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Les autres peuvent-ils nous aider à être heureux ?

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« Demander à autrui que nous soyons heureux, c'est aussi fuir ses responsabilités, se décharger d'un poids ou penser que tout nous ait dû.

Il s'agit en vérité de se demander dans quel mesure les autres peuvent construire notre bonheur, si le bonheur est de nature purement personnel, individuel ou s'il doit être vécu dans le partage au milieu des autres.

Il s'agit d'opposer une conception du bonheur comme autonomie, autarcie ou d'un bonheur basé sur l'amitié et l'amour.

Et si le bonheur n'était tout simplement pas le juste équilibre entre ces deux conceptions, aimer et savoir se suffire qu'à soi-même quand il le faut, partager, et être autonome ? 1) Le bonheur ne s'acquiert que dans l'autonomie. Chez Aristote, et chez d'autres philosophes grecs, l'autonomie et l'autarcie est l'une des conditions d'accès au bonheur.

Le bonheur, c'est n'avoir plus besoin de rien, c'est se suffire à soi-même, ne plus dépendre des autres Ce qui distingue les biens particuliers et relatifs, c'est qu'ils ne valent point par eux-mêmes, et absolument, mais en vue d'autre chose.

Le Bien se suffit à lui-même et est sa propre fin (Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 7, 5).

Par voie de conséquence, il « est ce qui par soi seul rend la vie digne d'être vécue, et délivre de tout besoin ».

Corrélativement, l'agent qui a atteint la possession d'un tel Bien a tout ce qu'il peut avoir, et se trouve parfaitement heureux.

De même dans la philosophie stoïcienne, on pense d'une certaine façon le bonheur, indépendamment de toute régulation et de toute contrainte venant de l'extérieur, suffisance de besoins satisfaits sans que la cité ou l'individu ait à se constituer dans la dépendance de qui que ce soit, achèvement et perfection, tels sont les sens principaux attachés à la notion d'autonomie par la réflexion classique.

Mais c'est sans doute chez les stoïciens - bien que le terme d'autonomie ne figure pas dans leur vocabulaire - qu'elle prend son expression la plus achevée.

La pensée stoïcienne est construite sur la fameuse distinction entre les choses qui sont « en notre pouvoir », et celles « qui n'en dépendent pas ».

Cette liberté se caractérise donc par l'antithèse de l'indépendance vis-à-vis des autres hommes et des contraintes qu'ils prétendent exercer sur moi - tel est le fond de l'attitude du stoïcien vis-à-vis du tyran, ou plus généralement des autorités - et l'obéissance vis-à-vis de Dieu.

Quant à ce Dieu, il est très important de remarquer qu'il est souvent pris comme synonyme de la « loi naturelle », c'est-à-dire, par opposition aux conventions et à l'arbitraire des lois de la société, « la raison souveraine et innée, qui nous commande ce que nous avons à faire » (Cicéron, De legibus, I, VI, 18).

Aussi, le bonheur dans ce cadre ne pourra être compris que dans l'autonomie et l'indépendance à ce qui ne dépend pas de soi, ainsi, on ne peut compter sur les autres pour être heureux, car ils ne dépendent pas de nous.

Certes autrui ne fait pas tout notre bonheur, mais le bonheur semble difficilement accessible dans la solitude. 2) Le bonheur et la solitude sont incompatibles. Etre heureux, c'est ne plus rien désirer, ne plus vivre dans le manque, la recherche perpétuel de biens.

Car : « À désirer toujours ce que tu n'as pas, explique Lucrèce (III, 957-958), à mépriser les biens présents, ta vie s'est écoulée incomplète et sans joie...

» Et Pascal : « Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais » (Pensées, éd.

Brunschvicg, fragment 172).

Le bonheur manque toujours, et c'est pourquoi tout homme veut être heureux, et ne peut l'être, et en souffre...

De là le divertissement.

On pourrait accepter de n'être pas heureux, si l'on ne devait mourir ; ou de mourir, si l'on ne voulait être heureux. Mais cela n'est pas : « Il veut être heureux, et ne veut être qu'heureux, et ne peut ne vouloir pas l'être ; mais comment s'y prendra-t-il ? Il faudrait, pour bien faire, qu'il se rendît immortel ; ne le pouvant, il s'est avisé de s'empêcher d'y penser » (Pensées, 169).

Il s'agit de combattre - plutôt, de fuir l'angoisse et l'ennui, qui sont les deux maux de l'homme, et c'est ce qui nous occupe, et qui nous perd.

« Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (Pensées, 139)...

Mais comment le pourraient-ils ? Il faudrait accepter l'ennui, donc l'angoisse, et c'est ce que l'on fuit : « Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application.

Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide.

Incontinent, il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir » (Pensées, 131).

Le divertissement n'est pas un bonheur (Pensées, 170 et 171), mais la dénégation de son absence.

Il est impossible de trouver Mais n'est-ce pas paradoxal ? Le bonheur est-il atteignable par l'homme du commun sans les autres, sans le secours d'autrui, face à une solitude insupportable, seul le sage peut sans l'aide de l'autre atteindre une certaine autonomie, une certain paix, bref un bonheur. L'ennui est hautement insupportable à l'homme, parce qu'alors, l'absence de tout désir fait place à la considération de soi-même et à la conscience de sa vanité.

Dès lors, on comprend que tout homme cherche à se divertir, c'est-àdire à se détourner de la pensée affligeante de sa misère.

Nos désirs, pour autant qu'ils nous portent à croire que leur réalisation nous rendrait heureux, sont l'instrument majeur de cette stratégie.

L'imagination, qui institue des biens comme désirables, en est l'auxiliaire indispensable.

La vérité du désir n'est donc pas dans son objet mais dans l'agitation qu'il excite : « nous ne recherchons jamais les choses mais la recherche des choses » (773).

Mais le divertissement n'est qu'un cache-misère.

Préférable à l'accablement de l'ennui, il s'avère sur le fond tout aussi nuisible.

Faire obstacle à la considération de sa misère, c'est se priver des moyens de la dépasser.. »

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