L'État est-il chargé du bonheur des individus ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
L' « Etat » a été défini de manières très diverses par la philosophie.
Mais on y reconnaît de manière générale
l'ensemble des institutions servant à gouverner une certaine communauté politique.
Ce terme s'oppose donc ici
clairement à « individus », terme qui désigne des êtres pris séparément, en dehors de toute communauté.
Être chargé de, c'est devoir s'occuper de, voire être responsable de.
Le bonheur enfin, a reçu également des définitions diverses mais peut être considéré de manière générale comme un
état de satisfaction durable, recherché par chacun.
La question est donc finalement double : d'une part, jusqu'à quel point l'État doit-il avoir une prise sur la vie des
individus qu'il gouverne (notamment, est-il supposé leur permettre d'accéder au bonheur individuel ?), et, d'autre
part, à quoi le bonheur des individus ressort-il ?
La réponse à ces questions dépendra de la conception de l'État que l'on choisira, et de la vision que l'on aura de
l'étendue du pouvoir des individus sur eux-mêmes.
Quel est le but de l'État ? Trois conceptions semblent possibles : Est-il à lui-même sa propre fin – et alors l'État a
pour but de se sauvegarder comme communauté, sans forcément se soucier du bonheur individuel de ceux qui lui
sont soumis ? Est-il un moyen utile d'assurer à ses citoyens l'existence des conditions nécessaires à ce que chacun
trouve, individuellement et par son propre travail, le bonheur ? Ou bien est-il directement responsable du bonheur
des individus – que l'on pense par exemple à la notion d' « Etat-Providence » ?
D'autre part, à qui ou quoi le bonheur des individus ressort-il ? Relève-t-il uniquement de la sphère privée et
individuelle (et alors chaque homme travaillerait à son bonheur à sa manière et par ses propres moyens) ? Ou est-il
une recherche collective, qui peut être concrétisée par l'institution de communautés politiques, d'États ?
Plusieurs alternatives sont possibles concernant cette définition du rapport de l'homme à l'État en ce qui concerne
son bonheur, et elles ont toutes reçu des assises philosophiques importantes.
Il conviendra de les examiner pour
finalement trancher éventuellement en faveur de l'une d'entre elles.
Références utiles
Platon, Le Politique
Rousseau, Du Contrat social
Textes à utiliser
Aristote, Politique, III, 9
« Ce qui définit la cité, c'est la communauté vouée à la vie bonne qui règne entre les familles et entre les
groupements de familles, et qui a pour fin une existence parfaite, se suffisant à elle-même.
Mais cela ne se réalisera
pas s'il n'y a pas habitation d'un seul et même territoire et recours aux liens du mariage.
C'est pour cette raison que,
dans les cités, les sociétés de parenté et les groupements confraternels, les cérémonies de sacrifice et les
réjouissances en commun ont vu le jour.
C'est là la fonction de l'amitié, car l'amitié n'est pas autre chose que le
choix de la vie en commun.
On peut donc dire que la fin de la cité, c'est la vie bonne, et que toutes ces institutions,
pour leur part, existent en vue de la fin.
Une cité c'est une communauté qui se réalise entre groupements de familles
ou entre villages pour une vie achevée et suffisante à elle-même, autrement dit pour une vie heureuse et honnête.
C'est donc en vue d'actions droites que doit s'instituer la communauté politique, mais nullement en vue de la vie en
commun.
»
Bergson
« La société, qui est la mise en commun des énergies individuelles, bénéficie des efforts de tous et rend à tous leur
effort plus facile.
Elle ne peut subsister que si elle se subordonne l'individu, elle ne peut progresser que si elle le
laisse faire : exigences opposées, qu'il faudrait réconcilier.
Chez l'insecte, la première condition est seule remplie.
Les sociétés de fourmis et d'abeilles sont admirablement disciplinées et unies, mais figées dans une immuable
routine.
Si l'individu s'y oublie lui-même, la société oublie aussi sa destination ; l'un et l'autre, en état de
somnambulisme, font et refont indéfiniment le tour du même cercle, au lieu de marcher, droit en avant, à une
efficacité sociale plus grande et à une liberté individuelle plus complète.
Seules, les sociétés humaines tiennent fixés
devant leurs yeux les deux buts à atteindre.
En lutte avec elles-mêmes et en guerre les unes avec les autres, elles
cherchent visiblement par le frottement et par le choc, à arrondir des angles, user des antagonismes, à éliminer des
contradictions, à faire que les volontés individuelles s'insèrent sans se déformer dans la volonté sociale et que les
diverses sociétés entrent à leur tour, sans perdre leur originalité ni leur indépendance, dans une société plus vaste :
spectacle inquiétant et rassurant, qu'on ne peut contempler sans se dire qu'ici encore, à travers des obstacles sans
nombre, la vie travaille à individuer et à intégrer pour obtenir la quantité la plus grande, la variété la plus riche, les
qualités les plus hautes d'invention et d'effort.
».
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