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Les causes du rire ? Pourquoi rions-nous ?

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« Comme le dit Bergson, au début de l'étude si ingénieuse et si, pénétrante qu'il a consacrée au rire, « les plus grands penseurs, depuis Aristote, se sont attaqués à ce petit problème, qui toujours se dérobe sous l'effort, glisse, s'échappe, se redresse, impertinent défi jeté à la spéculation philosophique ». On trouve des études, des théories ou des remarques sur le rire dans les écrits d'Aristote, de Platon, de Kant, de Hegel, de Darwin, de Spencer, de Léon Dumont.

Le petit livre de Bergson sur cette question propose une explication toute nouvelle. Les philosophes rattachent généralement le rire à l'émotion esthétique, sous prétexte qu'il y a une forme d'art, la comédie, qui s'attache spécialement à l'étude des ridicules ; mais il est évident que c'est restreindre singulièrement le domaine du rire. Physiologiquement, le rire est produit par des contractions spasmodiques et involontaires du diaphragme.

Mais la question a surtout un intérêt psychologique : il s'agit de savoir à quelles dispositions mentales correspond cet ensemble de mouvements musculaires. L'examen des principales théories psychologiques sur cette question nous permettra peut-être de nous faire une opinion raisonnée.

La diversité de ces théories semble justifier le texte proposé, qui nous invite à chercher non pas la cause, mais les causes du rire. Une opinion très répandue est que le rire est causé par la joie.

Il serait peut-être plus juste de dire que c'est le sourire qui est l'expression ordinaire des sentiments joyeux.

Si la joie dispose au rire, elle ne provoque pas toujours le rire ; il y a des joies sérieuses, et par contre il y a des choses qui nous font rire même lorsque nous sommes dans la tristesse. D'après Platon et Hobbes, le rire naît de l'orgueil, du sentiment de notre supériorité.

» Le rire, dit Hobbes, est un orgueil soudain, naissant de la perception soudaine de notre être, comparée aux infirmités des autres ou à notre faiblesse antérieure ». Une théorie qui retient quelque chose de la précédente a été soutenue par Bain et avant lui par Aristote.

Le rire est provoqué par ce que Bain appelle une « dégradation ».

Nous rions lorsque nous apercevons brusquement dans une personne quelque chose de dégradant, une petitesse, une infériorité. Il est visible que ces théories sont beaucoup trop étroites.

Que de choses excitent le rire sans mettre en jeu notre orgueil ! Que de « dégradations » nous attristent ou excitent notre pitié ! Léon Dumont a soutenu d'une manière intéressante, en invoquant des exemples nombreux et variés, la théorie de la contradiction ou du contraste.

Nous rions toutes les fois que deux idées contradictoires, se présentant simultanément à notre esprit, tendent à entrer dans l'unité d'une même conception : de ce choc, de cette rencontre intellectuelle naît le rire.

« Un homme se prépare à franchir un fossé ; nous le voyons prendre son élan ; sous l'influence de l'association des idées, notre imagination nous le montre déjà arrivé sur l'autre bord ; mais dans le même moment nous le voyons réellement tombé dans la boue; les deux conceptions opposées se heurtent dans notre esprit et nous éclatons de rire ».

Pour la même raison, un bossu fat et prétentieux, une femme laide et coquette font rire. La théorie du contraste a eu et a sans doute encore de nombreux partisans.

Mais l'étude de Bergson a renouvelé complètement la question.

Il faut lire cet ouvrage, écrit dans une langue si vive, aux aperçus si multiples, aux nuances si délicates, et qu'une brève analyse ne peut que desservir.

M.

Bergson a voulu surtout mettre en lumière le rôle social du rire, qui est de châtier et de corriger la raideur, l'automatisme, le défaut de souplesse et d'attention, qui sont des marques ou des signes d'insociabilité.

Ce qui fait rire, c'est « le mécanique plaqué sur le vivant ».

Nous rirons chaque fois qu'une personne nous donnera l'impression d'être une chose, un pantin, un automate.

Le pli professionnel est comique parce qu'il est une sorte de mécanisation de la vie.

On rit d'un clown qui se laisse tomber tout d'une pièce, comme on rit de la raideur d'Alceste qui ne sait pas s'adapter à son milieu. Nous avons vu comment Dumont expliquait ce qu'il y a de risible dans la chute d'une personne ; pour Bergson, ce qui fait rire, quand quelqu'un tombe, ce n'est pas le changement brusque d'attitude, le contraste entre la position droite et la position couchée, c'est ce qu'il y a d'involontaire dans la chute, c'est la maladresse, c'est le manque de souplesse et d'adaptation. Si l'on veut remonter au principe même du rire, quitte à en chercher les applications les plus éloignées, on pourra donc dire que le rire est un geste social qui châtie la raideur. Cette ingénieuse théorie, dont Bergson tire un merveilleux parti dans l'explication des formes les plus basses et les plus hautes du comique, ruine-t-elle, pour les remplacer, les théories antérieures ? Explique-t-elle la totalité des cas risibles ? En d'autres termes peuton ramener à l'unité les causes du rire ? Il ne nous le semble pas. Dumont et Bergson se sont demandé l'un et l'autre pourquoi la répétition fait rire au théâtre.

Il faut bien reconnaître que la théorie de Dumont n'explique pas le « sans dot ! » d'Harpagon.

La théorie de Bergson l'explique.

« Nous entrevoyons, derrière ce mot qui revient automatiquement, tout un mécanisme à répétition monté par l'idée fixe.

» Sans doute le mécanisme n'est pas toujours aisé à apercevoir; mais peut-être aussi n'y a-t-il pas toujours mécanisme.

J'emprunte un exemple à Dumont.

Entendant un jour en plein hiver un violent coup de tonnerre, il éclata de rire.

La théorie du contraste semble bien expliquer le fait ; la théorie de la raideur échoue visiblement dans cette explication. Aucune théorie ne peut être entièrement satisfaisante, et cela parce qu'il y a plusieurs espèces de rire : il y a des rires physiques et des rires qui ont une cause mentale, des rires joyeux et des rires amers, des rires qui résultent d'un contraste ou d'une surprise, des rires orgueilleux et méprisants, des rires innocents ou malicieux, des rires intelligents et des rires bêtes, des rires qui naissent par sympathie à la vue d'autres rires, des rires aussi qui sont le châtiment d'une maladresse, d'une raideur, de tout ce qui porte une atteinte, même légère, à la souplesse de la vie. Et c'est ce qui fait qu'il y a à retenir quelque chose des diverses théories.

Il est vraisemblable qu'on ne trouvera jamais une théorie qui puisse ramener à l'unité les causes multiples sans doute hétérogènes du rire.

La vie et les manifestations de la vie ne se laissent pas (emprisonner dans une formule.. »

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