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Lévinas

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Autrui, en tant qu’autrui, n’est pas seulement un alter ego. Il est ce moi que je ne suis pas : il est le faible alors que moi je suis le fort, il est le pauvre, il est « la veuve et l’orphelin ». Il n’y a pas de plus grande hypocrisie que celle qui a inventé la charité bien ordonnée. Ou bien il est l’étranger , l’ennemi, le puissant. L’essentiel c’est qu’il a ces qualités de par son altérité même. L’espace intersubjectif est initialement asymétrique. L’extériorité d’autrui n’est pas simplement l’effet de l’espace qui maintient séparé ce qui, par le concept, est identique, ni une différence quelconque selon le concept qui se manifesterait par une extériorité spatiale. C’est précisément en tant qu’irréductible à ces deux notions d’extériorité que l’extériorité sociale est originale et nous fait sortir des catégories d’unité et de multiplicité qui valent pour les choses, cad valent dans le monde d’un sujet isolé, d’un esprit seul. L’intersubjectivité n’est pas simplement l’application de la catégorie de la multiplicité au domaine de l’ esprit. Elle nous est fournie par l’Éros, où, dans la proximité d’ autrui, est intégralement maintenue la distance dont le pathétique est fait, à la fois, de cette proximité et de cette dualité des êtres. Lévinas

« " Autrui, en tant qu’autrui, n’est pas seulement un alter ego.

Il est ce moi que je ne suis pas : il est le faible alors que moi je suis le fort, il est le pauvre, il est « la veuve et l’orphelin ».

Il n’y a pas de plus grande hypocrisie que celle qui a inventé la charité bien ordonnée.

Ou bien il est l’étranger , l’ennemi, le puissant.

L’essentiel c’est qu’il a ces qualités de par son altérité même.

L’espace intersubjectif est initialement asymétrique.

L’extériorité d’autrui n’est pas simplement l’effet de l’espace qui maintient séparé ce qui, par le concept, est identique, ni une différence quelconque selon le concept qui se manifesterait par une extériorité spatiale.

C’est précisément en tant qu’irréductible à ces deux notions d’extériorité que l’extériorité sociale est originale et nous fait sortir des catégories d’unité et de multiplicité qui valent pour les choses, cad valent dans le monde d’un sujet isolé, d’un esprit seul.

L’intersubjectivité n’est pas simplement l’application de la catégorie de la multiplicité au domaine de l’esprit.

Elle nous est fournie par l’Éros, où, dans la proximité d’autrui, est intégralement maintenue la distance dont le pathétique est fait, à la fois, de cette proximité et de cette dualité des êtres.

" LEVINAS Comment peut-on définir autrui ? 1) Autrui est différence et non ressemblance. 2) L’existence d’autrui est sociale et non spatiale. 3) La relation à autrui se fait dans une intersubjectivité marquée par l’Éros. 1) Qu’est ce qu’autrui ? La réponse la plus simple, s’appuyant sur le mot m ê m e e s t qu’autrui est quelqu’un d’autre.

Donc quelqu’un de différent.

Mais généralement, aussitôt nous avons peur d e cette différence, nous cherchons m ê m e à la gommer.

Aussi nous tenons à atténuer les choses en disant tout aussitôt que cet autre est un autre nous-mêmes : un « alter ego ». Lévinas prend le contre-pied d’une telle approche vaguement conciliatrice.

Pour lui autrui est un autre, au sens plein.

Un autre q u e m o i même et donc d’emblée différent de moi.

Au point d’ailleurs d’affirmer autrui par lui-même (et non par rapport à mon point de vue), d’en faire le centre à partir duquel il est alors possible de me définir : « il est ce que moi je ne suis pas ».

Comme si –de mon côté- il manquait de l’être (« je ne suis pas »), et qu’au contraire –de son côté- il était (« il est ») dans la plénitude de l’être. Mais, par un renversement paradoxal, Lévinas, dans la relation qu’il suppose, fait d’autrui quelqu’un qu’on serait tenté de définir comme inférieur : expressément de « faible » et de « pauvre ».

Ce qui ne peut que nous interpeller car, dès lors, autrui n’est pas un autre nousm ê m e s .

Au contraire, nous devons le reconnaître dans s a différence m ê m e –et peut-être m ê m e pressentir q u e cette faiblesse et cette pauvreté, c’est justement ce qui fait son prix.

C e qui fait que nous devons nous sortir d e nous-mêmes et nous porter vers lui.

C’est seulement l’infériorité (relative) d’autrui qui peut mettre en question notre capacité d’altruisme.

C e que suggère pleinement la formule convenue de « la veuve et de l’orphelin » -qui ne manque p a s d e nous faire songer à l’obligation morale o ù s e trouve, dans le monde féodal, le chevalier à se porter au secours de ceux que les hasards de la fortune risquent de livrer à la dureté du monde. Aussi, Lévinas juge-t-il sévèrement l’idée qui préside à la formule qu’il tronque, mais que tout lecteur reconstitue : charité bien ordonnée commence par soi-même.

C’est le contraire même de la vertu cardinale de la charité, qui consiste à aimer autrui au-delà de sa différence ou dans sa différence même.

Mais Lévinas, de manière réaliste, peut tout aussi bien supposer qu’autrui est peut-être quelqu’un qu’on serait tenté de définir comme dangereux et supérieur : expressément étranger, ennemi, puissant.

Nous sommes loin de l’expression fade de l’ « alter ego ». Loin de la croyance habituelle d’une égalité entre les hommes.

Lévinas avance au contraire le thème de l’inégalité fondamentale de toute rencontre.

Chacun d e nous n’est ni faible ni fort, ni pauvre ni riche en tant que tel.

Faiblesse et force ne sont pas des propriétés qui appartiennent en propre à l’individu.

Tout cela est relatif, et n’apparaît que par la relation qui s’instaure entre les sujets.

Relation qui prend non « d’espace intersubjectif » et que Lévinas, là aussi a contrario de la croyance dominante, reconnaît comme inégalitaire, donc d’emblée (« initialement ») « asymétrique ». 2) Dans un second mouvement, Lévinas abandonne l’approche concrète d’autrui, pour aborder d e manière plus conceptuelle la notion d’extériorité. Disons qu’il y a trois extériorités.

Mais, à chaque fois, pour définir l’extériorité, il est nécessaire de recourir à une autre catégorie, celle de l’un et du multiple.

Il y a une première extériorité, qui est produite par un « effet de l’espace » qui sépare ce qui est conceptuellement identique.

Il y a une seconde extériorité (sans doute plus forte) qui porte sur ce qui est conceptuellement différent (ou multiple). On pourrait appeler, du même nom d’extériorité spatiale, ces deux extériorités. Mais il y a une troisième extériorités (l’extériorité sociale) qui, n’ayant rien à voir avec les deux précédentes, est « originale » non pas tant au sens d’ « intéressante », mais plutôt dans celui de « à l’origine » de toute relation de personne à personne.

Autrement dit, c’est cette extériorité qui naît de la présence de l’ Amour (« l’Eros ») faite, à la fois, dans une tension dialectique, de distance et de proximité. Certes, la concision du texte de Lévinas rend son interprétation difficile.

Mais sans trop se hasarder, on peut cependant penser que lorsqu’il s’agit de la relation de deux sujets, il ne saurait être question ni de la première ni de la seconde « extériorité ».

Certes, les personnes sont situées d a n s u n e situation d’extériorité spatiale.

Mais leur personne ne peut se réduire à un concept –que ce soit celui d’identité ou d e multiplicité.

Cette extériorité (qu’on pourrait dire matérielle), même si elle existe, n’a aucun intérêt. L’extériorité sociale n’a rien à voir avec les deux formes de l’extériorité spatiale (« l’extériorité sociale est irréductible à c e s d e u x notions d’extériorité »).

Elle est d’un autre ordre, parce que la personne (comme sujet situé d’emblée dans le monde des personnes) est irréductible –et supérieure- à n’importe quel objet.

C e n’est q u e pour l’objet (soit identique, soit multiple) qu’il est possible d e parler d’extériorité spatiale.

On manquerait la notion de sujet si on voulait lui appliquer l e s m ê m e s catégories (« d’unité et de multiplicité »).

Certes, il est toujours possible d’abstraire le sujet, et d’imaginer qu’il vit « dans un monde isolé », comme si le sujet était seul au monde… Mais ceci n’est qu’une vision d e l’esprit.

D’emblée, le sujet est jeté dans le m o n d e multiple des autres sujets.

En tant que jeté dans le monde, il fait l’expérience de la multiplicité.

Mais ces deux notions sont impuissantes à rendre compte de l’originalité de la situation du sujet parmi les autres sujets. 3) Reste à élucider la notion d’intersubjectivité.

Comme le terme l’indique, elle est ce qui se passe entre (inter) les sujets.

D’où la notion de multiplicité –le sujet n’est jamais seul- liée à l’intersubjectivité.

Mais il y a plus, car l’intersubjectivité n’est jamais neutre.

Elle est immédiatement tension des êtres les uns par rapport aux autres.

Ce fond commun est celui de l’Eros, cad, non pas tant l’Amour que la tension affective faite à la fois de bienveillance et d’hostilité. Ainsi autrui, séparé d e nous, puisque l’autre est toujours différent, est en m ê m e temps proche.

Tension affolée, où nous ne pouvons maîtriser cette double situation.

D’où le « pathétique » dont parle Lévinas, sorte de souffrance, de passion, où nous allons vers autrui qui nous séduit par sa ressemblance, qui nous repousse par sa différence.

Ce qu’il faut inverser, si jamais ce pathétique peut-être surmonté.

A condition que la différence d’autrui, loin de nous repousser, soit ce par quoi nous la respectons. Dans ce texte, Lévinas affirme qu’autrui est l’autre par excellence, le radicalement autre.

Autrui ne sera jamais « mien ».

Extérieur à moi, cet être se manifeste dans la résistance absolue qu’il oppose non seulement à tout savoir que je pourrais détenir sur lui, mais aussi à tous mes pouvoirs.. »

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