Les superstitions sont-elles absurdes ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
ABSURDE: Contraire à la logique.
Raisonnement illogique, formellement irrecevable.
Dénué de sens et de
cohérence.
Il est difficile de définir la superstition — car ce terme est une flétrissure : la superstition est toujours la croyance
de l'autre.
Pour Voltaire, tout ce qui excède les deux données de base du déisme (1.
Dieu existe ; 2.
il a créé et
organisé le monde) est superstition.
On peut toutefois tenter cette définition : le superstitieux est celui qui, hors de
toute idéologie constituée (religieuse, politique), croit au pouvoir bénéfique ou maléfique de certaines occurrences
interprétées comme des signes.
La superstition est manichéenne ; il y a pour elle d'un côté le bien (le faste, le
bénéfique, le favorable, la chance), de l'autre le mal (le néfaste, le maléfique, le défavorable, la malchance).
Elle est
une manière de fatalisme, ou plutôt de déterminisme imaginaire (le fer à cheval induira le bonheur).
La superstition
est à la croyance religieuse ce que la légende est au mythe : elle naît d'une déperdition de sens.
Est absurde ce qui est contraire au bon sens, à la logique, à la raison.
L'idée de cercle carré est absurde.
Dans un
film, Groucho Marx prend le pouls de Harpo évanoui.
« Ou bien cet homme est mort », s'écrie-t-il, « ou bien ma
montre est arrêtée ! »
I.
Thèse : les superstitions sont absurdes
1) Elles constituent en effet un invraisemblable bric-à-brac, un bazar de toutes les folies humaines, où le grotesque
le dispute au dérisoire.
Elles sont le signe caricatural de l'ignorance et de l'impuissance où l'humanité se trouva
placée durant des centaines de milliers d'années.
On croyait que la fiente de souris était un remède souverain
contre la calvitie, et l'on traçait une croix sur le ventre de la parturiente en cas d'accouchement difficile.
2) La contingence y règne en maîtresse.
La fiente de souris contre la calvitie — et pourquoi pas la crotte du
blaireau ? D'ailleurs, les contradictions d'un pays à l'autre rendent manifeste cette contingence : le chat noir est un
bon signe en Angleterre, un mauvais signe en France.
Parfois, le même signe est considéré tantôt comme bénéfique
tantôt comme maléfique (certains prennent le chiffre 13 comme un porte-bonheur, mais dans les courses
automobiles, il n'y a pas de voiture numéro 13, et il n'y a jamais de chambre numéro 13 dans les hôtels).
3) Le superstitieux est incapable de justifier sa croyance autrement que par tautologie : c'est comme ça parce que
c'est comme ça.
On comprend que la plupart des superstitions aient disparu avec les progrès techno-scientifiques.
Cependant, elles n'ont pas disparu toutes, loin s'en faut.
De toute manière, l'essentiel est de comprendre leurs
raisons d'être.
II.
Antithèse : les superstitions ont leurs raisons que la raison connaît
L'irrationnel qui ne se comprend pas lui-même peut être compris par la raison.
Il y a en effet une logique de
l'irrationnel que les sciences de l'homme (histoire, psychanalyse, anthropologie) nous permettent de comprendre.
1) L'émancipation du signifiant
A) C'est l'unité d'un signe et d'un contexte (le réel, le discours) qui fait le sens.
Un signe (un mot, une image, un
geste, etc.) comprend une dimension sensible (sa forme) et une dimension intelligible (son contenu).
On appelle
signifiant la forme d'un signe, et signifié l'idée qu'elle manifeste.
Un signifiant peut choir hors du signe, quitter son
sens d'origine, en voyageant hors de son contexte de naissance, et ne conserver de lui qu'un seul caractère (positif
ou négatif).
Ainsi, lors du dernier repas, avant sa mort, Jésus était-il avec ses douze disciples : de là la superstition
du treize à table.
A Rome, les condamnés à mort devaient passer sous une échelle : aujourd'hui en France, on ne
condamne plus à mort, mais des milliers de gens font un détour pour éviter de passer sous une échelles.
Pendant la
première guerre mondiale, les soldats évitaient d'allumer la nuit trois cigarettes avec la même allumette, car à la
première cigarette, l'ennemi repérait, à la seconde il visait, à la troisième il tirait.
Le sens de l'action d'évitement (ne
pas allumer une troisième cigarette avec la même allumette) était le danger mortel possible pour les soldats en
temps de guerre ; le sens (la guerre) a disparu, le signifiant est resté.
La superstition est une moraine de l'Histoire,
elle est un signifiant solidifié, flottant hors de son sens d'origine, dont il a capturé un élément (le caractère
défavorable)..
»
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