siècle le marquis de Sade est aussi un ennemi acharné de la morale. L'immoralisme représente donc une tendance philosophique présente à peu près à tous les moments de l'histoire. Qu'entendre par immoralisme ? Si nous prenons le mot dans son sens strict, nous dit M.

Lalande, il ne peut désigner qu'une doctrine qui « n'admettrait que des jugements de fait et non des jugements de valeur ».

Donc, si du moins l'immoralisme est fidèle à la logique du terme par lequel il se désigne, nous devons trouver dans cette doctrine la condamnation de toute norme, de toute transcendance ; alors que la vision morale du monde repose sur un dualisme (nature et moralité, passion et devoir, instinct et valeur) et semble logiquement amenée à attribuer à l'homme une liberté de choix qui le rende responsable, l'immoralisme doit se présenter comme un monisme et un nécessitarisme ; tous les actes sont donc sur le même plan, tous appartiennent à la nature et sont déterminés: dès lors, aucun jugement éthique n'a de sens : tout est permis ou plus exactement toutes les actions s'équivalent, la notion de permis et de défendu n'ayant plus aucune signification. Telle est bien, semble-t-il, l'idée de Calliclès ; tous les hommes servent leurs passions et cherchent leur plus grand plaisir ; sans doute distingue-t-on communément ce qui est bon selon la nature règne de l'impulsion, de l'instinct, — et ce qui est bon selon la Loi qui exige du citoyen modération, tempérance, respect du bien d'autrui ; mais la distinction des deux domaines n'est qu'une apparence ; car la Loi n'est en quelque sorte qu'une ruse de la nature ; la loi est fabriquée par les faibles qui cherchent à se protéger et veulent faire passer leur intérêt propre pour le devoir de tous. Pour le marquis de Sade « vices » et « vertus » correspondent à des goûts différents ; l'homme vertueux est «inspiré par son coeur », il se « livre à une jouissance » ; il n'a pas plus de « mérite » que le libertin n'a de culpabilité ; éloges et blâmes sont vains ; l'homme n'a pas à strictement parler le « pouvoir de commettre des crimes » ; car par définition même rien de ce qui existe n'est monstrueux et tout ce qui se passe dans la nature est naturel : « Si la nature était offensée de nos goûts, elle ne nous les inspirerait pas ; il est impossible que nous puissions recevoir d'elle un sentiment fait pour l'outrager ». Même idée en de nombreux textes de Nietzsche ; dans la Volonté de Puissance (trad.

Bianquis, t.

I p.

148), il déclare qu'il n'y a « ni actions morales, ni actions immorales ».

En effet, la liberté de choix est « imaginaire » et tous suivent l'impulsion naturelle ; les plus forts privilégient naturellement les conduites où leur volonté de puissance se donne libre cours et qui leur apportent la joie de vivre : les triomphes amoureux, la richesse, la domination sur les faibles, le commandement, la satisfaction de toutes les passions.

Mais les faibles, les vaincus, par ressentiment et aussi pour assurer leur protection.

inventent une « morale » de sens contraire.

Tous les biens conquis par les forts et que les faibles n'ont pu s'approprier sont qualifiés de « péché ».

Les faibles se font un mérite de leurs impuissances mêmes : les lâches prêchent la résignation, les vaincus le renoncement, les exclus de l'amour la chasteté.

En ce sens la « morale des esclaves » n'est qu'un « déguisement de la volonté de puissance » et « l'opprimé s'est placé sur le même terrain que son oppresseur, sans privilège ni supériorité d'aucune sorte » (Volonté de Puissance, trad.

Bianquis, t.

II p.

13). NOTE SUR LE JANSÉNISME Le jansénisme est une forme particulièrement rigoureuse de pensée et de vie chrétienne.

Il se propose de revenir à l'enseignement de Saint Augustin par réaction contre le laxisme des molinistes et des jésuites qui accordaient tant de pouvoir à la liberté de l'homme que plus rien ne restait à la puissance de Dieu..

Le jansénisme et son austérité morale constituèrent une véritable machine de guerre contre les jésuites et leur système rhétorique qui leur permettait de tout justifier y compris les actions morales les plus condamnables. Cela, les chrétiens eux-mêmes, jansénistes surtout, ont fini par l'apercevoir.

Nicole disait qu'on pouvait « désirer l'humilité par orgueil ».

Bref, « après que l'homme a opposé à son instinct un monde du bien, tout imaginaire, il reconnaît que l'acte désintéressé est impossible » (t.

I p.

149).

Nietzsche fait gloire à La Rochefoucauld et à Pascal d'avoir « compris l'identité essentielle des actions humaines et leur équivalence foncière ». Pourtant ni Calliclès, ni Nietzsche surtout ne s'en tiennent là.

Sade, le moins moraliste des trois, reste fidèle, si l'on peut dire, à sa neutralité immoraliste : certes il décrit avec complaisance les plus horribles pratiques des libertins et il semble clair qu'elles correspondent à ses goûts personnels, mais il ne cherche guère à construire à partir de là une nouvelle éthique ; la singularité et l'excès même des débauches qu'il se plaît à cultiver le défendent sans doute contre cette tentation ; le langage qu'il parle n'est après tout pas très différent de celui que tiendrait un criminologiste moderne.

Le criminel « n'est pas plus coupable que ne l'est celui qui vient au Inonde borgne ou boiteux » ; s'il le pouvait « il reformerait à l'instant ses goûts, ses affections, ses penchants sur le plan général ».

Bien différent de Gide il n'idéalise pas ses penchants singuliers et se contente de plaider l'indulgence en soulignant la condition tragique de celui qui a des penchants peu compatibles avec la vie sociale : « De quel droit même les lois qui ne sont faites que pour le bonheur de l'homme, oseront-elles sévir contre celui qui ne peut se corriger ou qui n'y parviendrait qu'aux dépens de ce bonheur que doivent lui conserver les lois ? ».

Sade révèle ici la contradiction interne propre à la morale naturaliste du bonheur qui triomphait au xviiie siècle ; son oeuvre n'est pas l'expression d'une nouvelle éthique, elle est le cri d'un malade incurable, cri désespéré auquel son temps ne peut répondre, auquel peut-être nos techniques psychiatriques contemporaines apportent quelque début de réponse.

encore balbutiante. Calliclès et Nietzsche, eux, ne se contentent pas de plaider.

Ils prêchent.

Calliclès rejetant les contraintes de la « loi » se fait l'apôtre de ce qui est « beau et juste suivant la nature ».

Il déclare : « Ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise; c'est que pour bien vivre il faut laisser prendre à ses passions tout. »

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