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l'imagination est-elle le refuge de la liberté ?

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« Problématique: La capacité d'imaginer permet de se soustraire à une réalité ou de mieux la comprendre pour mieux préparer l'avenir.

Mais elle peut aussi être le refuge névrotique de celui qui ne peut pas affronter une réalité qu'il ressent comme insupportable. [L'imagination est une pure création de l'esprit. Elle n'obéit qu'à ses propres règles.

Elle n'est soumise à aucune contrainte extérieure.

L'homme n'est jamais autant libre que lorsqu'il imagine.] L'imagination est une libre combinaison d'idées Rien n'est plus libre que l'imagination, déclare David Hume, dans Enquête sur l'entendement humain.

Elle possède un pouvoir sans borne d'assembler les données qui nous sont fournies par l'expérience sensible. Rien, à première vue, ne peut sembler plus affranchi de toute limite que la pensée de l'homme ; non seulement elle défie toute puissance et toute autorité humaine, mais elle franchit même les bornes de la nature et de la réalité.

Il n'en coûte pas plus à l'imagination de produire des monstres et de joindre ensemble des formes et des visions discordantes que de concevoir les objets les plus naturels et les plus familiers [...] Ce qu'on n'a jamais vu ou entendu est cependant concevable; et il n'est rien qui échappe aux prises de la pensée, hors ce qui implique absolument contradiction. Mais quelque illimitée que paraisse la liberté de notre pensée, nous découvrirons, en y regardant de plus près, qu'elle est en réalité resserrée dans des limites fort étroites, et que tout ce pouvoir créateur de l'esprit n'est rien de plus que la faculté de combiner, transposer, accroître ou diminuer des matériaux que nous fournissent les sens et l'expérience.

Quand nous pensons à une montagne d'or, nous ne faisons que réunir deux idées capables de s'accorder, celle d'or et celle de montagne, qui nous étaient déjà familières [...] En un mot, tous les matériaux de la pensée tirent leur origine de notre sensibilité externe ou interne : l'esprit et la volonté n'ont d'autre fonction que de mêler et combiner ces matériaux.

HuME, Enquête sur l'entendement humain. 1.

Commentaire du texte Ce texte est extrait de l'Enquête sur l'entendement humain, publié par Hume en 1748.

Il soulève le problème suivant : sur quoi les opérations de la pensée se règlent-elles et se fondent-elles ? D'où procède notre connaissance ? Notre pensée, loin d'être illimitée en ses pouvoirs, est restreinte au champ de l'expérience sensible, champ qui apporte des bornes à sa puissance et à son exercice. L'argumentation se développe en deux grandes parties : 1.

Du début à « hors ce qui implique absolument contradiction » : la pensée humaine semble pouvoir couvrir un champ indéfini ; rien ne paraît lui échapper. 2.

« Mais [...] matériaux » : en réalité, la pensée se meut dans une sphère limitée par les frontières de la sensibilité. A.

PREMIÈRE GRANDE PARTIE : « Rien [...] contradiction » La première grande partie semble affirmer l'idée d'une puissance illimitée de l'esprit humain.

Tandis que la première sous-partie (« Rien [...] réalité ») énonce le thème de cet élan de la pensée de l'homme vers un champ dénué de bornes, la seconde sous-partie (« Il [...] contradiction ») met, d'une part, l'accent sur la fonction de l'imagination attachée à l' illimité et, d'autre part, formule un bilan sur la toute-puissance de la pensée. a) Première sous-partie : « Rien [...] réalité » La pensée de l'homme, à savoir l'activité mentale de l'esprit du sujet, se trouve d'emblée analysée et mise en cause.

Car l'organisation et la liaison des sensations impliquent l'idée d'une pensée, force mentale agissant sur un ensemble de représentations et les combinant. Or, en première apparence, nous dit Hume, cette activité de combinaison et d'organisation mentale semble dénuée de toute limite.

Le limité, c'est ce qui désigne la réalité marquée par des bornes, tandis que l'illimité correspond à ce qui échappe aux bornes et s'étend selon une progression indéfinie.

Il y a là une fondamentale distinction entre le limité et l'illimité.

Pourquoi la pensée humaine paraît-elle illimitée ? Hume fournit ici deux arguments : d'une part, la pensée humaine est une activité de défi, témoignant d'une mise en question radicale de toute-puissance — ici, pouvoir — et de toute autorité humaine — ici, la force inspirant le sentiment du respect, le droit de commander, l'ascendant du maître, etc.

—et, d'autre part, la pensée transcende les bornes, les limites de la nature — l'ensemble de tout ce qui est donné, de ce qui existe — et de la réalité, de ce qui s'impose à nous par les sens.

Il y a là un double argument qui paraît important.

Cette faculté qu'est la pensée ne s'affranchit-elle pas de tout ? Elle défie, c'est-à-dire refuse de s'incliner devant quoi que ce soit, autorité, pouvoir, etc.

D'autre part, la pensée n'est jamais limitée par le réel.

La seconde souspartie fournit des exemples afin de soutenir l'argumentation. b) Seconde sous-partie : « Il n'en [...] contradiction » Hume donne d'abord un exemple tiré de l'imagination.

Cette faculté humaine de former des représentations sensibles (tel est bien le sens du terme imagination chez Hume), cette puissance d'invention et d'artifice (second sens coextensif au premier chez Hume) crée, sans difficulté, des monstres, des êtres fantastiques et invente également des formes, des organisations d'images discordantes, sans nul accord et harmonie.

Donc l'imagination est bel et bien capable de franchir les limites de ce qui est donné, de créer d'étranges artifices sans nul rapport avec la réalité.

Inventer l'irréel singulier, telle est la caractéristique de cette imagination qui s'élance, jamais enchaînée au réel, jamais limitée, apparemment capable de tout créer. Enfin, la dernière phrase de cette sous-partie (« Ce [...] contradiction ») souligne que la pensée peut tout concevoir et maîtriser, hormis ce qui implique contradiction, c'est-à-dire une opposition radicale entre deux termes ou deux propositions dont l'un(e) nie ce que l'autre affirme.

En dehors des affirmations contradictoires, la pensée peut s'élancer dans tous les champs et s'emparer de tout.

Donc elle semble illimitée.

Rien ne borne la pensée humaine.

Pourtant, la seconde partie va démontrer le contraire. B.

SECONDE GRANDE PARTIE : « Mais [...] matériaux » La seconde partie développe l'idée que la pensée est en réalité bornée par la sensibilité.

Après avoir, dans une première sous-partie (« Mais [...] expérience ») souligné la limitation de la pensée, Hume, dans la seconde (« Quand [...] familières ») s'appuie sur un exemple pour renforcer son raisonnement.

Enfin, dans la troisième sous-partie (« En un mot [...] matériaux »), il aboutit à la conclusion générale du texte : toute connaissance procède de la sensibilité, du fait de recevoir des excitations internes ou externes. a) Première sous-partie : « Mais [...] expérience » Les termes de sens et d'expérience jouent un rôle important.

Le premier renvoie à cette fonction nous permettant d'éprouver des sensations diverses (visions, etc.).

Le second désigne la totalité (potentielle) de l'émergence des phénomènes, en quelque sorte l'a posteriori de notre pensée : en bref tout ce qui est de l'ordre du fait ou de l'intuition sensible acquise. Il ne faut pas s'illusionner sur les capacités de notre pensée.

La liberté de notre pensée est en fait resserrée dans des limites fort étroites, bornée de manière précise.

Le « pouvoir créateur de l'esprit », c'est-à-dire la puissance d'invention, ex nihilo, à partir de rien, qui caractérise l'esprit — la pensée et la réflexion humaines — se ramène, en réalité, à tout autre chose : à une activité de combinaison de données que nous fournissent les fonctions sensibles diverses (les sens) et, d'autre part, les phénomènes globaux, les faits (l'expérience).

Ainsi, la seule possibilité qui nous est laissée est de combiner, d'accroître ou de diminuer les données des sens.

Notre capacité de création à partir de rien se trouve alors fort réduite. b) Seconde sous-partie : « Quand [...] familières » Hume démontre l'argument précédent par l'exemple de la montagne d'or.

Ici, une étrange association entre deux faits naturels, qui semblent bizarrement accouplés, le matériau précieux, propice à faire des bijoux, et l'élévation de forte altitude, avec élévation de terrain, cela semble une idée étrangère au réel ! Erreur, répond Hume.

Que faisons-nous ? Quand nous pensons une montagne d'or, c'est-à-dire exerçons une activité psychique comportant ces deux notions bizarrement assemblées, nous ne faisons que réunir deux idées — c'est-à-dire deux copies des impressions sensibles — pouvant s'unifier et présenter entre elles un accord, c'est-à-dire une communauté et une harmonie, une conformité. Ces deux idées nous étaient déjà familières : elles faisaient partie de notre esprit ; elles l'habitaient.

La libre création se ramène à des éléments préétablis par l'expérience. c) Troisième sous-partie : « En un mot [...] matériaux » Voici maintenant, le « bilan-conclusion » de tout le passage : tous les matériaux de la pensée, c'est-à-dire toutes les diverses matières nécessaires à sa construction, tous les éléments constitutifs de l'activité mentale de l'homme s'originent dans la sensibilité interne ou externe, dans le fait de recevoir des excitations, dans le fait d'être doué de sensations internes (celles de notre corps) ou externes (renvoyant à l'ensemble du monde).

L'esprit — le principe de la pensée — et la volonté — la mise en oeuvre des moyens appropriés à un résultat — ont pour fonction, pour rôle caractéristique de combiner, c'est-à-dire d'arranger et de disposer ces matières des sens.

Dès lors, pensée et choix libre sont plus limités qu'on ne croit, puisque toute connaissance dérive de l'expérience sensible.

Ainsi, pour construire des connaissances, l'esprit s'alimente toujours dans l'impression sensible.

La position empiriste de Hume affirme que l'expérience sensible est la mère de toutes choses. L'imagination est source de satisfactions Même si les produits de l'imagination sont des chimère, ils offrent à l'esprit de grandes satisfactions substitutives.

Pour Freud, elle permet à l'homme de trouver dans un monde imaginaire tout ce que le monde réel lui refuse. FREUD: Tout cela invitait à entreprendre, à partir de là, l'analyse de la création littéraire et artistique en général.

On s'aperçut que le royaume de l'imagination [Phantasie] était une « réserve qui avait été ménagée lors du passage, ressenti comme douloureux, du principe de plaisir au principe de réalité, afin de fournir un substitut à des satisfactions pulsionnelles auxquelles on avait dû renoncer dans la vie réelle.

A l'instar du névrosé, l'artiste s'était retiré de la réalité insatisfaisante dans ce monde imaginaire [Phantasiewelt], mais, à la différence du névrosé, il savait trouver le chemin qui permettait d'en sortir et de reprendre pied dans la réalité.

Ses créations, les oeuvres d'art, étaient des satisfactions fantasmatiques de voeux inconscients, tout comme les rêves avec lesquels elles avaient également en commun le caractère de compromis, car elles aussi devaient éviter d'entrer en conflit ouvert avec les puissances du refoulement.

Mais, à la différence des productions du rêve, asociales et narcissiques, elles étaient conçues pour que d'autres hommes y participassent, elles pouvaient susciter et satisfaire chez ceux-ci les mêmes motions de désirs inconscients.

En outre, elles se servaient du plaisir que procure la perception de la beauté formelle comme d'une « prime de séduction L'apport spécifique de la psychanalyse pouvait consister à reconstruire, par recoupement des impressions vécues, des destinées fortuites et des oeuvres de l'artiste, sa constitution et les motions pulsionnelles qui étaient à l'oeuvre en elle, soit ce qu'il y avait en lui d'universellement humain. Avez-vous compris l'essentiel ? 1 Qu'est-ce qui rapproche l'artiste du névrosé ? 2 Qu'est-ce qui, cependant, les distingue ? 3 Comment expliquer que nous puissions être touchés par l'imaginaire particulier à un artiste ? Réponses: 1 - L'artiste comme le névrosé se placent tous deux sur le plan de l'imaginaire et du désir. 2 - Ce qui les distingue, c'est que le névrosé reste en quelque sorte enfermé dans son imaginaire et ses désirs, alors que l'artiste aspire à se réconcilier avec la réalité. 3 - Par le fait que l'artiste, qu'il le veuille ou non, n'exprime pas seulement ses propres désirs personnels et particuliers, mais aussi des aspirations universelles de l'humanité. Imaginer, c'est être libre Ce pouvoir de négation que révèle l'imagination est positif.

L'imagination est une puissance majeure pour l'homme.

Comme l'avait montré Kant, elle n'est pas simplement "reproductrice" mais également productive.

Bachelard élève cette faculté, qui précède l'expérience à une puissance d'anticipation de l'avenir. En ce sens, l'imagination nous détache du passé et du présent et ouvre le champ du futur.

La fonction de l'irréel nous permet de dépasser le donné pour nous projeter vers ce qui n'est pas encore.

L'imagination dynamise, en nous réveillant de nos habitudes et de nos automatismes.

Elle est une porte ouverte sur le champ du possible qui coexiste au champ du réel. Pour Sartre, « l'imagination est une condition essentielle et transcendantale de la conscience.

Il est aussi absurde de concevoir une conscience qui n'imaginerait pas que de concevoir une conscience qui ne pourrait effectuer le cogito ». Conscience réalisante et conscience imageante sont indissociables.

L'imagination est la fonction irréalisante de la conscience.

En effet, lorsque je perçois un objet réel, je le perçois comme élément d'un ensemble qui est la réalité totale. Même si je concentre mon attention sur lui, je le saisis comme présent et en continuité avec les autres objets réels, eux-mêmes présents, c'est-à-dire avec le monde.

En revanche, quand j'imagine ce même objet, je l'isole des autres et le saisis comme absent.

Certes, je sais que cet objet existe réellement, mais en tant que je l'imagine, je le vise là où il ne m'est pas donné.

Dès lors je le saisis « comme un néant pour moi ».

Ainsi donc imaginer est un acte négatif : c'est poser une thèse d'irréalité, à savoir simultanément isoler et anéantir un objet.

Mais poser l'objet comme un néant par rapport au monde, c'est la même chose que poser le monde comme un néant par rapport à l'image.

Car « poser une image c'est constituer un objet en marge du réel, c'est donc tenir le réel à distance, s'en affranchir, en un mot le nier ».

L'imagination permet donc de se détacher du monde, de le dépasser : sans elle, la conscience serait « engluée dans l'existant ».

C'est pourquoi l'imagination est liberté. Imagination et création Prenons l'exemple du jeu chez l'enfant : il modèle le réel au gré de ses désirs et de ses pensées.

L'imagination nous révèle en lui un esprit qui se cherche et qui, pour se trouver, impose ses desseins aux choses.

Comme forme de la conscience, elle vise un objet absent (de l'ordre du passé ou du projet) tout en le rendant actuel.

Si l'ensemble de la réalité devient un espace de jeu pour l'enfant, c'est qu'en jouant, et donc en imaginant, il découvre le pouvoir de créer des possibles.

« Faire comme si » est donc l'indice d'un pouvoir supérieur de l'homme sur le réel.

« Manquer d'imagination » signe le défaut d'une part essentielle de la vie de l'esprit.

Imaginer, c'est envisager des hypothèses.

L'esprit ne prend plus le réel uniquement pour ce qu'il paraît : il lui prête une forme possible. Ainsi, l'art comme la science exigent le recours à l'imagination.

Le mot s'attache, chez le savant et chez l'artiste, à cette capacité particulière d'inventivité et de créativité qu'ils manifestent dans leurs activités.

René Thom, mathématicien. »

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