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l'imagination est-elle nécessairement trompeuse ?

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« INTRODUCTION.

— Le grand siècle, soucieux de pure raison, fut sévère à l'égard de l'imagination, e cette puissance trompeuse », écrit PASCAL, « qui semble nous être donnée exprès pour nous induire à une erreur nécessaire ».

Mais cette sévérité est-elle conforme à la justice et n'y a-t-il pas lieu de réviser ce procès P Le psychologue moderne peut-il admettre que l'imagination n'est qu'une puissance trompeuse ? I.

— L'IMAGINATION POURVOYEUSE DE L'ERREUR. Il suffit, il est vrai, de réfléchir sur nos principales fonctions de connaissance pour relever nombre de jugements erronés par suite de l'intervention de l'imagination. a) Dans la perception du présent, qui cependant semble s'imposer à nous, il se produit de fréquentes illusions, les données sensorielles étant complétées à notre insu par des images que notre attente envoie en quelque sorte au devant d'elles.

Qu'il suffise de rappeler la facilité avec laquelle nous croyons reconnaître une personne attendue, les transformations inconscientes que nous faisons subir aux mots pour retrouver un terme familier (illusion du correcteur d'épreuves). b) Si la mémoire, chargée de la conservation du passé, se montre si infidèle à sa tache, c'est dans une grande mesure par suite de l'aide que lui apporte l'imagination.

Plus libre qu'à l'égard du présent, celle-ci procède à de véritables reconstructions, sans qu'il soit possible de contrôler ses apports; elle transfigure les choses, et parfois id y a presque autant d'invention dans l'image qu'elle nous donne du passé que dans des scènes délibérément fictives. c) Mais c'est dans la prévision de l'avenir, domaine qui offre encore moins de résistance à son travail créateur, que l'imagination accumule le plus d'illusions : s'il est si rare de voir se réaliser l'événement espéré, si nous allons de déconvenue en déconvenue, c'est que nous faisons confiance à l'imagination que Malebranche avait bien raison, semble-t-il, d'appeler « la folle du logis ». II.

— L'IMAGINATION AUXILIAIRE DE LA VÉRITÉ. Mais il est inutile de souligner la partialité de ce bilan qui ne retient que les faits à mettre au passif de l'imagination.

Si nous le reprenions avec le parti pris de ne tenir compte que de l'actif, nous aboutirions à une conclusion opposée, les plus précieuses trouvailles de l'esprit humain étant dues à sa puissance imaginative. a) Dans le domaine de l'art, l'imagination joue un rôle primordial : tout le monde le reconnaît.

On nous objectera peut-être que le beau n'est pas le vrai et que les constructions des artistes sont le plus souvent étrangères au réel.

Mais c'est confondre le vrai et le réel. L'idéal aussi a sa vérité, et pour découvrir cette vérité comme pour en donner le sentiment aux autres on ne peut pas se passer d'imagination. b) D'ailleurs, dans la vie pratique la plus terre à terre, ce n'est pas la raison mais l'imagination qui suggérera la décision la plus opportune, celle qui assurera le succès.

La raison triomphe quand il s'agit de déduire à partir du connu les conséquences qui s'ensuivront; mais la complexité de la vie réelle.

ne permet pas une connaissance du réel assez précise pour qu'on puisse la prendre comme base d'une séduction rigoureuse; qu'il s'agisse du choix de sa profession ou d'une combinaison ministérielle, de l'organisation d'un repas ou de l'utilisation d'un coupon de tissu, il faut inventer, faire un saut dans l'inconnu ou dans l'incertain, et seuls les esprits imaginatifs en sont capables. c) Dans la recherche scientifique, le succès est conditionné par une puissante imagination, car si la mémoire et l'intelligence suffisent pour apprendre ce que d'autres ont déjà découvert, on ne peut découvrir qu'en imaginant d'abord la solution dont on démontrera ensuite la vérité.

Le levier du progrès scientifique est l'hypothèse : « l'homme de science qui ne peut émettre une hypothèse n'est qu'un comptable de phénomènes » (I), Or la naissance des hypothèses puis la découverte des moyens de les vérifier dépend de l'imagination, qui joue ainsi un rôle essentiel dans la détermination des lois les plus certaines.

Aussi M.

Pradines a pu écrire : « la raison nous est apparue moins comme une connaissance que comme une imagination : l'imagination du rationnel plutôt que la connaissance du rationnel; elle imagine des relations de constance qui rendraient le cours des choses intelligibles; puis elle cherche si elle pourrait de quelque manière remplacer dans les choses les relations de fait par des relations intelligibles, sans que rien soit changé dans les résultats.

En cela la science paraît bien imaginative comme « l'art ». III.

— L'IMAGINATION ÉTRANGÈRE A LA VÉRITÉ ET A L'ERREUR. Mais les panégyristes de l'imagination comme ses détracteurs ne voient qu'un côté du réel, et nous les renvoyons dos à dos comme manquant d'impartialité. a) A strictement parler, l'imagination ne trompe pas parce qu'elle ne se prononce pas sur la vérité de ses constructions.

L'erreur n'est que dans le jugement et non dans la simple représentation : je ne me trompe pas en rêvant à ce que je ferai à la nouvelle de mon succès à l'examen; il n'y aurait erreur que si je me croyais déjà reçu.

Or l'imagination ne juge pas : elle se contente de faire défiler devant les yeux de mon esprit des hypothèses multiples grâce auxquelles je ne serai pas pris au dépourvu; c'est au bon sens ou à la raison de faire la critique de ces hypothèses et de retenir la plus vraisemblable.

L'erreur, quand elle se produit, n'est pas imputable à l'imagination, mais à la puissance de juger on à l'état d'âme qui empêche le jeu de cette puissance. b) C'est l'affectivité qui explique les erreurs attribuées à l'imagination.

Pascal le reconnaît dans le passage même qui condamne si 'sévèrement l'imagination ! « Notre propre intérêt est un merveilleux instrument pour nous crever agréablement les yeux ».

Nous acceptons sans, contrôle ce qui répond à notre désir ou à notre attente.

Le plus souvent, c'est l'hypothèse qui nous est la plus favorable, et nous passons notre vie à bâtir des châteaux en Espagne sans poser la première pierre de la plus humble bicoque réelle. Mais il est aussi des tempéraments malheureux qui prévoient toujours le pire et dont la vie sans histoire est empoisonnée par la perspective de catastrophes toujours imminentes.

Ces erreurs ne sont pas dues à l'imagination, mais à l'absence d'un contrôle rationnel de la vie affective. CONCLUSION.

— Nous conclurons donc à l'ambivalence de l'imagination.

Elle n'est pas plus une « maîtresse d'erreur et de fausseté » que l'arsenic n'est l'auteur de tant de crimes et de morts.

Nous devons voir en elle un outil dont le rendement diffère du tout au tout suivant la main qui le manie, de même que l'arsenic devient remède ou poison suivant les desseins au service desquels il est utilisé; manoeuvrée par nos puissances irrationnelles, l'imagination aboutit normalement à l'illusion et à l'erreur; mais, mise au service de la raison, elle est le moyen indispensable pour découvrir la vérité.. »

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