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Les hommes peuvent-ils faire table rase du passé ?

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« Définition des termes du sujet: PASSÉ: Dimension du temps écoulé dans son irréductible irréversibilité.

D'ordre biologique, pulsionnel, social, historique ou psychologique, le passé pèse sur l'homme dans le sens du déterminisme, mais, il structure aussi activement la personnalité sans laquelle la liberté serait impossible ou illusoire.

La liberté qui peut d'ailleurs s'exercer à l'égard du passé lui-même, dans la mesure où le sens accordé au passé reste du choix de l'individu (cf.

Sartre). Par sa nature même, la connaissance du passé humain reste, selon les cas, occultée, aléatoire, partielle, subjective, soumise au moment social; elle laisse ainsi souvent une marge d'indétermination propice aux illusions et à l'action de l'imaginaire. Effacer le passé semble vain... La commémoration rappelle à la communauté (cum) le souvenir (memor) d'un événement fondateur qui appartient au passé.

Ce rappel souligne aussi la nature oublieuse de la nature humaine.

Sans l'institution pour imposer la mémoire, sans le récit des historiens pour dire ce qui fut, aurions-nous encore le moindre souvenir commun ? De fait, Clio, la muse de l'Histoire, est bien fille de Mnémosyne, la Mémoire, au sens où, bonne fille, elle s'occupe de sa mère.

Attentive à celle-ci, elle lui assure ses «vieux jours» ! Le discours de l'historien, le rituel religieux et les fêtes de la République sont des artifices, c'est-à-dire des créations humaines, pour résister à l'action de cette Nature oublieuse qui croit tout «naturel» de faire table rase du passé. Car c'est bien au premier chef la Nature qui accomplit la table rase, effaçant les signes de la présence des hommes si ceux-ci ne prennent garde de les entretenir.

Le philosophe John Locke comparait ainsi la mémoire à une table de bronze : « La mémoire est une table de bronze remplie de caractères que le temps efface insensiblement si l'on n'y repasse quelquefois le burin.

» Le texte de nos souvenirs tend naturellement à disparaître, comme des ruines sous le lierre des tableaux de Robert ou Turner.

Il faut le burin, c'est-à-dire une action volontaire et violente pour le conserver.

La métaphore de la table de bronze évoque celle de la tabula rasa, autre tablette (mais de cire) sur laquelle les Anciens prenaient les notes qu'ils comptaient ensuite effacer. ...

mais le digérer est une nécessité vitale. Or cet attachement au passé auquel semble tenir la société, de quelle nature est-il? Est-ce le passé qui nous est rendu présent? Le passé renvoie évidemment aux faits révolus mais surtout il exprime l'idée que nous nous en faisons.

De fait, la société et plus généralement la Culture nous lient, par la mémoire, à ce qui n'est plus et dont il ne reste que l'idée.

L'entretien du souvenir attache le présent à l'idée du passé, il fait donc dépendre le présent vécu du passé pensé. Nous dépendons de ce qui a disparu, le souvenir inscrit la perte au quotidien d'une existence qui découvre son aliénation. « Je ne puis vivre que selon mes morts ! », s'exclame Barrès.

Le mot tient à la fois du sublime et de l'effrayant.

Il révèle la dualité d'un homme lié par nécessité à la culture et désireux toutefois d'émancipation.

Faire table rase du passé, c'est peut-être aussi rechercher la rupture pour trouver la liberté.

Telle est l'entreprise des Modernes et celle des hommes de 1793.

Mais la modernité n'est pas la nouveauté.

Car la rupture fait toujours référence.

Les Modernes ne sont pas sans les Anciens, parce qu'ils ne sont que par rapport à ceux-là, de même que les Révolutionnaires ne peuvent s'empêcher de rappeler la République de Rome ou les vertus de Sparte. C'est pourquoi revendiquer la table rase — et plus précisément l'effectuer — relève du surhumain.

Nietzsche dans la seconde dissertation de La généalogie de la morale n'affirme pas autre chose.

Il est pourtant nécessaire de libérer la vie de l'idée du passé qui prétend l'évaluer.

Il faut « faire un peu de silence — écrit-il, de table rase dans notre conscience pour laisser place à du nouveau.

» La dyspepsie est un mal — une maladie de l'ensemble de l'appareil digestif.

Digérer le passé, c'est le dissoudre dans un élan vital.

C'est faire de ce passé, non ce poids qui résiste à l'estomac et qui fait si mal, mais l'aliment du présent dont la consommation est la source des forces qui donnent au vivant le pouvoir d'agir.. »

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